Fantasy

La cité diaphane

Titre : La cité diaphane
Auteur : Anouck Faure
Éditeur : Argyll
Date de publication : 2023 (février)

Synopsis : Merveille architecturale élancée vers le ciel, Roche-Étoile a connu la splendeur et la chute. La cité sainte de la déesse sans visage est maudite, réduite à l’état de nécropole brumeuse depuis que les eaux de son lac et de ses puits se sont changées en poison mortel. Sept ans après le drame, l’archiviste d’un royaume voisin se rend dans la cité défunte avec pour mission de reconstituer le récit de ses derniers jours. Mais il s’avère bientôt que Roche-Étoile abrite encore quelques âmes, en proie à la souffrance ou à la folie, et celles-ci ne semblent guère disposées à livrer leur témoignage. Un jeu de dupe commence entre l’archiviste et ces esprits égarés, dans les dédales d’une cité où la vérité ne se dessine qu’en clair-obscur, où dénouer la toile du passé peut devenir un piège cruel.

J’ai beaucoup menti, il est vrai, aussi pourriez-vous estimer que ma parole est peu fiable. Cette fois-ci, il n’y aura pas de mensonges, rien que la réalité brute de Roche-Étoile, jusque dans mes propres perfidies.

Une cité maudite

Premier roman d’Anouck Faure, « La cité diaphane » est une œuvre difficile à appréhender, à la fois intrigante et confuse, poétique mais sommaire. L’ouvrage met en scène un archiviste à propos duquel on ne sait rien si ce n’est qu’on lui a confié pour mission de se rendre dans la cité morte de Roche-Étoile afin de tenter d’en reconstituer la chute. Sept ans auparavant, cette ville florissante et protégée d’une entité baptisée « la Déesse » a en effet été victime d’une malédiction ayant contaminé ses eaux et emporté tous ses habitants. Tous… ou presque. Car comme notre archiviste va très vite s’en rendre compte, la cité est loin d’être aussi déserte que ce que le reste du monde à l’air de croire. Au fil de ses pérégrinations, l’érudit va être amené à rencontrer d’anciens habitants, tous plus étranges les uns que les autres, et ainsi retracer progressivement les derniers jours de Roche-Étoile ainsi que les causes de la malédiction. Mais les indices ne sont pas toujours faciles à assembler, ni les ombres rencontrées ce qu’elles semblent être, si bien que les interrogations s’accumulent. Pourquoi le forgeron est-il resté aussi longtemps seul dans la cité ? La licorne noire qui rode à la lisière de la ville est-elle la cause du mal d’onde qui fut fatal à la cité, ou bien la clé pour lever la malédiction ? Et la princesse, celle qui devait prendre la tête du clergé de la Déesse avant le désastre, où se terre-t-elle à présent ? La construction narrative du roman est quelque peu perturbante, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, parce l’intrigue est morcelée en plusieurs grands pans dont l’achèvement pourrait chaque fois marquer la fin du roman avant que celui-ci ne reparte dans une nouvelle direction. L’histoire de l’archiviste n’occupe ainsi qu’une toute petite partie du récit qui prend régulièrement un tournant inattendu. L’autre particularité du texte réside dans l’imbrication permanente entre le passé de Roche-Étoile et son présent, l’autrice alternant les allers et retours dans l’histoire de la cité qu’elle ne nous révèle que par petits bouts. Le résultat est un peu perturbant pour le lecteur, notamment dans la première partie puisque l’autrice y fait référence à quantité de personnages et d’événements sans les expliciter ou les présenter, cette étape ne venant que bien des chapitres plus tard.

Ambiance inquiétante et décor minimaliste

Le lecteur évolue donc dans un premier temps dans un décor qu’il ne comprend pas et navigue entre des personnages dont il ne sait rien, et il faudra attendre la deuxième partie pour que le voile soit enfin levé sur des épisodes passés, évoqués dès le début mais sur lesquels on ne disposait jusqu’alors que de peu d’informations. L’autre aspect qui peut s’avérer déroutant (mais qui, à mon sens, est bien plus maîtrisé) concerne le doute entretenu concernant la fiabilité du récit qui nous est donné de la chute de Roche-Étoile. La version officiellement reconnue est ainsi amenée à évoluer à mesure que des révélations sur le narrateur nous parviennent. Le roman repose ainsi sur plusieurs rebondissements qui nous amène à revoir l’intrigue sous un œil totalement nouveau, et, en cela, l’intrigue est une vraie réussite, d’autant que le pari était plutôt risqué. Là où le bât blesse, c’est en ce qui concerne le cadre pour le moins rudimentaire de l’histoire, à la fois en terme de décor mais aussi de personnages. Le roman se déroule exclusivement dans la cité de Roche-Étoile, parfois lorsqu’elle était encore peuplée et vivante, mais le plus souvent telle qu’elle apparaît aujourd’hui : vide et morte. Le décor est par conséquent minimaliste, et, si l’atmosphère glauque dans laquelle baigne la cité a quelque chose d’envoûtant, elle peut aussi s’avérer oppressante à la longue. La noirceur et le désespoir qui émanent de la cité et de ses rares occupants sont en tout cas saisissants, et magnifiés par de sublimes illustrations intérieures signées de la main même de l’autrice, reproductions de gravures à l’eau-forte réalisées pour l’occasion. Peu nombreuses, ces dernières parviennent néanmoins à saisir la quintessence du drame de Roche-Étoile et de sa lignée royale et participent à donner une dimension plus poétique, parfois presque mythique, à l’histoire.

Des personnages qui manquent d’âme

La sobriété du décor ne serait pas si dérangeante si ce dernier n’était pas habité par des personnages paraissant aussi éthérés et peu accessibles que le reste. L’absence de noms, bien que pouvant paraître anecdotique, n’aide pas à rendre vivants les êtres croisés lors du périple de notre héros. « L’archiviste », « la belle dame », « le forgeron », « le mendiant », « la princesse »… : tous ne sont définis que par un archétype (les noms ne pouvant être révélés sous peine de donner pouvoir à des démons), et cela renforce la distance entretenue entre le lecteur et les habitants de Roche-Étoile qui manquent cruellement de chair et de chaleur. Difficile de parler de tous sans trop en dévoiler, l’intrigue reposant sur l’identité cachée de plusieurs de ses protagonistes, mais deux d’entre eux tirent malgré tout leur épingle du jeu, tandis que les autres, trop succinctement évoqués, peinent à éveiller l’intérêt du lecteur. Le narrateur est évidemment le personnage le plus développé, ce qui n’empêche pas d’éprouver quelques incompréhensions face à certaines de ses réactions ou à l’intensité démesurée de ses émotions. Il est également frustrant de constater que celui-ci laisse volontairement dans l’ombre plusieurs aspects de l’intrigue qu’il aurait été intéressant de développer afin d’insuffler davantage de vie aux différents acteurs du drame de Roche-Étoile, ou de profondeur à l’univers qui demeure ici très superficiel. L’égocentrisme dont le héros fait preuve participe d’ailleurs à renforcer l’impression de vide qui émane du décor puisque, lignée royale mise à part, très peu de personnes sont évoqués, ne serait-ce que des figurants, ce qui donne l’étrange illusion que la cité n’était pas vraiment plus vivante avant qu’après l’apparition du mal d’onde.

« La cité diaphane » est un roman déroutant qui baigne dans une ambiance glauque saisissante et met en scène l’arrivée d’un archiviste en quête de réponses dans une cité morte et maudite depuis des années. La construction narrative, quoique parfois source de confusion, est néanmoins soignée et bien pensée, réservant ainsi de belles surprises aux lecteurs. La sobriété du décor et le manque de vie insufflée aux personnages ne nuisent toutefois à l’immersion et ne permettent de véritable implication émotionnelle.

Autres critiques : Célinedanaë (Au pays des cave trolls)

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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