Terra humanis
Titre : Terra humanis – Récit d’un XXIe siècle utopique
Auteur : Fabien Cerutti
Éditeur : Mnémos
Date de publication : 2023 (juin)
Synopsis : Aux côtés de la jeune et brillante Rébecca Halphen, de Luc Lavigne, son mari, et de la dizaine d’étudiants internationaux qui composent leur groupe d’amis, Fabien Cerutti nous propose de vivre jusqu’en 2109 le destin haletant, profondément humain et tumultueux, de Terra Humanis, un mouvement politique planétaire dont l’objectif est de faire dévier notre XXIe siècle de la trajectoire dystopique qu’il semble destiné à suivre. Particulièrement en matière climatique.
Quelques clics sur internet, un bulletin de vote, cela pouvait suffire à changer le monde.
Et si la lutte contre le réchauffement climatique était victorieuse ?
Après une série mettant en scène un mercenaire évoluant dans une France médiévale dans laquelle cohabitent humains et créatures merveilleuses, Fabien Cerutti change de registre puisque son nouveau roman relève de la science fiction, et plus spécifiquement de l’anticipation politique et écologique. Le sous titre de l’ouvrage est d’ailleurs assez révélateur puisqu’il s’agit pour l’auteur de proposer le « récit d’un XXIe siècle utopique ». Un sous genre qui a décidément le vent en poupe en ce moment dans la littérature imaginaire française puisqu’on dénombre ces derniers mois plusieurs parutions ayant également opté pour ce parti pris, à rebours de la mode dystopique qui prévaut depuis des années (je vous conseille notamment les très bons « Eutopia » de Camille Leboulanger et « Cité d’ivoire » de Jean Krug). Ici, Fabien Cerutti mise sur une sorte d’« odyssée mosaïque », à savoir un récit qui retrace les principales évolutions politiques et écologiques ayant marqué l’histoire mondiale tout au long du XXIe et ayant permis de sauver la planète du réchauffement climatique. Vaste programme ! Le roman se focalise sur la personne de Rébecca Halphen et sur celle de son mari, Luc Lavigne, tous deux dotés d’une intelligence exceptionnelle qui vont leur permettre de cerner ce qui pourrait fonctionner ou non à l’échelle internationale pour lutter contre le réchauffement climatique. Entourés d’une dizaine d’ami.es qu’ils ont côtoyé à l’université et originaires d’un peu partout dans le monde, tous deux vont se lancer dans la création d’un mouvement planétaire apolitique se focalisant exclusivement sur l’écologie et visant à obtenir la majorité dans le plus de pays possible afin de mettre en place les mesures nécessaires à la préservation de la vie sur Terre.
Une utopie peu crédible
L’auteur prévient le lecteur dès l’incipit : « chaque lecteur risque d’aborder cette histoire avec ses présupposés, ses marottes et ses positions politiques ». Bingo ! C’est l’une des raisons (mais pas la seule) pour laquelle je n’ai pas été du tout réceptive à ce roman. Mes présupposées et positions politiques je les connais bien, et elles sont effectivement en totale opposition avec ce qui est mis en avant dans l’utopie de Cerutti, à savoir qu’écologie et politique seraient deux choses différentes. La distinction qui est faite ici entre les deux me paraît assez aberrante et donne lieu à des propositions surréalistes à base de : « nous on ne s’occupe que de l’écologie, vous, que vous soyez de droite ou de gauche, on vous laisse vous occuper du reste sans intervenir ». Comme si la façon dont on produit, dont on se déplace, dont on consomme, dont les richesses sont réparties étaient au fond des questions marginales n’ayant pas de lien avec la préservation de la planète. J’avoue avoir été dubitative pendant la quasi totalité du roman qui nous présente une utopie à laquelle je n’ai pas cru une seconde, et ce d’autant plus que l’auteur met un sacré bout de temps à parler de ce qui fâche et ce qui constitue pourtant le cœur du sujet : concrètement, on fait quoi pour lutter contre le réchauffement ? Il faut en effet attendre les cent premières pages pour que les personnages se posent enfin des questions sur les limites de leur mouvement, sur les méthodes qu’ils sont prêts à tolérer pour que leur but ultime soit atteint, et surtout sur les mesures concrètes qui doivent être prises, autant d’aspects qui avaient été totalement passés sous silence jusqu’ici.
Au final, si nous parvenons à stabiliser le réchauffement, ce sera – de manière assez surprenante, je vous l’accorde – grâce aux marchés financiers.
Le retour du mythe du saveur (ou de la sauveuse, en l’occurrence)
On sent bien que l’auteur s’est documenté sur la question, en témoigne d’ailleurs la bibliographie sélective qu’il donne en fin d’ouvrage, mais cela n’en rend malheureusement pas l’utopie plus crédible. Car outre le fait qu’elle occulte tout l’aspect politique de la lutte pour la préservation de notre planète, la « révolution » verte imaginée par Fabien Cerruti se heurte à deux obstacles de taille qui entament un peu plus sa crédibilité. La première est qu’elle repose sur l’aboutissement d’une multitude d’innovations technologiques qui, si elles sont effectivement déjà engagées, ne seront vraisemblablement pas suffisantes pour compenser l’impact du réchauffement et ses conséquences imprévisibles. La seconde réside dans le fait que tout cet édifice, ce gigantesque mouvement planétaire, ne repose que sur les épaules d’une personne. Alors certes, c’est une sacrée tête, la Rebecca Halphen, d’autant que son intelligence s’accompagne d’une grande ambition et d’un caractère altruiste. Et ça aussi, ça m’a beaucoup gonflé. Rebecca, c’est un peu Jésus Christ version XXIe siècle : l’humanité avait besoin d’une personnalité forte et extraordinaire capable de la guider sur le chemin de la rédemption, et la voilà ! Son rôle est déterminant et elle le sait, l’humilité n’étant définitivement pas au nombre de ses qualités puisqu’elle multiplie les remarques sur son intelligence acérée, le fait qu’elle a tout prévu, tout anticipé, et que c’est dans la poche, elle sauvera le monde.
Une intrigue et des personnages survolés
Parmi les autres aspects du roman qui m’ont rebutée, j’ai également eu du mal avec la construction narrative choisie par l’auteur qui opte ici pour des chapitres très courts et qui ne se suivent pas chronologiquement. On passe ainsi notre temps à faire des allers-retours dans le temps, sans que cela n’apporte rien à l’intrigue puisque ces sauts dans le futur ou ces flash-backs ne nous livrent que peu de surprises à même de bouleverser l’intrigue. Cette dernière se révèle par conséquent assez plate et tarde à se mettre en place pour prendre dans le dernier tiers un tournant totalement inattendu et un peu perturbant. Difficile d’en dire plus sans gâcher la surprise mais disons que le brusque passage d’une anticipation « politique » se voulant réaliste à de la pure science-fiction a de quoi déstabiliser, au point qu’on a presque l’impression d’avoir affaire à un autre récit, déconnecté du reste du roman. Le manque d’enthousiasme ressenti face à l’intrigue s’étend malheureusement aux personnages qui sont traités de façon bien trop succincte pour posséder une réelle profondeur. Certains ne font leur apparition que le temps d’un ou deux chapitres afin de permettre à l’auteur de révéler ce qui se passe ailleurs qu’en Europe (sur le continent africain et en Russie, notamment), et il est rare qu’on les retrouve ensuite, ce qui, là encore, se révèle assez perturbant. Tout tourne finalement autour de Rébecca et son mari qui sont les deux seuls personnages à être développés, mais la première s’avère trop arrogante et le second trop naïf pour parvenir à susciter l’empathie du lecteur, au point que même les tragédies qu’ils traversent ne parviennent pas à éveiller la moindre sympathie.
Avec « Terras humanis », Fabien Cerutti s’essaye à la science-fiction et propose le récit d’un « XXIe siècle uchronique » dans lequel le problème du réchauffement climatique a été résolu grâce au cerveau exceptionnel d’une jeune française et au succès du mouvement planétaire qu’elle a lancé. Une uchronie certes tentante mais que je ne suis pas parvenue à trouver crédible, le caractère politique de l’écologie étant volontairement laissé de côté. L’intrigue et les personnages ne m’ont pas emballée non plus, tout comme la construction narrative du roman à coté duquel je suis manifestement totalement passée.
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