Fantasy

La guilde des queues de chats morts

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Titre : La guilde des queues de chats morts
Auteur/Autrice : Phenderson Djeli Clark
Éditeur : L’Atalante
Date de publication : 2025 (mai)

Synopsis : Eveen est morte. Ou plutôt morte-vivante. Depuis qu’elle a été réanimée et qu’elle a rejoint la guilde des Queues de chats morts, elle sert la déesse Aeril, Matrone des assassins, en tant que tueuse à gages.
Assassins dont le serment le plus important exige que tout contrat accepté soit honoré, sous peine de s’attirer les foudres divines. Alors voilà Eveen bien embarrassée lorsqu’elle doit éliminer une jeune fille… qui lui ressemble trait pour trait.

Une guilde d’assassins…

Quel plaisir de retrouver Phenderson Djeli Clark ! Révélé en France grâce aux éditions l’Atalante à qui on doit la publication de plusieurs de ses novellas ainsi que de son roman (« Maître des djinns »), l’auteur américain signe ici un texte dans un tout nouvel univers. Bienvenue à Tal Abisi, cité portuaire florissante où le négoce va bon train, ce qui n’est pas sans favoriser l’épanouissement de tout un écosystème clandestin où les règlements de comptes sont légion. Les règlements de comptes, c’est justement le fonds de commerce d’Eveen, une jeune femme membre de la guilde des Queues de chats morts servant la redoutable déesse des assassins Aeril. Sa fonction ? Tueuse à gage. La particularité de cette guilde ? Elle n’emploie que des individus morts et ramenés à la vie par la magie de la déesse. Or, être mort et exercer un métier dangereux, ça a évidemment des avantages, même si le statut de mort-vivant s’accompagne aussi de son lot de désagréments. Les regrets, eux, n’ont pas lieu d’être puisque chaque membre de la guilde voit sa mémoire totalement effacée lors de leur résurrection, ce qui leur évite de vouloir renouer avec des proches ou de se morfondre de les avoir perdu. La « vie » d’Eveen ne va donc finalement pas si mal, jusqu’à ce qu’un nouveau contrat contracté par un riche anonyme l’ayant nommément désigné ne vienne bousculer toutes ses certitudes et mettre toute la guilde en danger. Car s’il est bien une règle que les assassins ne peuvent transgresser, c’est bien celle qui stipule que tout contrat accepté doit être honoré. Or, la cible qui lui a été désignée et qu’elle a accepté d’expédier est une jeune fille qui lui ressemble trait pour trait et dont la vision éveille des échos de son ancienne vie pourtant inaccessible. Dans ces conditions, comment remplir sa mission et, surtout, comment ne pas penser que tout cela sent le coup monté à plein nez ?

… une cité foisonnante…

La novella de P. Djeli Clark est menée tambour battant, l’héroïne bénéficiant d’une seule nuit pour résoudre le mystère auquel elle a été confrontée, le tout en tentant d’échapper à ses collègues dépêchés pour tenter de l’appréhender et d’exécuter le contrat qu’elle n’a pas voulu honorer. L’enquête d’Eveen et d’Azur, sa fameuse jumelle, les entraînera dans différents recoins de Tal Abisi, permettant ainsi aux lecteurices de se familiariser avec la ville, ses spécificités, son histoire et ses traditions. L’auteur a en effet choisi de situer son action la dernière nuit d’un festival consacré à une légende en lien avec la construction de la ville, et les références à cette histoire sont omniprésentes et contribuent en grande partie à rendre le décor convainquant et immersif. Le worldbuilding est très efficace et donne envie d’en savoir plus, que ce soit sur la cité portuaire elle-même mais aussi sur son panthéon ou ses guildes. Les investigations des deux jeunes femmes sont cependant fréquemment ralenties par les assassins de la guilde lancés à leur trousse, ce qui donne régulièrement lieu à des duels mémorables visant à se débarrasser des indésirables. L’intrigue n’est pas particulièrement complexe mais se révèle intéressante, aussi est-ce avec beaucoup de plaisir que l’ont suit la fuite en avant désespérée de ces deux femmes qui se révèlent l’une et l’autre très attachante. Toutes deux possèdent un caractère bien trempé et sont dotées d’un sens de la répartie qui n’est pas sans rappeler une autre héroïne de l’auteur. Cela donne évidemment lieu à des dialogues enlevés (agrémentés d’une bonne dose de jurons bien locaux), notamment entre les différents membres de la guilde qui possèdent chacun un style très différent et qui permettent souvent d’introduire une touche d’humour noir au récit.

… et des inspirations du côté de la culture créole

Les références à la culture créole sont quant à elles abondantes (comme c’était déjà le cas dans l’excellente novella « Les Tambours du dieu noir »), et, même si cela rend certains passages assez ardus car relevant davantage du déchiffrage que de la lecture, le choix d’utiliser cette langue mêlant des mots français, espagnol, africain ou anglais donne un certain charme au récit et permet de l’ancrer pleinement dans l’imaginaire antillais. Ces références culturelles et la mise en scène de personnages racisés qui ne sont pas ici cantonnés à des rôles subalternes contribuent à l’originalité de l’univers et permettent de donner vie à une fantasy qui, contrairement à l’essentiel de la production, puise son inspiration ailleurs que dans la culture occidentale. Cette inspiration principalement antillaise ne se ressent d’ailleurs pas uniquement du point de vue de la langue mais aussi par exemple dans les références culinaires évoquées, dans les modes de sociabilisation ayant cours au sein de certains quartiers, ou encore dans les thématiques qui affleurent à certains moments de l’intrigue. Les questions de servitude et de liberté sont en effet centrales dans le parcours d’Eveen, ce qui fait évidemment échos à l’histoire des Antilles et à la création même de la culture créole à laquelle l’auteur nous permet ici de nous familiariser quelque peu.

Avec « La guilde des queues de chats morts », Phenderson Djeli Clark nous fait découvrir un autre de ses univers, toujours emprunt de cette culture créole déjà mise à l’honneur dans certaines de ses autres œuvres, et nous entraîne dans une course contre la montre palpitante aux côtés de deux héroïnes attachantes. De l’humour, des personnages hauts-en-couleur, un décor évocateur bourré de de trouvailles ingénieuses ou amusantes : les histoires passent, les ingrédients restent les mêmes et le résultat se révèle être toujours aussi savoureux !

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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