Fiction historique

Nickel boys

Titre : Nickel boys
Auteur : Colson Whitehead
Éditeur : Albin Michel
Date de publication : 2020

Synopsis : Dans la Floride ségrégationniste des années 1960, le jeune Elwood Curtis prend très à coeur le message de paix de Martin Luther King. Prêt à intégrer l’université pour y faire de brillantes études, il voit s’évanouir ses rêves d’avenir lorsque, à la suite d’une erreur judiciaire, on l’envoie à la Nickel Academy, une maison de correction qui s’engage à faire des délinquants des « hommes honnêtes et honorables ». Sauf qu’il s’agit en réalité d’un endroit cauchemardesque, où les pensionnaires sont soumis aux pires sévices. Elwood trouve toutefois un allié précieux en la personne de Turner, avec qui il se lie d’amitié. Mais l’idéalisme de l’un et le scepticisme de l’autre auront des conséquences déchirantes.

Les garçons auraient pu devenir tant de choses si cette école ne les avait pas anéantis. Naturellement, tous n’étaient pas des génies, mais ils avaient été privés du simple plaisir d’être ordinaires. Entravés et handicapés avant même le départ de la course.

Destins brisés

En 2017, Colson Whitehead raflait le prix Pulitzer avec « Underground Railroad », un roman consacré à un réseau d’entre-aide clandestin mis en place aux États-Unis et qui visait à faciliter l’évasion des esclaves du Sud vers les régions plus accueillantes du Nord. Trois ans plus tard, il revient avec « Nickel boys » à la question du passé raciste de l’Amérique en s’attaquant à la ségrégation raciale. Nous sommes dans les années 1960 et faisons la rencontre d’Elwood Curtis, un jeune garçon noir fasciné par le message de Martin Luther King et dont l’intelligence et la curiosité incite l’un de ses professeurs à l’encourager à poursuivre des études supérieures. Engagé dans la lutte pour les droits civiques, Elwood a de grandes ambitions pour la suite de son parcours. Seulement l’adolescent est noir, et dans l’Amérique ségrégationniste le moindre faux pas peut s’avérer fatal. Arrêté par hasard pour un crime qu’il n’a pas commis, le jeune homme est envoyé à Nickel, une maison de redressement accueillant les délinquants mineurs. Évidemment, noirs et blancs sont consciencieusement séparés à l’arrivée, et les conditions de vie et de travail des noirs sont bien plus éprouvantes puisqu’ils passent après tout le monde. Privation de nourriture, locaux insalubres, tortures, isolement, viol, parfois : Elwood va se retrouver confronté à l’injustice la plus total et à l’arbitraire de surveillants racistes jusqu’à la moelle. Les pensionnaires n’ont bien souvent aucune famille, ou alors celles-ci sont totalement démunies, ce qui laisse aux encadrants de la maison de correction toute la latitude pour les « discipliner » à la marnière forte, et tant pis si parfois certains ne reviennent jamais de leur session de punition. C’est dans ce contexte qu’Elwood va faire la rencontre de Turner, l’un des rares garçons avec lequel il parvient à se lier et qui connaît Nickel pour y avoir plusieurs fois séjourné. Moins idéaliste et plus pragmatique, Turner va être déstabilisé par la détermination de son nouveau camarade à ne pas courber l’échine et à vouloir dénoncer les conditions cauchemardesques de l’institution. Mais nous sommes dans l’Amérique ségrégationniste des années 1960…

Une plongée suffocante dans l’Amérique ségrégationniste

Le roman de l’auteur s’inspire de la véritable histoire d’une maison de correction installée en Floride, la Dozier Scholl for boys. De nombreux reportages y ont été consacrés, notamment après la découverte d’un cimetière rempli de dépouilles anonymes, enterrées à la va vite et ayant pour la plupart succombé à de mauvais traitements. Tout comme « Underground Railroad », le roman est dur et, si la violence y est sans doute moins ostensible et plus insidieuse, elle n’en remue pas moins les tripes. Par le biais de menus détails qui pourraient paraître anecdotiques, Colson Whitehead dresse le portrait terrible d’un pays dans lequel une large partie de la population est en réduite à devoir courber sans arrêt l’échine et se voir exclu partout, tout le temps. L’auteur ne s’attarde jamais longuement pour décrire le contexte de l’époque et opte plutôt pour de brèves mentions qui permettent de se rendre compte de ce que la population noire doit subir au quotidien. On apprend ainsi de façon anodine que l’arrière-grand père d’Elwood a perdu la vie pour avoir déplu à une blanche. Que le restaurant dans lequel la grand-mère de ce dernier travaille n’a jamais accueilli une seule personne de couleur. Qu’une grande partie de ce qui est destiné aux élèves noirs de Nickel ne parvient jamais aux pensionnaires et est immédiatement revendu… Le roman fourmille de ces petites scènes qui mettent le lecteur extrêmement mal à l’aise et permettent de réaliser que le racisme fait partie intégrante de l’histoire des États-Unis, et que la fin de la ségrégation n’implique pas pour autant la fin de l’injustice. Si le récit est fort j’ai eu toutefois tendance à le trouver moins poignant, du moins jusqu’aux trente dernières pages qui font l’effet d’un véritable uppercut. On sort finalement aussi bouleversé par le récit de ce jeune homme prometteur en passe d’être brisé par le racisme que par celui de la jeune femme qui fuyait sa plantation du sud en quête d’un état qui l’autoriserait à vivre libre. Les époques ne sont pas les mêmes, mais les trajectoires s’avèrent aussi tragiques et permettent de rendre un vibrant hommage à ces hommes et ces femmes que l’esclavage et les lois raciales ont brisé dès leur plus jeune âge.

Dans la droite lignée d’« Underground Railroad », « Nikel boys » est un roman poignant et violent qui expose à quel point l’histoire des États-Unis est empreinte de racisme. En se focalisant sur le parcours de ce jeune homme plein d’avenir en passe d’être détruit par son passage dans une maison de correction où sa dignité est sans cesse bafouée, Colson Whitehead permet également de prendre conscience du nombre incalculable de vies brisées par cet impitoyable système que fut la ségrégation. Un système dont les effets se font aujourd’hui encore cruellement ressentir.

Autres critiques :  ?

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

3 commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.