Science-Fiction

Lady astronaute, tome 3 : Sur la Lune

Titre : Sur la Lune
Cycle/Série : Lady astronaute, tome 3
Auteur : Mary Robinette Kowal
Éditeur : Denoël
Date de publication : 2022 (novembre)

Synopsis : Sur Terre, la situation est critique : le climat se détériore inexorablement et les tensions politiques s’accroissent. Une coalition internationale espère envoyer le plus de gens possible sur Mars avant que la planète bleue ne devienne inhabitable, mais il est évident que tout le monde ne pourra pas partir. Les manifestations contre le projet de conquête spatiale virent à l’émeute et des tentatives de sabotage des fusées sont mises au jour. Le FBI craint désormais un attentat de grande ampleur visant la colonie lunaire, première étape vers Mars, ce qui condamnerait définitivement le programme spatial. Nicole Wargin, l’une des premières femmes astronautes, amie d’Elma York, se voit confier une mission en urgence pour le déjouer sur place. Malheureusement, le moment est plutôt mal choisi pour quitter la Terre : son mari, gouverneur du Kansas, envisage de se lancer dans la course à la nouvelle Maison-Blanche. Alors qu’Elma est à mi-chemin de Mars, si Nicole échoue, la survie de l’humanité pourrait être compromise.

Huis-clos sur la Lune

Après « Vers les étoiles » et « Vers Mars », Mary Robinette Kowal nous livre avec « Sur la Lune » un troisième roman s’inscrivant dans la série « Lady astronaute » tout en rompant manifestement avec les précédents volumes. Principal changement, et de taille, l’héroïne mise en scène ici n’est plus Elma York, celle-ci étant pour plusieurs années à bord d’un vaisseau en partance pour Mars. Place désormais à une autre des « astronettes », ce groupe constitué des premières femmes à avoir été sélectionnées pour devenir astronautes. C’est donc Nicole Wargin qui prend le relais, une femme s’approchant de la cinquantaine, mariée à un homme politique en pleine ascension et qui rêve, comme beaucoup d’autres, de pouvoir piloter un jour elle-même une fusée à destination de l’espace. Seulement rares sont les femmes à occuper un rôle aussi important lors des lancements, et cela ne risque visiblement pas de s’arranger compte tenu de l’aggravation des tensions sur Terre qui viennent mettre en péril l’intégralité du programme spatial. Pour rappel, l’uchronie telle qu’imaginée par Mary Robinette Kowal repose sur la destruction d’une partie du monde (et notamment de la partie est des États-Unis) par une météorite dont l’impact est amenée à entraîner un réchauffement irréversible du climat et, à terme, la destruction de la vie sur notre planète. C’est avec cette menace en tête que l’ensemble des nations ont opté, dans un premier temps, pour une coopération internationale visant à développer un programme spatiale ambitieux avec pour objectif d’évacuer une partie de la population mondiale dans l’espace. La conquête spatiale se déroule par conséquent avec un peu d’avance par rapport à notre réalité et la dépasse même complètement puisqu’une colonie a d’ores et déjà été installée sur la Lune, et qu’un groupe d’astronautes est en route pour tenter de poser les bases d’une seconde sur Mars. Seulement le programme spatiale a de nombreux détracteurs qui craignent (à raison, d’ailleurs) que cette migration humaine vers l’espace ne s’adresse qu’à une élite bien ciblée et ne laisse de côté une grande partie de la population terrestre. Un groupuscule en particulier, baptisé Earth First, se révèle de plus en plus actif et n’hésite pas à utiliser la violence dans le but de nuire au programme spatiale internationale. La multiplication des actes de sabotage entraîne peu à peu l’instauration d’un climat de suspicion permanent et fait peser une lourde menace sur la dernière expédition en date sur la Lune. Expédition à laquelle a justement pris par notre héroïne…

Une héroïne difficile à cerner

Le roman est long (plus de sept cents pages) et, s’il se révèle globalement satisfaisant, il faut admettre que son démarrage est beaucoup trop laborieux. Le départ de Nicole pour la Lune n’arrive en effet qu’au bout d’une bonne centaine de pages, or celles-ci sont loin d’être captivantes. Certes, il était nécessaire pour la compréhension des enjeux de contextualiser la période en rappelant les menaces pesant sur le programme spatiale et la radicalisation de ce mouvement « Earth First », mais l’héroïne a tendance à se perdre dans des considérations personnelles qui sont bien moins intéressantes. Souligner le sexisme qui règne encore dans le milieu et les stéréotypes auxquels elle se retrouve confrontée d’accord, et c’était déjà le cœur des précédents tomes mettant en scène Elma York. Le problème, c’est que le personnage ne cesse d’insister lourdement sur le fait qu’elle accorde une importance primordiale à soigner son image, ce qui lui donne (dans un premier temps) une apparence non seulement superficielle mais aussi très hautaine. Il faut dire que l’on a affaire ici à une héroïne qui, indépendamment de sa carrière d’astronaute, appartient à l’élite de la bonne société américaine et jouit donc de quantité de privilèges qui n’aident pas le lecteur à s’identifier à elle. Ses tentatives de se détacher de ce mode de vie bourgeois, ou du moins de se montrer critique envers lui, sonnent d’ailleurs assez faux, dans la mesure où elle passe plus de temps à s’inquiéter de son image et des répercutions de tel ou tel événement sur sa carrière ou celle de son mari qu’à s’alarmer des problèmes rencontrés par ses contemporains en raison du réchauffement climatique. Fort heureusement, cette impression là finit, non pas par disparaître totalement, mais par s’atténuer. Une fois la Terre et les obligations mondaines de l’héroïne reléguées à l’arrière-plan, l’intrigue prend en effet un tour plus excitant et adopte même des allures de huis-clos. En effet, il apparaît vite évident qu’un membre de la colonie lunaire est de mèche avec les activistes d’Earh First et qu’un traître se cache donc parmi eux. Chargée d’enquêter sur cette potentielle taupe, Nicole Wargin se voit dans l’obligation de suspecter tout le monde, ce qui rend le lecteur un brin paranoïaque mais a aussi le mérite de le maintenir dans un état de vigilance permanent. Cela influe évidemment sur le rythme de lecture qui se fait de plus en plus frénétique à mesure que l’intrigue évolue, même si quelques longueurs persistent ici ou là.

Racisme, sexisme et lutte de classes au coeur de la série « Lady astronaute »

Une fois la longue phase d’introduction passée, le roman est donc rythmé par une multitude de petits rebondissements qui prennent généralement la forme de la découverte d’un nouveau sabotage mettant en péril la survie des colons, ou bien d’une révélation concernant tel ou tel habitant de la Lune qui passe alors en tête de la liste des suspects. Cette liste évolue ainsi en permanence et il faut reconnaître que le côté « polar » est plutôt bien maîtrisé, l’autrice s’amusant à multiplier les fausses pistes pour mieux tenir en haleine le lecteur. On prend donc plaisir à suivre les investigations de l’héroïne, même si cette dernière peut encore par moments se révéler agaçante par son arrogance et sa volonté de tout gérer seule. Les personnages qui gravitent autour d’elle sont particulièrement indulgents avec elle et auraient mérité, pour certains, d’être bien plus mis en avant. Du côté des thématiques traitées, on retrouve bien évidemment beaucoup de sujets déjà évoqués dans les précédents tomes, dont certains intimement liés au contexte géo-politique de l’époque. Le racisme dont sont victimes les personnes noires est ainsi de nouveau évoqué à de multiples reprises, ce qui permet à Mary Robinette Kowal de revenir brièvement sur la lutte pour les droits civiques aux États-Unis mais aussi de rappeler que l’Afrique du Sud est alors régi selon le régime de l’apartheid. Le sexisme, et plus largement les difficultés que peuvent rencontrer les femmes dans leur carrière ou leur vie personnelle, figurent eux aussi parmi les thèmes de prédilection de l’autrice, même s’il est ici un peu moins souligné que dans les précédents volumes (l’anorexie dont souffre la protagoniste est notamment traitée avec sensibilité et réalisme). En revanche, la question de la légitimité de la conquête spatiale et du choix de diriger l’essentiel des ressources de tous les états du monde vers ce but est omniprésente dans la mesure où l’essentiel de l’intrigue tourne autour des actions violentes engagées par le groupuscule Earth First qui souhaiterait que le projet de migration d’une partie de la population mondiale dans l’espace soit abandonné au profit d’un plan pour sauver la Terre et l’ensemble de ses habitants qui voient justement leurs conditions de vie se dégrader de plus en plus. Cette préoccupation fait évidemment échos à des questions que nous pouvons nous poser aujourd’hui, ce qui est toujours intéressant, néanmoins l’autrice se contente de poser le problème de façon un peu trop superficielle.

« Sur la Lune » est un roman de science-fiction perfectible mais intéressant, surtout lorsque qu’il flirte avec le thriller avec cette chasse à l’espion dans une colonie lunaire où tout imprévu peut être synonyme de mort. L’ouvrage reste toutefois en deçà des précédents volumes, notamment à cause de son héroïne qui, bien que capable d’émouvoir le lecteur, se révèle tout de même bien moins attachante que sa prédécesseuse.

Voir aussi : Vers les étoiles ; Vers Mars ; Lady astronaute

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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