Vivonne

Titre : Vivonne
Auteur/Autrice : Jérôme Leroy
Éditeur : La Table ronde / FolioSF
Date de publication : 2021 / 2023

Synopsis : L’éditeur Alexandre Garnier est coincé dans ses bureaux avec son équipe, au beau milieu du quartier de l’Odéon ravagé par des inondations. Entre les corps charriés par les flots et les rats chassés hors des égouts, Paris prend un air de fin du monde. Comme en réponse au chaos, Alexandre se souvient d’Adrien Vivonne, ami disparu vingt ans plus tôt, poète solaire et hors du temps. Pour fuir un monde dévasté par les guerres civiles, les cyberattaques et les catastrophes climatiques, Alexandre part à la recherche de ceux qui l’ont connu. Ont-ils vu en lui un prophète capable d’ouvrir des portes vers D’autres îles, d’autres lieux paisibles dont la clé se cacherait au cœur de ses poèmes ?…

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Chaos et poésie

Ça y est, l’apocalypse est là ! Et, même si ce n’est pas comme si nous n’avions pas été prévenu, tout le monde semble un peu tomber des nues. Pas déjà ! Pas maintenant ! C’est notamment le cas des Parisiens et Parisiennes bloqué.es chez eux par une crue exceptionnelle qui a envahi les rues de la capitale. Les morts se comptent déjà par centaines, les rats remontent des égouts et s’attaquent à tout ce qu’ils trouvent, et certains commencent déjà à se comporter comme si toutes les digues de notre civilisation avaient sauté. Alexandre Garnier fait parti de ceux qui se sont retrouvés pris au piège. Directeur d’une prestigieuse maison d’édition, le soixantenaire se retrouve très vite dépassé par ses émotions, et la catastrophe en cours n’en est pas l’unique cause. Son désarroi provient en effet essentiellement des souvenirs qui lui remontent alors d’un certain Adrien Vivonne, ami d’enfance et poète mal connu du grand public mais dont l’œuvre a pourtant connu un retentissement énorme, changeant radicalement la vie de celles et ceux qui ont lu ses textes. Le voilà dès lors lancé dans une quête pour retrouver la trace de cet homme avec lequel on comprend qu’il a entretenu une relation tumultueuse et dont il nous livre au compte-goutte les détails de sa biographie au fur et à mesure qu’il retrouve et interroge des personnes qui l’ont connu. Seulement Vivonne a disparu depuis plusieurs années maintenant et tenter de le retrouver dans un monde en pleine déliquescence s’apparente presque à chercher une aiguille dans une meule de foin. Le roman alterne entre des passages mettant en scène Alexandre Garnier et sa quête de son ami poète, des chapitres exclusivement consacrés à l’enfance et au parcours de Vivonne (souvent racontés par des femmes qui l’ont bien connu) et des scènes consacrées à Chimène, une jeune femme enrôlée par un groupe para-militaire d’extrême-droite qui observe avec un certain détachement le monde sombrer peu à peu dans le chaos et paraît, elle aussi, s’intéresser de près à l’œuvre du poète.

Le pouvoir des mots

Le roman de Jérôme Leroy n’est certainement pas de ceux qui vous remonteront le moral et vous redonnent foi en l’avenir. Le futur proche tel que dépeint ici ne fait en effet pas vraiment rêver : les « Dingues » (sous entendu l’extrême-droite) sont arrivés au pouvoir en France (tiens, tiens…), des groupes armés émergent de partout et se livrent des combats acharnés pour prendre position dans les plus grandes villes de France (des fachos, bien sûr, mais aussi des antifas, des zadistes ou encore des islamistes), tandis que la multiplication de catastrophes naturelles d’une intensité sans précédent donne le coup de grâce à un monde déjà en sursis. Bref, pas de quoi se réjouir. Les chapitres consacrés à Chimène sont très certainement les plus sombres et les plus violents, la jeune femme évoluant au sein d’un groupe de tendance clairement fasciste, saupoudré d’un peu de folklore celte et de beaucoup de barbarie. En dépit de cette toile de fond résolument sinistre, le roman n’est pas pour autant complètement négatif, loin de là. Le personnage de Vivonne fait en effet figure de véritable lumière, capable de repousser les pires ténèbres par sa poésie. Les chapitres qui lui sont consacrés sont ainsi beaucoup moins anxiogènes, presque tendres, et c’est avec beaucoup de curiosité et de plaisir que l’on découvre le parcours atypique de cet écrivain dont les œuvres possèdent manifestement des pouvoirs cachés et sont même parvenues à poser les fondations d’une véritable utopie. Les deux protagonistes étant respectivement auteur et éditeur, Jérôme Leroy accorde une grande importance au milieu littéraire dont on découvre d’une certaine manière les coulisses, entre manœuvres éditoriales, distribution en librairie ou encore rencontre en médiathèque (le personnage fait d’ailleurs une excursion en Sarthe, et il est toujours amusant de reconnaître des lieux familiers mis en scène dans un roman). Bien rythmée, l’intrigue ne connaît aucun véritable temps mort et parvient à captiver jusqu’au bout. Le seul aspect sur lequel je serai plus réservée concerne la place accordée aux personnages féminins qui, Chimène à part, sont certes bien présentes mais uniquement en tant que compagnes de l’un ou l’autre des protagonistes, et souvent renvoyées à leur physique.

« Vivonne » est un roman post-apo dépeignant la quête désespérée d’un vieil éditeur pour retrouver la trace d’un ancien ami et auteur de génie dans le chaos dans lequel notre monde est en train de sombrer. Un cadre résolument sombre, donc, mais dont le sinistre est atténué par le personnage de Vivonne qui fait office de véritable bouffée d’air frais. Que ce soit au niveau de l’intrigue, du décor, des personnages ou encore des thématiques abordées, le roman de Jérôme Leroy est une véritable réussite qui, s’il ne dépeint pas un futur agréable, laisse au moins entrevoir une petite lueur d’espoir en (ré)investissant la littérature d’un pouvoir puissant et merveilleux.