Fantastique - Horreur

L’agneau égorgera le lion

Titre : L’agneau égorgera le lion
Autrice : Margaret Killjoy
Éditeur : Argyll (collection RéciFs)
Date de publication : 2024

Synopsis : Après des années passées sur la route, Danielle Cain débarque à Freedom, une ville de l’Iowa squattée par des anarchistes, à la recherche d’indices sur le suicide soudain de son meilleur ami. Tout ne tourne pas rond à Freedom après que les habitants ont invoqué un esprit protecteur, un cerf rouge sang à trois bois, afin de leur servir de juge et bourreau. Mais voilà que celui-ci commence à se retourner contre ses invocateurs. Danielle espérait élucider les circonstances d’une mort mystérieuse, mais c’est peut-être bien tout une communauté anarchiste qu’elle devra sauver !

On dit toujours que l’anarchie ne peut pas fonctionner parce qu’on ne peut pas faire confiance au peuple pour se gouverner lui-même. Ce à quoi je réponds toujours : si les gens sont vraiment aussi peu fiables, comment peut-on confier à une seule personne du pouvoir sur tous les autres ?

Anarchy in the USA

Deuxième volume de la collection RéciFs lancé par les éditions Argyll, « L’agneau égorgera le lion » est une novella écrite par Margaret Killjoy dont l’un des ouvrages (« Un pays de fantômes ») avait déjà été traduit par la maison d’édition récemment. Le roman m’avait profondément marqué et mettait en scène un monde de fantasy dans lequel une petite utopie anarchiste tentait tant bien que mal de résister à un puissant empire impérialiste. Ici, si le sous-genre littéraire a dévié de la fantasy vers le fantastique, le principe reste finalement plus ou moins le même. Tout commence avec l’arrivée d’une jeune femme, Danielle, dans une petite communauté anarchiste du nord des États-Unis. C’est là que l’un de ses plus proches amis a passé de nombreuses années, et c’est donc là qu’elle espère trouver des réponses qui expliqueraient son récent suicide. La baroudeuse arrive cependant au pire des moments et découvre, stupéfaite, que certains membres de la communauté ont invoqué une créature surnaturelle devenue manifestement incontrôlable. Revêtant l’apparence d’un cerf écarlate arrachant le cœur de ses victimes et transformant les animaux du coin en sorte de zombies, la créature s’attaque à celles et ceux qui entendent exercer une domination sur les autres. Or, si son intervention fut utile pour venir à bout d’un individu devenu toxique pour la communauté, le cervidé continue de rôder dans la forêt qui entoure le petit village anarchiste et commence même à s’attaquer à ses anciens invocateurs. Au sein du groupe, la question fait débat : faut-il tenter de renvoyer l’esprit d’où il vient, ou faut-il au contraire se soumettre à son jugement ?

Gérer les rapports de domination

On retrouve dans cette novella la même volonté de pédagogie que dans « Un pays de fantômes » puisque l’autrice entreprend à nouveau de familiariser les lecteurices aux préceptes qui régissent l’anarchisme. Rien à voir toutefois avec un manuel théorique ni même avec un outil de propagande : il s’agit simplement de donner à voir une autre forme d’organisation sociale que celle à laquelle nous sommes habitués et dont nous avons perdu l’habitude de questionner la pertinence. On prend ainsi beaucoup de plaisir à découvrir comment fonctionne cette petite utopie qui expérimente une nouvelle approche de la vie en communauté, tout en devant faire face à des problèmes majeurs. Comme dans son précédent ouvrage, l’autrice n’entend pas mettre en avant une vision bisounours de l’anarchisme mais entreprend au contraire de questionner les rapports de domination entre individus et de réfléchir à des formes d’action collectives efficaces pour assurer que les droits de toutes et tous sont respectés. Or, la situation à laquelle doivent faire face les personnages ici est particulièrement tendue, au point qu’une explosion de violence n’est désormais pas à exclure chez certains individus. On s’attache très vite au personnage de Danielle dont on ne sait pas grand-chose à l’exception de son passé de nomade, mais dont la position de la nouvelle arrivante à qui il faut tout expliquer permet immédiatement aux lecteurices de s’identifier. Pour l’entourer, l’autrice a convoqué toute une galerie de personnages parfois déroutants mais qui permettent de réancrer l’intrigue et l’héroïne dans le réel tout en faisant quelque peu redescendre la tension. Le principal attrait de cette novella réside en effet avant tout dans son atmosphère très particulière, Margaret Killjoy parvenant à maintenir un climat de tension permanente qui va crescendo jusqu’à éclater enfin lors d’un final assez spectaculaire et qui laisse présager de futures aventures.

Avec « L’agneau égorgera le lion », Margaret Killjoy signe une novella efficace dans laquelle elle met à nouveau en scène une communauté anarchiste mais en prise cette fois non pas à un empire avide de conquête mais à une créature surnaturelle exacerbant les tensions régnant au sein même du groupe. Le résultat est très plaisant, notamment par son esthétique et par l’atmosphère oppressante que le texte parvient à faire naître. A lire !

Autres critiques : Célinedanaë (Au pays des cave trolls)

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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