Rage against the machisme
Titre : Rage against the machisme
Auteur : Mathilde Larrère
Éditeur : Éditions du Détour / Le livre de poche
Date de publication : 2020 / 2022
Synopsis : L’historienne Mathilde Larrère retrace les combats féministes de la Révolution française jusqu’au mouvement #MeToo d’aujourd’hui, sur les pas de Louise Michel, de Gisèle Halimi, mais aussi de tant d’autres invisibilisées, comme Pauline Léon, Malika El Fassi, les colleuses contre les féminicides… À l’histoire, le livre mêle des récits, des documents d’époque, des chansons et des slogans, reflétant l’ardeur et la détermination de celles qui n’acceptent pas l’inégalité des sexes, montrant combien elles se tiennent la main au-delà des siècles.
Le plus souvent dans l’histoire, « anonyme » était une femme. (Virginia Woolf)
« Nous qui n’avons pas d’histoire »
Mathilde Larrère est une historienne spécialiste des mouvements révolutionnaires du XIXe que certain.es connaissent déjà peut-être pour l’avoir vu dans certains médias (Arrêt sur image, notamment). Avec ce petit essai au titre fort bien trouvé, l’historienne nous propose un ouvrage rapide et facile à lire pour nous familiariser avec l’histoire du mouvement féministe. Un mouvement que l’on a l’habitude de découper en trois vagues : la première fin XIX-début XXe pour le droit de vote ; la seconde dans les années 1970 pour le droit à la contraception et l’avortement, et la troisième à partir des années 2010 avec l’émergence du mouvement Metoo et la dénonciation des violences faites aux femmes. Or, pour l’historienne, ce découpage pose problème. D’abord parce qu’il sous-entend qu’aucun mouvement féminisme n’aurait émergé avant la fin du XIXe. Or, si on comprend le féminisme comme la défense de l’égalité entre les hommes et les femmes ainsi que la dénonciation des violences et des inégalités qu’elles subissent, alors le féminisme est apparu bien avant cette période. Pour Mathilde Larrère, c’est à la Révolution qu’il faudrait remonter car c’est là que l’on trouve le début d’un processus d’organisation et d’association des femmes pour défendre leurs droits. Deuxième problème : parce que ces trois vagues sont associées à la conquête de trois droits distincts (droit de vote, droit à l’IVG, bataille du corps et de l’intime), ce découpage a pour fâcheuse conséquence d’occulter la lutte autour du droit du travail, or on verra tout au long de l’ouvrage que les femmes ont toujours travaillé et se sont toujours battues pour leurs droits au travail. L’objectif de ce livre vise donc à mettre en lumière l’histoire des luttes des femmes en France de la Révolution à nos jours, soit sur plus de deux siècles.
Femme, réveille-toi
Pour se faire, Mathilde Larrère va découper son ouvrage en onze chapitres à la fois chronologiques et thématiques. Tous sont organisés de la même manière, à savoir des précisions sur la période et sur les spécificités des revendications féministes de l’époque entrecoupées de citations. Chaque chapitre se termine également toujours par un texte datant de l’époque étudiée ou parlant du sujet, tour à tour une déclaration, une chanson, un article de presse… Ce choix d’alterner entre le récit de l’historienne, des citations et des textes, permet de rendre la lecture agréable et surtout très fluide, en dépit de l’incroyable densité de l’ouvrage. Parce que l’histoire a avant tout été écrite par des hommes (et que l’on a mis beaucoup de temps à interroger l’éviction des femmes de la sphère publique et politique) de nombreuses figures historiques féminines ont sombré dans l’oubli, alors qu’elles ont joué un rôle essentiel dans les luttes de leur époque. Et c’est absolument passionnant à redécouvrir ! Connaissez-vous par exemple qui est Madeleine Pelletier, première femme médecin diplômée en psychiatre ? Ou encore Hubertine Auclert, journaliste et militante grâce à laquelle le courant féministe tient son nom ? Savez-vous que des femmes ont été à plusieurs reprises élues à des élections municipales ou mêmes législatives à la fin du XIXe et au début du XXe malgré l’interdiction qui leur était faite de se présenter ? Avez-vous déjà entendu parler de la grève des Penn Sardines, de Pauline Kergomard, de Djamila Boupacha, ou encore du seul (pendant longtemps) monument au mort de la Première Guerre mondiale comportant le nom d’une femme (une mère, morte de chagrin). Savez-vous d’où vient la date du 8 mars pour la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes ? L’ouvrage de Mathilde Larrère fourmille de petites anecdotes, de noms de femmes inspirantes et injustement méconnues, et, par là même, propose une vision de l’histoire totalement différente de celle que l’on connaît et dont on peut mesure les immenses lacunes.
Prolétaires de tous les pays, qui lave vos chaussettes ?
Émeutière, pas ménagère !
L’historienne commence son exposé avec la Révolution française, moment important de l’histoire des femmes et dont elles ont été actrices avant d’en être finalement exclues. On y apprend notamment que les femmes ont elles aussi fait part de leurs revendications dans les cahiers de doléances (elles y réclament, déjà, le droit à l’éducation, plus de sage-femmes formées ou encore le droit au divorce) et que c’est à cette période qu’elles acquièrent pour la première fois des libertés civiles et davantage d’égalité dans le mariage. Deux choses qui disparaîtront avec le fameux code civil de Napoléon qui réaffirme que « la femme est la propriété de l’homme ». Le mariage redevient à nouveau synonyme de privation de droits pour les femmes, aussi n’est-il guère surprenant d’apprendre que la plupart des femmes qui ont joué un rôle moteur dans la lutte à l’époque étaient ou veuves ou célibataires. Mathilde Larrère rappelle aussi les étapes de détricotage de ce code civil qui prit un temps fou, et se penche sur des sujets tels que l’aliénisme (qui connaît un essor fulgurant dans la deuxième moitié du XIXe et qui prône l’enfermement pour les femmes qui seraient hystériques par nature) ou encore la prostitution, une question à laquelle l’état n’a pas toujours apporté les mêmes réponses et qui continue aujourd’hui encore de diviser les féministes (entre les abolitionnistes et celles qui défendent une reconnaissance des droits des travailleuses du sexe).
Les vagues ne correspondent finalement pas à des moments ou les femmes prennent la parole (…) mais plutôt aux rares moments où l’on daigne les écouter.
Il est temps que les femmes arrêtent d’être aimablement énervées
Cette plongée dans le XIXe permet de réaliser que, en dépit de nombreux reculs, les périodes révolutionnaires ont permis d’ouvrir des brèches importantes pour les droits des femmes, « d’où un siècle de flux et de reflux » selon l’historienne. 1848 ou 1871 permettent ainsi l’émergence de figures importantes de la lutte, de Louise Michel à Nathalie Lemel en passant par Jeanne Deroin (qui se présente aux élections législatives de 1848) ou Désirée Guy (qui siège à l’éphémère Commission du Luxembourg). Ces chapitres permettent aussi de mettre en lumière le fait qu’il existe donc bel et bien un courant féministe avant ce qu’on appelle la « première vague », et que, si les revendications des femmes sont plurielles (on parle déjà à l’époque de féminisation de la langue, de contraception ou d’égalité salariale), elles se focalisent au début du XIXe sur deux points : le droit à l’instruction et le droit au divorce. Les féministes s’attaquent ensuite au droit de vote. La IIIe République leur refuse ce droit, ce à quoi elles s’opposeront légalement (affiches, manifestations, meetings, publications…) mais aussi plus radicalement (refus de payer l’impôt, perturbation des bureaux de vote). L’historienne en profite aussi pour rappeler deux faits importants. Le premier : en France, la chambre des députés vote majoritairement pour le droit de vote des femmes à six reprises dès les années 1920-1930, mais le texte sera en permanence retoqué par le Sénat. Le second : les femmes obtiennent en même temps que le droit de vote le droit de se faire élire, ce que certaines n’avaient pas attendu pour tenter malgré tout d’obtenir un mandat. En 1848, Pauline Roland se présente ainsi aux municipales, tandis qu’aux législatives de 1910, Hubertine Auclert ou encore Marguerite Durand se présentent en tant que députées.
N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. (Simone de Beauvoir)
Plus inconnue que le soldat inconnu
L’historienne revient aussi sur l’invisibilisation des femmes dans les guerres et insiste sur le cas de la Première Guerre mondiale. Elle rappelle que, si les femmes ne combattent pas, certaines sont néanmoins bien présentes sur le front (en tant qu’infirmière ou prostituée) et qu’elles doivent endurer des conditions de travail pires que d’ordinaire, pour un salaire deux fois plus bas. On apprend aussi au cours de ce chapitre que la fin de la guerre s’accompagne dans beaucoup de foyers d’une remise au pas de l’épouse : on rétablit l’incapacité civile des femmes (levée en 1915), on enregistre une hausse massive des violences conjugales, et on les démobilise brutalement. Bien que cantonnées officiellement au foyer, l’historienne rappelle dans le chapitre suivant que les femmes ont malgré tout toujours travaillé et ont toujours lutté, et ce alors que « le mouvent ouvrier s’est construit sans elles, parfois même contre elles. ». Elle cite l’exemple de Lucie Baud, autrice de mélancolie ouvrière qui mène une grève retentissante dans le textile en 1905, ou encore celui des Penn Sardin avec Joséphine Pencalet (qui a donné lieu à une belle chanson reprise par « Nos lèvres révoltées » que je vous conseille d’écouter). Mathilde Larrère rappelle aussi toute l’évolution des droits des travailleuses devenues mères et explique que le discours sur la natalité a varié en fonction des périodes, alternant entre malthusianisme et populationnisme. Dans le chapitre intitulé « Sexe, race, luttes et colonies », l’historienne se penche sur le sort réservé aux femmes colonisées, tour à tour érotisées ou présentées comme les gardiennes des traditions, et dont les colons n’ont jamais hésité à instrumentaliser l’émancipation pour marquer leur supériorité morale. Elle développe notamment le cas de la guerre d’Algérie, évoquant la question du voile (obsession coloniale française car moyen d’affirmer leur identité pour les femmes colonisées) et du comportement de l’armée française en Algérie, notamment par le biais des parcours de Djamila Bouhired et de Djamila Boupacha.
Je rêve d’une Frane où les femmes qui parlent de viol sont plus écoutées que les hommes qui parlent de voile.
La révolution sera féministe, ou ne sera pas
Mathilde Larrère revient ensuite sur les revendications des femmes qui portent, à partir des années 1960, sur le droit à disposer de son corps. Elle rappelle la création du planning familial, le manifeste des « 343 salopes », ou encore le rôle crucial joué par le MLAC qui va jusqu’à affréter des cars à l’étranger (« Ce n’est pas du tourisme, c’est un avortement ») peut-on lire sur ces bus) et lance des « avortements Karman » (une pratique qui consiste en une IVG par aspiration et non curetage, entre femmes). Vient ensuite la question de la violence faites aux femmes mise sur le devant de la scène par le mouvement #Metoo. L’historienne procède pour l’occasion à une rapide chronologie du traitement juridique du viol depuis l’Ancien Régime, rappelant qu’il s’agit d’un crime mal défini et rarement puni. Tout change dans les années 1970, avec un courant venu des USA qui inaugure le concept de « culture du viol » et avec une affaire en 1974 (viol en réunion de deux femmes dans les calanques de Cassis) qui va mettre le sujet sur le devant de la scène et permettre à l’avocate Gisèle Halimi d’obliger la société à se confronter à la question. Elle fait aussi un point sur le viol conjugal, rendu pleinement légal par une révision du code pénale en 1832 et puni seulement depuis 2006. Le dernier chapitre revient sur les luttes actuelles qui portent beaucoup sur le corps des femmes avec la volonté de mettre fin au tabou autour des règles ou des parties génitales féminines. Elle parle aussi du mouvement ayant pris de l’ampleur pour dénoncer les violences gynécologiques (#Paye ton uterus) ou encore les injonctions vestimentaires (conquête du pantalon, mouvement « no bra »…).
En deux-cents cinquante pages, Mathilde Larrère retrace l’histoire du féminisme en France de la Révolution à nos jours. Remarquablement vulgarisé, l’ouvrage permet de se confronter à des épisodes, des figures et des thématiques que l’on ne connaît pas ou trop peu, si bien que l’on a qu’une envie une fois le livre refermé : piocher allègrement dans l’abondance bibliographie fournie en fin d’ouvrage et continuer à défricher ce champ injustement méconnu et pourtant au combien passionnant de notre histoire.
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