Le royaume de Pierre d’Angle, tome 1 : L’art du naufrage
Titre : L’art du naufrage
Cycle/Série : Le royaume de Pierre d’Angle, tome 1
Auteur : Pascale Quiviger
Éditeur : Rouergue / Folio SF
Date de publication : 2019 / 2023
Synopsis : Après deux ans à sillonner les mers en compagnie de son équipage, le prince héritier Thibault se résigne à rentrer à Pierre d’Angle. Bientôt, il le sait, il sera appelé à régner sur ce royaume admiré de tous. Mais, lors d’une escale, une passagère clandestine se glisse à bord du navire, bouleversant le quotidien des matelots. Le retour sera d’autant plus agité que le royaume de Pierre d’Angle, pacifique et prospère depuis plusieurs règnes, dissimule un terrible secret sur le point d’éclater au grand jour.
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Deux inspirations, deux ambiances
Bien que récompensé en 2019 par le prix Elbakin (catégorie jeunesse, ce qui n’est pas précisé par l’éditeur), le premier tome de la tétralogie « Royaume de Pierre d’Angle » était totalement passé sous mes radars. Sa réédition en poche chez FolioSF, ainsi que la superbe couverture signée Aurélien Police qui l’accompagne, m’ont finalement permis de découvrir cette série signée par Pascale Quiviger, autrice canadienne. Tout commence comme un récit d’aventure maritime qui flirte agréablement avec les « Aventures de Jack Aubrey » de Patrick O’Brian ou les « Hornblower » de C. S. Forester. L’action se déroule principalement sur le pont d’un navire dont on se familiarise peu à peu avec les membres d’équipage et le capitaine. Un capitaine d’un genre un peu particulier puisqu’il s’agit de l’héritier du trône d’un royaume nommé Pierre d’Angle, paisible petite île se tenant sagement à l’écart des troubles et complots qui agitent le continent. Or, si Thibaud, l’héritier en question, s’est résolu à prendre la relève de son père une fois le moment venu, il est bien décidé à passer le plus de temps possible en mer avant que ses devoirs ne se rappellent à lui. Ses projets vont se retrouver bouleverser par deux événements inattendus. D’abord, l’arrivée à bord d’une passagère clandestine originaire du Sud qui ne le laisse pas indifférent et dont il va favoriser l’intégration au sein de l’équipage. Ensuite, l’annonce de la nécessité pour lui de regagner en toute hâte Pierre d’Angle avant que le chaos ne s’abatte sur son île. Le roman comporte ainsi deux parties bien distinctes aux ambiances totalement opposées, avec d’un côté un récit d’aventure empruntant tous les codes du roman maritime, et de l’autre une intrigue et un décor de fantasy tirant davantage leur inspiration du côté des contes de fée. C’est la raison pour laquelle, en dépit de la curiosité qu’est parvenue à éveiller chez moi la première moitié du roman, je ressorts de cette lecture avec un sentiment très mitigé, et un enthousiasme limité pour poursuivre la série.
Une intérêt qui va déclinant
Tout commençait pourtant bien. Le choix d’un navire d’exploration comme porte d’entrée de l’univers était astucieux de la part de l’autrice qui entendait dans un premier temps familiariser le lecteur avec l’équipage et son quotidien. Au fil du voyage, on découvre ainsi progressivement qui sont les figures les plus marquantes, mais aussi comment fonctionnent les différents rôles stratégiques dans un vaisseau s’apparentant à une frégate du XVIII ou XIXe, qu’il s’agisse de celui de charpentier, cuisinier, gabier, mousse ou médecin de bord. La prise en charge médicale des hommes du navire figure d’ailleurs au coeur de la première partie puisqu’il s’agit du moyen privilégié par la passagère clandestine pour s’intégrer rapidement à l’équipage. Là encore, difficile de ne pas penser à Patrick O’Brian et son célèbre personnage de Stephen Maturin, ce qui est loin pour me déplaire. Et puis arrive le point de bascule, celui qui rend nécessaire pour le capitaine de quitter la mer pour regagner sa terre natale. Le changement d’ambiance est un peu rude à encaisser, d’autant que Pierre d’Angle soutient mal à la comparaison. On y découvre un univers de fantasy somme toute très classique, avec des querelles entre puissants pour l’obtention de la couronne, mais aussi une obscure malédiction faisant peser sur l’île un climat de tension et de non-dits. D’un récit d’aventure maritime on passe alors à de traditionnelles intrigues de cour, avec des aristocrates hypocrites et retors qui vont tout faire pour mettre des bâtons dans les roues des protagonistes. L’intrigue se fait progressivement plus prévisible et moins captivante tout en gagnant considérablement en mièvrerie. Cet aspect, bien que se manifestant déjà de temps à autre dans la première partie, finit progressivement par devenir un véritable frein à la lecture. L’histoire d’amour entre le Thibaud et Ema est ainsi ridiculement niaise et simpliste, le paroxysme étant atteint avec la magie de l’« amour véritable », concept digne d’un vieux (mauvais) Disney.
Des personnages naïfs et trop peu étoffés
La candeur du héros ne se limite cependant pas à sa relation avec sa compagne, puisqu’on la retrouve également dans la manière dont il gère le royaume. L’amateurisme et la naïveté dont il fait preuve participent là encore à décrédibiliser l’intrigue qui aborde pourtant des sujets intéressants mais qui pâtissent d’une simplification à l’extrême. La question du racisme est ainsi rapidement évoquée (Ema, la fameuse passagère clandestine, est noire), mais de façon un peu maladroite et toujours sous un angle individuel. En effet, les comportements ou remarques racistes auxquels la jeune femme se retrouve confrontée sont toujours l’œuvre d’un individu isolé, si bien qu’on se demande d’où cela sort puisque les autres semblent totalement indifférents à sa couleur de peau (ce qui semble encore moins crédible quand on sait que le peuple dont est originaire Ema est soumis à l’esclavage dans certaines parties du monde). L’autrice tente également d’accorder une place déterminante aux personnages féminins mais, là encore, la sauce ne prend pas, ces dernières étant complètement stéréotypées (on assiste quand même à une scène assez surréaliste au cours de laquelle le prince fait le choix de remplacer tous les membres de son conseil par des femmes parce que, c’est bien connu, les femmes sont sages, douces et désintéressées, là où leurs homologues masculins sont égoïstes et cupides… Et ça marche !) Je passe aussi sur les nombreuses descriptions des splendides robes de l’héroïne, ainsi que sur la très maladroite tentative d’aborder les violences qu’elle a pu subir. Cette naïveté qui imprègne l’œuvre se manifeste aussi dans les relations que les personnages entretiennent les uns avec les autres et même dans leur personnalité. Les membres d’équipage aussi bien que les habitants de Pierre d’Angle sont en effet tous caractérisés de façon très brève et surtout très insuffisante pour leur permettre d’acquérir une véritable épaisseur ou profondeur.
Premier tome de « Royaume de Pierre-d’Angle », une tétralogie signée Pascale Quiviger, « L’art du naufrage » est un roman au début prometteur flirtant avec les grands récits d’aventure en mer, mais qui s’effondre progressivement dans sa deuxième partie suite à un changement d’ambiance radicale et à un retour aux archétypes du conte. La mièvrerie des personnages, associée au manque de profondeur de l’univers, ne poussent malheureusement pas à poursuivre avec les autres tomes, et ce malgré le cliffhanger qui vient clôturer ce premier tome. Mais peut-être cela est-il du tout simplement à une erreur de classement, le roman étant édité en poche en littérature adulte, et ce alors même qu’il vise clairement davantage un public adolescent.
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