Fantasy

Neighian, tome 1

Titre : Neighian, tome 1
Auteur : Louise Jouveshomme
Éditeur : Mnémos
Date de publication : 2023 (février)

Synopsis : Neighian. Un nom, un tatouage, un art du combat qui fait gémir tout le Continent. Les Neighians protègent l’Union, pouvoir central et neutre qui rassemble les représentants de toutes les nations, elfes, loups, stygias, vampires, humains, nains ; et maintient une paix fragile entre les états-nations. Mais les frontières sont des lignes de poudre sur un échiquier politique branlant, et quand un elfe assassine le Dominant de la Meute loup du Nord, c’est le grand brasier qui prend. La dette de sang n’a plus de diplomatie, et les vieilles alliances se reforment. Complot ? Coup d’état ? Vendetta personnelle ? Personne ne sait si l’assassin a agi seul ou sur les ordres d’un commanditaire… L’Union est au bord du gouffre, et c’est sans compter sur l’Ombre et ses Pervertis, qui de jour en jour gagne de ses massacres aliénés les chemins des convois et les villages isolés. Une Ombre dont personne ne sait le nom ni l’origine, mais dont les Neighians sont les implacables limiers. Pour sauver l’Union, il fallait un miracle, un geste désespéré : Heltia de Cytari, Lieutenant Neighian et protégée du commandant, est chargée secrètement d’une bien étrange mission… Conduire un représentant du Royaume elfe de Fadren au lac des Sirènes pour y entendre leur vérité sur l’assassinat du Dominant Loup, et témoigner de leur jugement auprès du Conseil de l’Union… Une quête suicidaire au nom de la paix. Et au prix du sang.

Une guerre civile qui couve et une mission désespérée

Comme tous les ans, le collectif des Indés de l’Imaginaire composé de maisons d’édition spécialisées (Les Moutons Électriques, Mnémos et ActuSF) a publié ses trois « pépites », des romans écrits par de jeunes auteurs et autrices jugés particulièrement prometteurs. Chez Mnémos, c’est Louise Jouveshomme qui se retrouve cette année en tête d’affiche avec le premier tome d’un diptyque baptisé « Neighian ». Il s’agit là du premier roman de l’autrice dont le deuxième volume devrait paraître dès la fin d’année. L’ouvrage met en scène un univers de fantasy relativement classique dans lequel cohabitent plus ou moins difficilement dix peuples, eux-mêmes répartis dans plusieurs royaumes. Vampire, loup, troll, elfe, sirène, humain… : la plupart ne diffèrent guère du bestiaire traditionnellement utilisé en fantasy, et les quelques exceptions ne sont pour le moment pas suffisamment développées pour être considérés comme une véritable touche de singularité. Le continent dans lequel l’histoire se déroule est donc peuplé d’une multitude de populations autrefois ennemies mais désormais rassemblées au sein d’une seule et même Union dont les fameux « Neighian », un ordre militaire basé en territoire neutre, sont chargés de veiller à la stabilité. Un conseil réunissant des représentants de chaque peuple a quant à lui pour mission de légiférer et de régler pacifiquement les litiges opposants les royaumes. Seulement cette Union commence à se faire vieille et à craquer de toute part. Une affaire en particulier va venir accélérer la déliquescence de l’alliance des dix peuples puisque, au Nord, le fils d’un seigneur elfe s’est rendu coupable du meurtre d’un chef de meute loup. A cette menace de guerre civile s’ajoute celle des Pervertis, créatures corrompues par une puissance obscure s’attaquant aux voyageurs et aux villages isolés et dont la nuisance ne fait que se renforcer. C’est dans ce contexte pour le moins perturbé qu’une Neighian, Heltia, se voit confier par son supérieur une mission visant à apaiser les tensions au Nord en prenant la tête d’une délégation. Réunissant également un elfe et un loup, celle-ci a pour destination le royaume des sirènes, prophétesses renommées dont seule la parole pourrait être à même de disculper le peuple des elfes en affirmant que l’assassin a agi de sa propre volonté. Semé d’embûche, le périple de notre héroïne ne va évidemment pas se dérouler comme prévu.

Des bonnes idées mais trop de lourdeurs

Présenté comme un véritable coup de coeur de la part de l’éditeur, le roman m’a laissée un sentiment assez mitigé. Bien que baignant dans un cadre relativement classique et réutilisant la plupart des codes propres au médiéval-fantastique, l’intrigue fourmille de bonnes idées qui permettent de donner davantage d’épaisseur à l’univers qui se révèle finalement d’assez bonne facture. L’autrice a en effet pris soin de soigner son décor, agrémentant le récit de nombreuses précisions ou anecdotes portant sur tout ce qui peu donner de la consistance à un monde de fantasy : ses traditions, son histoire, son langage, ses paysages… Cet aspect là est donc plutôt réussi, mais il s’accompagne également de maladresses qui nuisent parfois à la fluidité de la lecture. On se retrouve en effet régulièrement noyé de détails qui visent à souligner la richesse de l’univers mais ont surtout pour effet de brouiller la narration. Les petits apartés présents à chaque début de chapitres et visant à mettre en lumière un aspect particulier de l’univers (comme cela se fait souvent en fantasy) ne sont par exemple pas toujours très appropriés car trop pointus ou déconnectés de l’intrigue. De même, l’accumulation de références à des faits passés ou des croyances populaires, ou encore l’utilisation d’expressions inconnues du lecteur, finissent par perdre de leur charme et provoquer au contraire une impression de lourdeur. Il s’agit d’ailleurs là du cœur des reproches que l’on peut faire au roman qui se révèle beaucoup trop dense et aurait largement mérité d’être aéré, voire élagué, afin de gagner en fluidité. La première partie, notamment, peut s’avérer parfois assez indigeste, plombée par des descriptions qui n’en finissent pas et qui prennent trop souvent le pas sur l’intrigue. Cela s’améliore dans la seconde moitié de l’ouvrage dans laquelle l’autrice lève un peu le pied sur la présentation du cadre pour entrer enfin dans le vif du sujet et se concentrer davantage sur ce qui arrive à ses personnages et sur les évolutions géopolitiques de son univers. L’impression de lourdeur évoquée plus haut tient également, dans la première partie du moins, à une narration omniprésente et au peu de place accordé aux dialogues. On a ainsi à faire à des blocs de textes qui défilent page après page sans aucune respiration pour le lecteur ni possibilité pour les personnages de s’exprimer directement. Ce manque se ressent même dans le style de l’autrice dans la mesure où le ton plus familier utilisé lors de certains passages laissent à penser que le style direct aurait du être privilégié (l’absence de l’adverbe « ne » dans une phrase narrative négative est par exemple courante dans le but, sans doute de donner l’illusion du style direct, mais cela se révèle plus déstabilisant qu’efficace).

Une héroïne difficile à cerner

L’intrigue, elle, est très lente à démarrer, au point qu’on serait dans un premier temps tenté de croire que le voyage à destination du repère des sirènes pourrait constituer le seul et unique fil rouge de l’histoire. Il n’en est heureusement rien et le récit finit par accélérer et finalement décoller dans une deuxième partie qui met l’accent sur les enjeux politiques de la guerre civile qui couve. Les rebondissements ne sont pas légion mais l’autrice réussit tout de même à mettre en scène de jolis coups de théâtre qui viennent relancer (toujours dans la seconde partie) l’intérêt du lecteur. Les personnages, eux, sont en demi-teintes. Heltia est une héroïne froide qui maintient tout au long de ce premier tome une grande distance avec tout le monde, ce qui rend difficile de s’y attacher. L’armure dont se part la protagoniste ne se fendille ainsi que rarement, la rendant difficile à cerner, et ce malgré le fait que l’essentiel du récit nous est narré selon son point de vue. Les autres personnages sont encore plus en retraits mais certains parviennent à titiller la curiosité du lecteur, comme c’est le cas de l’elfe taiseux qui voyage avec la Neighian, ou encore du chef de son ordre, le vampire Ebleon. D’autres encore ne font que des passages éclairs, le récit se décentrant alors du personnage d’Heltia pour se focaliser sur un ou une anonyme dont le lien avec le reste de l’histoire est parfois bien trop flou et renforce l’impression brouillonne déjà évoquée.

Avec « Neighian » Louise Jouveshomme signe un premier roman prometteur mais perfectible qui séduit par la richesse de son univers et la complexité de son intrigue mais qui souffre, aussi, d’une trop grande lourdeur due à une abondance de détails sur l’univers et à un mode de narration pas toujours approprié. Bien que lente à démarrer l’histoire se fait de plus en plus intéressante à mesure que l’on s’approche de la fin, si bien qu’on ne peut s’empêcher, malgré les maladresses, de vouloir connaître la suite.

Voir aussi : Tome 2

Autres critiques : L’ours inculte

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

4 commentaires

  • Les Fantasy d'Amanda

    Entièrement d’accord avec toi sur toute la ligne ! 😉

    J’ai peiné à dépasser la première partie, tant elle comporte de lenteurs/lourdeurs (les descriptions de paysage m’ont fait grincer des dents). Mais, dans la seconde partie, je me suis complètement plongée dans l’intrigue, séduite par les enjeux politiques et par l’univers foisonnant. J’espère une très belle lecture pour le tome 2 (je croise les doigts pour que les maladresses de ce tome 1 ne se répètent pas ;)).

    • Boudicca

      Ah, je suis contente que tu partages mon avis. C’est clair que les descriptions dans la première partie sont bien trop longues, mais la suite est effectivement mieux rythmée. Je suis assez curieuse de découvrir le deuxième tome du coup 🙂

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