Fantasy

Le nez-boussole d’Ulfänt Banderoz

Titre : Le nez-boussole d’Ulfänt Banderoz
Auteur : Dan Simmons
Éditeur : Robert Laffont
Date de publication : 2022 (septembre)

Synopsis : Dans un futur très lointain, la Terre est mourante, la Lune a quitté son orbite depuis des millions d’années et le grand soleil rouge devient plus léthargique que jamais. Le monde est fatigué. Alors que la mort de la Terre s’accélère, Shrue le diaboliste apprend qu’Ulfänt Banderoz, le plus vieux membre de la congrégation de sorcellerie et gardien de la Bibliothèque Ultime est mort. Shrue cherche à prendre possession de cette bibliothèque et à en percer les mystères. Il a tenté plusieurs fois de s’approcher des grands livres anciens, mais les lettres, les formules cabalistiques se sont dérobées tant à ses yeux qu’à sa mémoire. Parviendra-t-il enfin à découvrir les secrets et le pouvoir qui se cachent dans la Bibliothèque Ultime ? Et ainsi changer le destin funeste de la planète ? C’est sous l’impulsion de George R. R. Martin que Dan Simmons a écrit Le Nez-Boussole d’Ulfänt Banderoz, vibrant hommage aux romans que lisait, enfant, le maître de la science-fiction, à la fantasy des années 1950-1960 et au cycle de La Terre Mourante de Jack Vance.

Hommage à Jack Vance

C’est en 1950 que paraît outre-atlantique le premier tome de ce qui sera le cycle de la Terre mourante, une série de fantasy désormais culte écrite par Jack Vance. Ses romans ont marqué toute une génération de lecteurs et, aujourd’hui encore, de nombreux auteurs réputés continuent de lui rendre hommage. Ce fut le cas par exemple il y a quelques années avec les anthologies dirigées par G. R. R. Martin et Gardner Dozois (« Chansons de la Terre mourante ») qui réunissaient la fine fleur des littératures de l’imaginaire actuelle et l’invitaient à s’emparer de l’univers de Vance et de certains de ses personnages les plus emblématiques. Avec « Le nez-boussole d’Ulfänt Banderoz », Dan Simmons se prête à son tour au jeu et nous offre une novella se déroulant elle aussi sur cette Terre mourante dont il reprend les particularités et les codes. L’action démarre alors que l’agonie de notre planète semble s’accélérer dangereusement depuis l’annonce de la mort d’Ulfänt Banderoz, le gardien de la Bibliothèque Ultime, vénérable institution regroupant de précieux volumes sur lesquels tous les mages veulent mettre la main. Parmi eux, Shrue, un sorcier particulièrement retors qui est parvenu à échapper aux lynchages visant les membres de sa corporation, la population étant persuadée que l’apocalypse en cours trouve sa cause dans les manigances ourdies par les mages. C’est dans ce climat délétère que notre héros va entreprendre un voyage périlleux pour pénétrer dans la bibliothèque et tenter d’en percer le secret. Car l’une des particularités de l’institution réside dans le fait que ses ouvrages sont illisibles pour tous ses usagers, à l’exception du grand maître et de ses apprentis (ce qui est d’autant plus frustrant que les livres en question passent pour receler des sorts d’une puissance inégalable). Le problème, c’est que Shrue n’est pas le seul à s’être lancé dans cette quête, et que l’un de ses concurrents semble bien déterminé à le laisser sur le carreau.

Une aventure cocasse peuplée de personnages excentriques

Dan Simmons se livre avec cette novella à un exercice de style réussi et se réapproprie avec talent l’ambiance de l’univers de Vance. Difficile de ne pas être sensible à ce monde proche de l’extinction plein de couleurs, d’exotisme, d’aventure et de dangers, peuplé de bêtes et monstres étonnants coexistant avec des humains et des mages très éloignés de l’idéal des héros de fantasy traditionnels. La novella pullule de bonnes idées à même d’enflammer en quelques lignes l’imagination du lecteur, à commencer par cette bibliothèque aux milles secrets qui aurait pu faire l’objet d’une aventure bien plus dense encore. Pour peupler cet univers, l’auteur convoque ici une petite galerie de personnages singuliers qui séduisent moins par la profondeur de leur personnalité que par leur savoureuse excentricité, Shrue en tête. L’intrigue, elle, est habilement ficelée et réserve de belles surprises, le héros se montrant d’une rouerie particulièrement amusante pour confondre ses antagonistes. Ces derniers prennent eux aussi des formes originales (et insoupçonnées), ce qui contribue à accentuer l’humour qui imprègne discrètement l’ensemble du texte. Les dialogues sont à l’avenant, pleins de panache et d’esprit, ce qui là encore n’est pas sans rappeler la verve dont Vance faisait preuve dans l’oeuvre d’origine. Le plaisir que l’on prend à cette lecture truculente n’empêche toutefois pas de réaliser à quel point ce type de récit apparaît aujourd’hui comme vieillot, que ce soit en ce qui concerne le profil des personnages, l’univers lui-même ou encore la place (dérisoire) accordée aux personnages féminins. Cela n’empêche pas d’apprécier l’histoire, loin de là, mais permet de mesurer les profondes évolutions qui ont traversé le genre depuis plus d’un demi-siècle.

Avec « Le nez boussole d’Ulfänt Banderoz », Dan Simmons signe un bel hommage à Jack Vance et son univers de prédilection et nous décrit la quête étonnante d’un mage redoutablement malin pour percer le secret d’une bibliothèque mythique. Bien qu’un tantinet désuète, la novella propose une aventure amusante dans un univers riche et intriguant qui donne envie de se replonger dans les œuvres d’origine. Sympathique.

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.