Trois battements, un silence
Titre : Trois battements, un silence
Auteur : Anne Fakhouri
Éditeur : Argyll
Date de publication : 2023 (avril)
Synopsis : Difficile d’échapper à son héritage familial quand, comme Marco Delusi, on grandit au sein d’une famille dysfonctionnelle dans laquelle être un homme signifie haïr les femmes. Seul son oncle Ray lui montre de l’affection et l’initie à la magie du monde et de celles et ceux qui le peuplent, habitants de l’ombre autant que de la lumière. Après la mort de Ray, Marco vit à l’écart de la société. Celle-ci se rappelle toutefois à son bon souvenir quand son fils disparu huit ans plus tôt revient dans sa vie. Ce retour laisse alors surgir un passé qu’il préférait oublier. Pour sauver son garçon, Marco sait qu’il lui faudra mettre fin à la malédiction qui pèse sur les hommes de sa famille et accorder son cœur au rythme des autres. Pourquoi pas à celui de Hannah, son premier amour… Le temps, peut-être, de trois battements et d’un silence.
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Un héritage familial lourd à porter
Absence depuis près de dix ans de la scène de l’imaginaire français, Anne Fakhouri faisait cette année son grand retour en fantasy avec « Trois battements un silence ». Un roman publié, hélas, de façon posthume puisque l’autrice s’est éteinte quelques mois seulement avant la publication de son livre, ce qui n’est évidemment pas sans lui conférer une aura un peu particulière. Présenté comme un « conte pour adulte », le roman met en scène un certain Marco Delusi, un homme vivant reclus dans un village du fin fond de la France et qui ressasse la disparition de son fils. Le personnage semble également être à même de discerner les créatures féeriques qui évolueraient à la lisière de notre monde et pour lesquelles il éprouve visiblement une grande aversion. Son quotidien va être bouleversé par le retour inattendu du bébé disparu il y a pourtant des années, ainsi que par une agitation manifeste de certains de ces êtres surnaturels qu’il parvenait jusqu’à présent à maintenir à distance mais qui semblent désormais décidés à passer à l’action. Pour sauver son enfant, Marco va devoir trouver des alliés et, pour se faire, se débarrasser des tropismes sexistes et violents inculqués par les hommes de sa famille. Il va lui falloir également remonter aux origines de la prestigieuse lignée dont il est issu et qui remonterait au seigneur Raymondin de Lusignan et surtout à Mélusine, puissante fée honnie par ses descendants. Le roman est divisé en sept parties plus ou moins égales qui portent chacune le nom d’un des personnages de l’intrigue, quant bien même le point de vue reste la plupart du temps celui de Marco. Ces blocs sont d’une qualité très inégale, certains traînant considérablement en longueur et donnant l’impression que l’intrigue patine, tandis que d’autres se révèlent absolument captivants. Il en résulte un roman intéressant mais un peu bancal, qui ne donne pas toujours l’impression de savoir où il va dans un premier temps mais qui parvient malgré tout à titiller la curiosité du lecteur, puis à totalement le conquérir grâce à une poignée de personnages charismatiques.
Un roman inégal
La première partie remplit à mon sens pleinement son rôle d’appât, distillant ici ou là des remarques sibyllines sur les fées ou le passé du protagoniste qui donnent inévitablement envie au lecteur de percer les secrets de la famille Delusi. L’histoire se perd malheureusement ensuite, au point d’en devenir quelque peu brouillonne et de se focaliser sur les aspects les moins captivants de l’intrigue initiale. Le récit alterne entre des flashbacks remontant à la formation du héros et censés nous ouvrir les portes du monde surnaturel que Marco connaît visiblement bien, et des passages consacrés à sa fuite et à sa recherche d’alliés susceptibles de l’éclairer sur les bouleversements en cours et de l’aider à protéger son fils. Seulement l’autrice se montre trop avare en informations, ce qui rend difficile pendant un long moment pour le lecteur de cerner les enjeux et de comprendre le rôle et les capacités de chacun des acteurs du drame en train de se jouer. A ce petit ventre-mou succède ensuite le dernier tiers du roman qui se révèle être, de loin, le plus intéressant. En effet, l’intrigue se décentre alors du regard de Marco pour se focaliser sur les deux figures qui, dès le départ, étaient celles pour lesquelles on éprouvait soit le plus de sympathie, soit le plus de curiosité, à savoir Ray, l’oncle un peu farfelu de Marco, et Mélusine, son ancêtre. Ce basculement de point de vue s’avère extrêmement salutaire pour l’histoire qui prend alors toute son ampleur et permet à l’autrice de livrer deux récits à la fois plus intimistes mais aussi plus puissants. La force du récit consacré à Ray réside dans le profond attachement que l’on ne manque pas d’éprouver pour le personnage et dans sa capacité à nous émouvoir. Une capacité dont, jusqu’à présent, les autres personnages étaient dépourvus, Marco compris.
Un changement de perspective salvateur
Difficile en effet de s’attacher à cet homme pétri de colère qui déverse en permanence sa haine de tous, et surtout de toutes. On comprend très vite que le petit a grandi dans un milieu familiale malsain et violent, dans lequel les femmes sont les grandes absentes et dont les hommes ont tous été élevés dans une véritable aversion de l’autre sexe. Bien que ne s’inscrivant pas dans le schéma familial traditionnel des hommes de sa famille, Marco n’en n’a pas moins intégré certains réflexes et son regard sur les femmes s’en trouve inévitablement orienté. Cette hostilité manifestée à l’encontre de la gente féminine se révèle parfois assez lourde à supporter, d’autant qu’aucun point de vue alternatif ne vient contrebalancer la violence de la vision sexiste portée par les membres de la famille Delusi. Seul Ray semble avoir totalement échappé à ce biais, et c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles le récit de son histoire fait figure de bouffée d’air frais. Il faudra toutefois attendre la toute dernière partie du roman pour avoir enfin le point de vue d’une femme, et pas n’importe laquelle, puisqu’il s’agit de Mélusine elle-même. Le roman prend alors effectivement des allures de conte et se voit traverser par un puissant souffle qui non seulement relance l’intérêt de l’intrigue mais surtout l’enrichit en lui donnant une profondeur nouvelle. On y retrouve la synthèse des différentes thématiques abordées par l’autrice, qu’il s’agisse de celle des rapports de domination au sein des relations hommes-femmes, de la violence que ces rapports peuvent engendrer, ou encore celui de la parentalité, des bouleversements qu’elle engendre et des émotions insoupçonnées qu’elle fait naître. Cette dernière partie, toute en finesse et en sensibilité, permet de refermer le roman sur une note d’autant plus positive que la conclusion se révèle être parfaitement à la hauteur, laissant le lecteur aux prises avec des sentiments mitigés, mélange de satisfaction et de mélancolie.
Avec « Trois battements, un silence », Anne Fakhouri signe une œuvre posthume marquante qui, en dépit d’une intrigue dans un premier temps un peu bancale et de personnages peinant à susciter l’émotion, parvient finalement à toucher le cœur du lecteur en se décentrant quelque peu du regard du protagoniste. La seconde partie du roman se révèle à plus d’un titre bouleversante et permet d’apporter une touche de nuance et de complexité bienvenue, tout en mettant en lumière deux figures jusqu’ici assez marginales mais finalement très touchantes. En dépit de ses défauts, le roman d’Anne Fakhouri nous entraîne ainsi dans une sorte de parenthèse enchantée, certes pleine de drames et de violence, mais aussi empreinte d’une poésie au charme de laquelle il est difficile de résister.
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