Science-Fiction

Hard Mary

Titre : Hard Mary
Auteur/Autrice : Sofia Samatar
Éditeur : Argyll (collection RéciFs)
Date de publication : 2025 (avril)

Synopsis :  La nuit de Noël, dans un village de Pennsylvanie appelé Jericho, les filles d’une communauté religieuse découvrent un buste féminin métallique abandonné derrière une grange : un robot fabriqué par Profane Industries, une mystérieuse entreprise qui, d’après la rumeur, cultive des moutons comme s’il s’agissait de légumes. Loin d’être effrayées, Lyddie et ses amies adoptent en cachette le robot et lui donnent un nom : Hard Mary. Sous leur aile bienveillante, l’étrange machine se comporte de plus en plus comme une humaine. Toutefois, même dans une communauté repliée sur elle-même, les secrets ne restent jamais longtemps des secrets… Les murs de Jericho résisteront-ils aux sirènes du changement ?

Lève-toi. Habille-toi. Lave-toi dans le noir. Allume la lumière en bas, puis le four. Commence le pain. Le bébé se réveille. Nourris-le. Essaie de le tenir contre ton sein sans le réveiller. Réveille les garçons. Fais-les se laver. Envoie-les traire les vaches. John ne veut pas. Pousse-le. Menace-le. Papa t’aura.

Sororité humaine et robotique

Révélée en France par son roman « Un étranger en Olondre » (récemment réédité par Argyll), Sofia Samatar rejoint Margaret Killjoy, Ketty Stewart ou encore Katia Lanero Zamora et fait son entrée chez RéciFs, une nouvelle collection privilégiant le format court et réunissant des histoires de SF, fantasy et fantastique écrites par des femmes (ce qui manque cruellement dans la néanmoins excellente collection Une Heure Lumière du Bélial). L’action se passe dans une communauté religieuse américaine vivant repliée sur elle-même à proximité d’une grande entreprise spécialisée dans les nouvelles technologies. C’est là que plusieurs jeunes filles du village vont tomber sur un robot de femme, abandonné derrière une grange et doté de la parole. En dépit des risques qu’elles encourent à la fois de la part des hommes de la communauté mais aussi de Profane Industries, le petit groupe va prendre l’androïde sous son aile et tenter de le rafistoler en prenant soin de garder le secret auprès du reste du village. Désormais, elle sera Hard Mary, pas un simple morceau de ferraille mais un être pensant et conscient, une amie, même, pour certaines. Seulement la disparition de Mary ne passe pas inaperçu et, très vite, les soupçons vont se porter sur la petite communauté, au risque de venir rompre l’équilibre qui y régnait. La novella de Sofia Samatar est déstabilisante sur la forme aussi bien que sur le fonds. Concernant la forme, l’autrice opte la plupart du temps pour le point de vue de Lyddie, l’une des jeunes filles ayant trouvé Hard Mary, et insère également au début de chaque chapitre les réflexions ou les rêveries de l’androïde. Or ces dernières partent souvent dans des trips mystiques, avec de très nombreuses références bibliques, et j’ai peiné à en saisir l’intérêt et la profondeur.

Je n’ai pas mentionné toutes les interruptions. Vous devez les imaginer. Pensez à elles comme à un bruit qui ne s’arrête jamais et qui court d’une nuit à l’autre. Parfois, la seule chose que je ressens à la fin de la journée c’est un grand vide. Comme si tout cela avait été mon destin tout du long. Tant d’efforts pendant tant d’heures pour finir par m’asseoir à table, vidée. Tant de travail pour finir par s’éteindre comme un four. 

Enfermement et brèches

J’ai également été déstabilisée par les choix narratifs de l’autrice qui sous-entend énormément de choses mais sans jamais s’attarder sur aucun des aspects évoqués (c’est une novella, certes, pas un roman mais l’impression d’être restée en surface des choses est tenace). On en sait ainsi relativement peu sur cette communauté dont on ignore tout du fonctionnement si ce n’est que la technologie y est peu présente et que les femmes y occupent une position subalterne et cantonnée à l’espace privé (dans son interview présente à la fin de l’ouvrage, l’autrice explique s’être inspirée des communautés ménnonites, soit l’équivalent en un peu moins stricte des amishs, dans lesquelles elle a passé son enfance). On n’est donc pas vraiment sur du « Handmaid’s tale » mais on sent bien la pression que fait peser cette société patriarcale sur toutes les femmes qui ne peuvent envisager autre chose que le mariage et la maternité. Cet aspect du roman est celui que j’ai trouvé le plus juste et le plus émouvant, notamment lors des rares passages où on plonge véritablement dans la tête et le quotidien de Lyddie et où on réalise à la fois l’ampleur des tâches qui lui incombent (s’occuper des enfants et de la maison, avec toujours la crainte de provoquer la désapprobation de l’homme qu’elle a pourtant choisi) mais aussi l’étroitesse de la boite dans laquelle on l’a enfermée. Le personnage de Mim m’a aussi beaucoup plu, amie de Lyddie et seule à être visiblement parvenue à s’extraire de la norme dans laquelle elle a été élevée et qui prend le risque de désobéir, de s’affirmer, d’expérimenter et de faire usage de la violence. Je n’ai en revanche pas du tout accroché à ce qui touche à Hard Mary elle-même (ce pour quoi elle a été conçu et comment, ses capacités et les raisons qui l’ont conduite hors de Profane Industries…). Pour cette raison, j’ai eu du mal à comprendre l’attachement qu’est parvenu à faire naître l’androïde chez toutes ces jeunes filles qui, Lyddie et Mim mises à part, restent trop peu caractérisées pour susciter l’empathie ou l’identification.

Sofia Samatar signe avec « Hard Mary » une novella déstabilisante à l’intrigue de laquelle j’ai eu du mal à adhérer mais dont certains aspects m’ont malgré tout beaucoup plu. Relatant l’arrivée d’une femme-robot au sein d’une communauté religieuse coupée du monde, le récit parvient à mettre en lumière (mais sans jamais s’y attarder vraiment) le poids des injonctions auxquelles ces femmes sont soumises, de la même manière que l’androïde ne peut échapper à sa programmation. Une lecture atypique donc, mais intéressante.

Autres critiques : Célinedanaë (Au pays des cave trolls) ; Le nocher des livres

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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