Mille Saisons – L’éveil du Palazzo
Titre : L’éveil du Palazzo
Cycle/Série : Mille Saisons, tome 2 [Indépendant]
Auteur : Léo Henry
Éditeur : Le Bélial
Date de publication : 2024 (août)
Synopsis : La colère gronde à Pré aux Oies, ville-monde stratifiée à l’extrême. Alors que la plèbe grouille dans le Quart Bas, la Régentine règne sans partage depuis son palais dissimulé dans les nuages. Il suffirait d’un rien pour mettre le feu aux poudres. Un rien qui pourrait bien prendre le visage de Lazario, prêt à remuer ciel et terre pour retrouver son mentor aux mains de la terrible Inquisition…
Il n’y a pas de magie, disait parfois mon Maître. Que du travail invisible. Va vider le pot de chambre.
Une ville de fantasy comme on les aime
« Mille Saisons » est le résultat d’un pari un peu fou, celui de Léo Henry qui, avec ses deux fils âgés de onze et treize ans, a décidé d’écrire une série de fantasy façon feuilleton. Régulièrement, l’auteur publie ainsi sur un blog dédié un nouveau chapitre écrit en collaboration avec les deux ados et mis gratuitement à disposition du public. Les éditions du Bélial ont quant à elles décidé de regrouper ces aventures en plusieurs tomes dont « L’éveil du palazzo » est le second. L’ouvrage ne se situe cependant pas au même endroit que le premier, et ne met pas en scène les mêmes personnages (même s’il y a des clins d’œil), si bien qu’il peut se lire de façon tout à fait indépendante (ce que j’ai donc fait). Le roman met en scène une immense cité close drastiquement hiérarchisée en plusieurs quartiers, les plus élevés étant réservés à l’élite tandis que « le Quart-Bas » abrite tout ce que la ville compte de démuni.es. C’est là que vit Lazario, un jeune garçon résidant avec son Maître dans une petite bicoque où ce dernier lui dispense un curieux apprentissage. Leur quotidien va toutefois voler en éclat lorsque des soldates de la Garde Mauve se présentent à leur porte et les accusent d’avoir donner refuge à Bavardasse, un agitateur qui commence à faire parler de lui en raison de ses discours incitant à la révolte. Lorsque son Maître se retrouve aux mains de l’Inquisition, Lazario se lance dans une quête désespérée pour le sauver. Heureusement, il trouvera au cours de ses déambulations des alliés aussi précieux qu’hétéroclytes, qu’il s’agisse d’un jeune garçon maladroit mais plein de ressources, d’un géant, de deux sœurs assassines, ou encore de toute une joyeuse bande de jeunes ramoneurs et ramoneuses. Ensemble, ils vont se retrouver embarqués dans une aventure dont ils ne soupçonnaient pas qu’elle les entraînerait si loin, jusqu’à menacer de faire s’écrouler tout l’édifice sociale inégalitaire patiemment bâti depuis des siècles par la Régentine.
Un décor et un univers foisonnants
Le roman s’adresse donc de prime abord plutôt à un lectorat adolescent. L’intrigue étant cependant relativement alambiquée, et la plume de l’auteur assez vive, deux constats s’imposent. D’abord, l’ouvrage peut très bien être lu et apprécié par des adultes. Ensuite, les jeunes lecteurs et lectrices avides de tenter l’aventure ont intérêt à être sacrément expérimenté.es. Le récit est en effet assez dense, le nombre de personnages important, et le vocabulaire employé pas particulièrement simplifié, ce qui risque de laisser sur le carreau des ados ayant peu l’habitude de lire. Pour les lecteurices assidu.es, grand.es ou petit.es, ce roman offre un excellent divertissement qui ravit autant par le soin apporté à la construction de l’univers que par l’humour omniprésent. C’est un peu comme si vous vous retrouviez dans une cité du style Wasburg ou Ciudalia, mais racontée par Terry Pratchett. Léo Henry a en effet opté ici pour une sorte de huis-clos gigantesque, puisque, si personne ne peut sortir de la cité ni ne sait ce qui se trouve en dehors de ses murs, la taille de la ville en question est tout de même suffisamment importante pour qu’on ne puisse en faire tout le tour le temps des quelques trois-cents cinquante pages que dure le récit. On prend énormément de plaisir à arpenter cette cité dont l’auteur nous dévoile les spécificités par petites touches qui permettent de renforcer toujours un peu plus l’immersion : les différents quartiers, les règles propres à chaque strate, sans oublier le rôle et les couleurs associées à chaque Garde ou encore la spécificité des six saisons qui rythment cette histoire. Du côté des personnages, l’auteur a convoqué une sacrée galerie de héros comme de méchants qu’on imagine tous très bien sortir de l’esprit de jeunes ados épris d’aventures. Plusieurs d’entre eux se succèdent à la narration, une même scène pouvant être racontée sous la forme d’une succession de points de vue, ce qui est assez original et participe à renforcer la cohésion de ce groupe de bras-cassés si attachants.
Mais pourquoi m’expliquer tout ça ? Nous sommes les crevards du Quart-Bas. Au Mitan, on reste comme des ahuris à admirer les beaux costumes et à baver devant les bons gâteaux. Jamais on aurait dû mettre les pieds ici. Si on n’avait pas rencontré Paranée et sa bande, on serait demeurés pour toujours des loufiats inconscients, des rats d’égouts, des écumeurs de tuyaux. Pourquoi me raconter tout ce que tu sais et me montrer les ficelles ? Tu crois que ça peut me rendre heureux de comprendre pourquoi je souffre ? (…) Que ça fait la moindre différence pour moi de savoir que le plan d’origine était bon, mais qu’il a mal tourné ? Qu’est-ce que ça peut me foutre, l’origine du mal, puisque le mal est là ? Tu as un plan de la prison, bravo. Tu es capable de me la décrire, super. Est-ce que ça t’avance pour nous aider à en sortir ?
Révolution et joyeux bordel
L’intrigue est solide et pleine de surprises, même si j’ai trouvé la seconde partie un peu moins convaincante. Le récit bascule en effet de plus en plus souvent dans le burlesque, et, si certaines trouvailles m’ont vraiment bien fait rire (hommage au capitaine Ripateuf !), j’ai trouvé que cette surdose de comique venait par moment gâcher la tension dramatique d’une scène ou réduisait la portée d’enjeux pourtant majeurs. On ne peut cependant s’empêcher d’être contaminé par la bonne humeur qui se dégage de ce joyeux bordel qui traite mine de rien de sujets assez politiques. L’ouvrage met tout de même en scène une révolution partie du bas pour mettre fin à un régime fondé sur une inégalité sociale devenue insupportable ! Le parti pris politique du roman saute aussi aux yeux ne serait-ce que par les choix narratifs opérés par l’auteur qui opte pour une écriture inclusive très bien maniée qui permet de ne pas invisibiliser les personnages féminins, sans pour autant sacrifier pour cela la fluidité de la lecture. Des questions très actuelles comme celle de l’identité de genre sont aussi abordées de façon tout à fait naturelle, le sujet ne faisant absolument pas débat dans l’univers du Palazzo.
Avec « Mille Saisons », Léo Henry s’est lancé dans le pari audacieux d’écrire une série de fantasy avec ses deux adolescents, les chapitres sortant régulièrement à la manière d’un feuilleton. Il en résulte ici un roman foisonnant bourré d’aventure, d’humour, de bonne humeur mais aussi de réflexion. Ce second tome pouvant être lu indépendamment du premier, je ne peux que vous encourager à plonger dans cette cité hiérarchisée à l’extrême dans laquelle règne un joyeux bazar et dont l’ordre social est sur le point d’être renversé.
Voir aussi : Tome 1
Autres critiques : Célinedanaë (Au pays des cave trolls)