Kid Wolf et Kraken Boy

Titre : Kid Wolf et Kraken Boy
Auteur : Sam J. Miller
Éditeur : Le Bélial (collection Une Heure Lumière)
Date de publication : 2024 (mai)

Synopsis : New York. Fin des années 1920. L’un est le Kid Wolf, jeune boxeur talentueux qui rêve de soulever la ceinture de champion. L’autre est le Kraken Boy, le plus doué des tatoueurs, un grand type nonchalant dont l’art et l’encre font merveille — littéralement. Mais les temps sont durs dans le Lower East Side de l’entre-deux-guerres gangréné par la mafia juive. D’autant que la Grande Dépression pointe son nez, et avec elle les mouvements sociaux qui se radicalisent et les briseurs de grève aux mains des syndicats qui font régner la terreur… Et puis il y a Hinky Friedman, née Rivkah Heinckmann, alias Rebecca-la-Hink, la Reine des Gangsters. Et Hinky a une vision, l’ambition d’un autre monde — meilleur, qui sait ? Or pour cela elle a un plan, un plan pour Kid Wolf et Kraken Boy, un plan pour tout changer. Mais ce que n’a pas prévu Hinky, c’est l’amour. Un amour impossible, interdit, un amour qui, lui, pourrait véritablement remodeler la face du monde…

La vie était gigantesque, tellement longue, cruelle et emplie d’horreur. Elle recelait des moments merveilleux, incroyables, et d’autres d’une innommable laideur. Toute vie valant d’être vécue comportait les premiers comme les seconds en quantité, je le savais. Je n’aurais en revanche jamais imaginé quelle profusion des deux nous attendaient, lui et moi.

Boxe, tatouage et gangsters

Avec cinquante deux numéros au compteur et une qualité qui ne faiblit toujours pas, la collection Une Heure Lumière du Bélial continue de nous offrir de belles pépites d’imaginaire, dont la dernière en date, « Kid Wolf et Kraken Boy », fait incontestablement partie. Signée Sam J. Miller (auteur de « La cité de l’orque »), la novella mêle astucieusement histoire, fantastique, et surtout romance, le tout de manière peu conventionnelle puisqu’il s’agit (pour une fois) de romance homosexuelle. L’action se déroule à New York dans les années 1920, période marquée par la crise économique, davantage de revendications sociales de la part d’une classe ouvrière exsangue, et surtout un âge d’or des gangsters (la quatrième de couverture site « Gangs of New York », pour ma part j’ai pas mal pensé à la série « Peaky Blinders »). Parmi ces fameux gangsters, une certaine Hinky Friedman est parvenue, en dépit de l’obstacle représenté par son genre, à s’imposer à la tête d’un grand réseau contrôlant la quasi totalité des combats de boxe du pays. Combats qui peuvent rapporter gros, de quoi susciter des vocations chez n’importe quel jeune boxeur avide de gloire. C’est justement le cas de Kid Wolf, jeune prodige repéré par Hinky et qui pourrait prétendre au plus grand titre américain, et ce d’autant plus que la gangster lui a déniché un avantage de poids. Cet avantage, c’est Kraken boy, un tatoueur possédant le don d’insuffler de la magie dans ses créations, améliorant ainsi telle ou telle capacité chez son client, en fonction du glyphe représenté. D’abord sur la réserve, les deux hommes constatent rapidement leur attirance mutuelle, et ce à une époque où l’homosexualité est loin d’être considérée sous un jour favorable. Avec ce duo de choc, Hinky en est pourtant sûre, de grands changements sont sur le point d’advenir. Changements qui pourraient bien dépasser de très loin le simple petit monde de la boxe, tout comme celui du banditisme.

Une belle histoire d’amour

Si le précédent roman de l’auteur ne m’avait guère enthousiasmée, ce n’est pas le cas de cette novella dans laquelle on prend beaucoup de plaisir à s’immerger. L’époque, d’abord, est très bien reconstituée, Sam J. Miller réussissant à l’aide de simples petites touches à nous faire découvrir les spécificités propres à cette période. Le portrait qui y est brossé de l’Amérique d’alors est assez ambivalent, avec d’un côté toujours cette vision d’un pays offrant quantité d’opportunités à saisir pour celles et ceux qui se montreraient suffisamment audacieux, et de l’autre la mise en lumière des aspects les moins reluisants des États-Unis (racisme, sexisme, xénophobie…). On se prend très vite d’affection pour les deux jeunes hommes qui, en dépit de leur parcours et de leur personnalité très différentes, vont tomber follement amoureux. Une histoire d’amour très touchante, sans une once de mièvrerie et qui (pour une fois là encore) ne se termine pas dans le sang et les larmes, ce qui est généralement le sort réservé aux romances gays. Chacun d’entre eux prend la parole en tant que narrateur un chapitre sur deux, ce qui permet de confronter leur point de vue tout en prenant conscience de l’intensité et de la sincérité du lien qui les unit. La petite touche de fantastique (amenée à prendre de plus en plus de place au fil de l’intrigue) est elle aussi une grande réussite et se révèle infiniment plus complexe que la simple idée de base : un tatouage = un pouvoir. La conclusion est assez étonnante (j’avoue ne pas l’avoir vu venir), l’auteur choisissant d’ouvrir l’horizon de son lecteur au-delà du milieu évoqué, mais aussi de la période mise en scène, ce qui est assez audacieux.

« Kid Wolf et Kraken Boy » est une très belle novella écrite par Sam J. Miller qui met ici en scène l’histoire d’amour entre deux jeunes hommes dans l’Amérique des années 1920, l’un exerçant en tant que boxeur, l’autre en tant que tatoueur d’un genre un peu spécial. Un duo de choc auquel on s’attache rapidement et qu’on prend plaisir à voir s’épanouir, surtout dans un contexte aussi peu favorable où les plus grand.es gangsters se livrent à des guerres sans merci, et où la violence peut surgir de n’importe où.