Les six cauchemars
Titre : Les six cauchemars
Cycle/Série : La Crécerelle
Auteur : Patrick Moran
Éditeur : Mnémos
Date de publication : 2020
Synopsis : La Crécerelle est l’assassin la plus redoutée de son temps. Mais lorsque Mémoire – son ancienne amie et membre du Conseil des cités-États – la retrouve à la croisée des pistes du désert de Yobanda dans une auberge de caravaniers, la tueuse n’est plus que l’ombre d’elle-même. Mémoire lui propose de tuer cinq mages thaumaturges qui représentent une menace pour la sécurité et la cohésion des cités-États. En acceptant, la Crécerelle va replonger dans son passé, et éveiller des fantômes dont elle aurait préféré ne pas se souvenir. Mais Mémoire joue-t-elle vraiment franc-jeu ? Car après tout, la Crécerelle est elle aussi une thaumaturge et, de fait, une menace potentielle pour les cités-États. Qui, dans ce cas, est à sa poursuite ?
Tu ne sais pas ? Après la tombée de la nuit, les morts parcourent les rues de Tal Emmerak. Les rencontrer c’est les rejoindre.
Le retour de l’assassine
En 2018, Patrick Moran signait son premier roman, « La Crécerelle », et mettait en scène le personnage éponyme, une assassin et thaumaturge redoutable habitée par une entité surnaturelle la poussant au meurtre dans des proportions vertigineuses. Deux ans plus tard, l’auteur revient à son héroïne dans « Les six cauchemars », un roman situé dans le même univers mais qui peut se lire indépendamment du premier volume. Bien que n’ayant pas lu « La Crécerelle » je me suis donc plongée dans la lecture de cette nouvelle aventure qui bénéficiait lors de sa sortie de bons retours. Le roman est court (un peu plus de deux cent pages) et se révèle effectivement de bonne facture. On y fait la connaissance de cette tueuse désormais délivrée de son monstre intérieur mais rongée par les regrets et visiblement incapable de se reconstruire. C’est alors qu’elle va croiser la route d’une ancienne connaissance, désormais membre du Conseil des cités-états, et qui va lui proposer une mission. Comme d’ordinaire, celle-ci consiste à tuer. Ce qui, en revanche, la fait tiquer, c’est que ses cibles sont les thaumaturges avec lesquels elle a fait son apprentissage. Présentés comme des agents perturbateurs menaçant l’union des cités, ces puissants mages sont au nombre de cinq, tous plus différents les uns que les autres. L’un est une brute épaisse capable de tuer aussi bien par magie que par les armes, l’autre un rejeton de la noblesse avide de pouvoir tandis qu’un autre ne recherche que la connaissance, reclus dans sa tour à l’image des mages d’antan. A cela s’ajoute un homme discret évoluant dans l’ombre de son camarade bien né, et une femme dont la Crécerelle fut sans doute la plus proche, particulièrement douée pour tout ce qui a trait à la manipulation des esprits et qui entend bien laisser sa marque dans l’histoire. Les retrouver et les tuer ne sera pas une partie de plaisir, d’autant que le doute ne tarde pas à s’insinuer dans l’esprit de la tueuse : pourquoi, des « six cauchemars » qu’ils formaient lors de leur étude, serait-elle la seule à être épargnée ?
Une intrigue simple mais efficace
Le roman est court mais efficace et nous offre une aventure sympathique dans un univers de fantasy dont on se familiarise peu à peu avec les spécificités. Si la magie y fut omniprésente autrefois, peu sont ceux qui y croient aujourd’hui encore, aussi les thaumaturges en sont-ils réduits à se montrer discrets. La quête de la Crécerelle pour retrouver ses anciens camarades d’études est ponctuée de rebondissements intéressants et réguliers qui permettent au lecteur de ne jamais décrocher. Certes, le récit aurait pu être un peu plus étoffé, l’auteur se contentant d’un seul fil rouge et ne cherchant pas à complexifier son intrigue, mais cela fonctionne. Le roman alterne entre la quête de la thaumaturge et des bribes de son passé, et notamment de sa formation aux côtés de ses cibles avec lesquels elle entretient des rapports ambigus. Bien que rapidement caractérisées, ces dernières parviennent sans mal à titiller la curiosité du lecteur par leurs petites excentricités ainsi que par leur différence de style. Les scènes d’affrontements magiques sont particulièrement réussies, impressionnantes sans pour autant tomber dans la surenchère spectaculaire. Si certains coups de théâtre peuvent être anticipés, il en est d’autres qui surprennent agréablement et donnent ainsi plus d’épaisseur à un personnage en particulier ou à un aspect de l’univers. Ce dernier est succinctement dépeint, l’auteur se contentant généralement d’insister sur la démarcation entre Nord et Sud et les profondes différences entre les deux régions en terme d’organisation sociale et de mœurs. Les quelques décors traversés par la Crécerelle bénéficient néanmoins de descriptions immersives et séduisent là encore grâce à d’amusantes spécificités imaginées par l’auteur. Le style est quant à lui efficace et dynamique, notamment en ce qui concerne les dialogues qui se révèlent percutants, la Crécerelle s’exprimant de façon toujours un peu bourrue ce qui a généralement pour effet de déstabiliser ses interlocuteurs. On s’identifie aisément à cette dernière en dépit de sa rudesse et de son apparente impassibilité, un caractère difficile mais qui s’explique par la lourdeur du passé vécu et l’énorme quantité de sang versé depuis ses premiers pas de thaumaturge.
« Les six cauchemars » est un roman de fantasy somme toute assez classique mais qui tient son pari et parvient à captiver le lecteur pour la quête de cette tueuse envoyée sur la piste de cinq anciens compagnons d’apprentissage dont elle va devoir trouver les failles. Marquée par de nombreux rebondissements et des scènes d’action efficaces, la quête de la Crécerelle réunit une bonne partie de ce qui fait le charme des bons romans de fantasy : un univers intriguant, de l’aventure, et des personnages tout en nuance de gris auxquels on s’attache en dépit de tout. Une bonne surprise.
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