Terres abandonnées
Titre : Terres abandonnées
Auteur/Autrice : Naomi Novik
Éditeur : J’ai lu
Date de publication : 2025 (octobre)
Synopsis : Voguez sur des eaux infestées de léviathans aux côtés des plus détestables pirates du royaume.
Parcourez les rues de Rome à dos de dragon et défiez des empires.
Affrontez les créatures tapies dans l’ombre d’une inquiétante école de magie.
Façonnez de vos mains les statues chantantes de la ville de Sept.
Prenez l’ennemi d’assaut grâce à une armée d’insectes modifiés.
Pénétrez dans le donjon du château Cœurlieu, si vous l’osez…
…
Sept cent pages pour quatorze univers
Naomi Novik est une autrice américaine prolifique à l’origine de plusieurs séries à succès comme la saga « Téméraire », la trilogie « Scholomance » ou encore des one-shots comme « Déracinée » ou « La fileuse d’argent ». Le recueil « Terres abandonnées » regroupe pas moins de quatorze textes de l’autrice dont certains nous replongent dans ses univers les plus emblématiques tandis que d’autres esquissent les contours de contrées encore inconnues. Pour cette raison, l’ouvrage constitue une excellente porte d’entrée à sa bibliographie pour les lecteurices qui n’auraient pas encore sauté le pas. Quant aux adeptes déjà convaincus, ils ne manqueront pas eux aussi d’être enthousiasmés par tous ces mondes et ces ambiances propres à enflammer l’imagination. D’autant que certains des univers dépeints ici sont mis en scène dans ce qui ressemble davantage à des novellas que des nouvelles (le recueil fait tout de même sept cents pages, c’est dire si certains textes sont longs…). Comme dans tout recueil ou anthologie, tous les récits ne se valent pas, même si le niveau est ici relativement élevé pour l’ensemble des textes.
Retour à Scholomance
Parmi les quatorze nouvelles présentes au sommaire, trois se passent dans un univers déjà exploré dans d’autres romans. C’est le cas par exemple de « Couvre-feu » qui nous replonge dans le monde de « Scholomance », une sorte de Poudlard mais version horrifique, sans les professeurs mais avec des monstres qui rôdent dans les couloirs et dont il faut se méfier jour et nuit, au risque de voir sa scolarité (et sa vie !) brusquement s’arrêter. Le récit se situe ici après les événements relatés dans la trilogie sans pour autant livrer trop d’informations, ce qui permet de ne pas gâcher le plaisir. On comprend toutefois que l’école a changé et se révèle moins dangereuse pour les élèves que par le passé, ce qui n’empêche pas quelques créatures de rôder parfois la nuit pendant le couvre-feu. Or c’est justement lui que Beata a résolu de braver afin de dénicher clandestinement des ingrédients rares qui lui permettront de vendre ses services au plus offrant, et ainsi d’améliorer ses conditions de vie. Car si les maléficats se font plus rares, les inégalités sociales, elles, perdurent, obligeant les sorcières et sorciers les moins bien lotis à faire la preuve de leur utilité auprès des mieux né.es. La nouvelle est relativement courte mais bien ficelée, et j’ai adoré retourner dans cette école de magie dont on apprivoise peu à peu les codes.

Dragons et prêteuse sur gage
On retrouve aussi dans « Vici » l’univers de « Téméraire », mais dans un autre contexte. Oubliez les guerres napoléoniennes et dites bonjour à la Rome antique ! On y suit un jeune patricien un peu frivole qui, suite à des déboires financiers, se voit contraint de combattre un dragon. Contrairement à ce que tout le monde espérait le jeune homme survit et revient même de son expédition avec un œuf. Œuf qui finira par éclore et permettra à l’humanité de prendre conscience que les dragons sont une espèce intelligente et consciente qui peut lui procurer un avantage significatif en cas de conflit armé. Un avantage qu’un certain Jules César est bien décidé à exploiter. Là encore on renoue avec plaisir avec un univers déjà connu de même qu’avec ce ton plein d’humour qui a fait en partie le succès de la série « Téméraire ». Enfin, le recueil propose de découvrir « La fileuse d’argent », une première version courte de ce qui deviendra le roman éponyme. L’intrigue varie peu mais j’ai apprécié retrouver l’héroïne, fille d’un prêteur sur gage trop généreux qui décide de reprendre le commerce de son père pour sauver sa famille de la misère. Son talent pour faire fructifier l’or va toutefois attirer la convoitise d’une créature de la forêt qui va lui proposer un marché impossible.

Irène Adler, Elizabeth Bennett… : hommages
Le recueil regroupe aussi des textes qui prennent la forme d’hommages à des personnages emblématiques d’autres œuvres littéraires. C’est par exemple le cas de la nouvelle « Lieux communs » qui met en scène Irene Adler, personnage au combien énigmatique entretenant avec le célèbre Sherlock Holmes une relation ambiguë. Le texte est ici très court (peut être trop) et ne m’a pas particulièrement emballé, faute d’empathie pour l’aventurière. J’ai en revanche été enchantée par la nouvelle « Dragons & décorum », un mixe entre « Téméraire » et « Orgueil et préjugés ». La nouvelle met en scène les personnages de l’œuvre d’Austen mais en faisant d’Elizabeth Bennett une capitaine de l’armée de l’air. Son histoire d’amour avec Mr. Darcy en ressort transformé, même si l’autrice a pris beaucoup de soin à respecter le style d’Austen, notamment dans la façon dont les personnages parlent de leurs sentiments. Cela ressemble finalement un peu à « Les griffes et les crocs » de Jo Walton, roman mordant mêlant lui aussi dragons et ère victorienne. La nouvelle « Bénédictions » se réapproprie quant à elle la figure de la marraine fée qui se retrouve ici détournée de façon amusante : imaginez ce que la vie d’une princesse pourrait donner si ses dons lui avait été octroyés par une fée trop portée sur la boisson ?

L’exploration maritime à l’honneur
Plusieurs nouvelles mettent également en scène de l’exploration maritime, un environnement que j’affectionne particulièrement et qui donne lieu ici à des textes plus longs et de bonne facture. C’est le cas notamment de « Le grand détour », une novella qui met en scène un frère et une sœur lancés dans un voyage d’exploration afin de trouver une nouvelle voie commerciale encore inexploitée. Ils accueillent à leur bord un noble à l’origine du financement de leur expédition, et sa présence ne va pas sans provoquer quelques remous. Surtout lorsque, contre toute attente, les aventuriers découvrent un territoire immense sur lequel se dressent des monuments qui ne peuvent qu’être d’origine humaine. L’intrigue est là encore bien ficelée et on ne peut s’empêcher d’être captivé par ce voyage et les mystères qui s’accumulent. Sur un ton plus léger, « Araminta ou le naufrage de l’Amphidrake » nous fait aussi voir du pays et relate le périple incongru d’une jeune femme travestie en homme et prise en otage par des pirates. L’humour est omniprésent, notamment par le biais de l’héroïne, une jeune femme bien décidée à mener sa barque et à échapper au carcan que lui impose son rang.
Objets magiques, lieux interdits
L’intrigue de certains textes repose quant à elle plutôt sur un endroit ou un objet aux propriétés magiques plus ou moins marquées. C’est le cas dans « Vingt pieds sous terre » où Naomi Novik propose une réinterprétation du mythe du minotaure et d’Ariane en mettant l’accent à la fois sur la relation frère/sœur entretenue entre les deux protagonistes mais aussi sur le caractère surnaturel du labyrinthe de Dédale. Dans « Sept », l’autrice met en scène une sculptrice choisie pour représenter la déesse titulaire de la ville avec un matériau rare mais aussi mortel. Un « honneur » qu’un autre sculpteur jaloux s’est arrangé pour qu’elle reçoive mais qui va rapidement le regretter lorsqu’elle va le solliciter pour prendre soin de sa famille à sa place. Une histoire touchante, peuplée de personnages ambigus mais attachants, qui émeuvent chacun à leur manière. La nouvelle « La Théière de Lord Dunsany » est plus étrange et relate l’histoire d’une théière appartenant à un soldat de la Première Guerre mondiale. Un objet au premier abord des plus banals mais qui va lui permettre d’échapper à la mort tout en lui entrouvrant les portes d’un monde imaginaire. Enfin, « Château Coeurlieu » met en scène une tour de donjon magique qui attire à elle les âmes curieuses pour ne plus les laisser repartir ou les transformer à jamais. Un texte plein de bonnes idées mais parfois trop onirique, ce qui a freiné mon immersion.

Deux novellas mettant à l’honneur la science-fiction et la fantasy
On termine avec les deux textes parmi les plus longs du recueil, deux novellas complètement différentes que j’ai respectivement détesté et adoré. « A sept ans de la maison » est la seule contribution à la science-fiction de l’autrice puisque l’histoire se passe dans une galaxie où une planète étend implacablement son emprise sur toutes les autres. On y suit le parcours d’une anthropologue censée étudier une civilisation qui va passer sous la coupe de cette fameuse planète impérialiste, avec toute la violence que cela implique. Le sujet de la colonisation est intéressant mais je ne me suis pas du tout attachée au personnage et l’univers m’est quant à lui resté totalement hermétique. « La guerre d’été », novella chargée de clore le recueil, a en revanche été une belle surprise. Naomi Novik nous offre ici une captivante histoire de fantasy dans laquelle elle réutilise des éléments très classiques puisqu’il y est question d’une guerre opposant royaumes humains et elfiques. Là, une fille de baron et ses deux frères vont se retrouver mêlés à des intrigues politiques qui les dépassent et va contrarier leurs projets d’avenir. On retrouve ici un personnage féminin fort et en quête d’émancipation (une thématique récurrente dans les textes de l’autrice) pour qui il n’est pas question de se morfondre sans rien faire. La question de l’homosexualité et de son acceptation dans une société très codifiée est aussi au cœur de l’intrigue et traitée avec beaucoup de sensibilité.
« Terres abandonnées » est un recueil contenant quatorze nouvelles et novellas de l’autrice américaine Naomi Novik, ce qui permet de se faire une bonne idée de sa plume et de ses thèmes de prédilections. Tous les textes ne sont pas du même niveau mais l’ensemble reste quant même de très bonne facture, qu’il s’agisse des textes renouant avec des univers déjà exploités ou de ceux qui nous font découvrir de nouveaux mondes. Des héroïnes dégourdies, un goût prononcé pour les contes et l’histoire, des clins d’œil appuyés à d’autres œuvres littéraires, beaucoup d’humour et des décors très variés mais toujours propres à enflammer l’imagination : voilà les principaux ingrédients de ces textes qui ne manqueront pas de ravir les amateurices de fantasy.
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Un commentaire
belette2911
Oups, je n’ai jamais terminé la saga « Téméraire »… j’en avais lu quelques-uns, mais j’avais eu l’impression d’avoir fait le tour et j’ai arrêté.