Grain de sable
Titre : Grain de sable
Auteur : Louise Roullier
Éditeur : Critic
Date de publication : 2022 (octobre)
Synopsis : À Puyberil, capitale des Monts Joeil, le mage Cobal Galtès participe au prestigieux tournoi des Sept Oriflammes. Dans les tribunes, Lidia, sa fille de huit ans, le voit échouer un sort et y perdre la vie.
Quinze ans plus tard, Lidia est la dernière survivante de cette famille déchue. Mage ambitieuse comme son père, elle découvre une légende qui affirme qu’on peut modifier le passé. Elle décide alors de se mettre en quête de ce pouvoir : réécrire le déroulé du tournoi résoudrait tous ses malheurs ! Mais lorsqu’un adversaire invisible se mêle de la partie, Lidia comprend que la mort de son père n’avait rien d’un accident, et que le passé ne se raye pas sans conséquences. De cette lutte pour le cours du temps dépend son avenir, ainsi que celui de sa famille et des Monts Joiel tout entiers.
Je suis à pied les voitures à cheval charriant les nouveaux livres jusqu’aux galeries des bibliopoles, auprès du Dôme. Toutes sortes de librairies y déploient leurs enseignes : celui qui annonce à la cantonade les nouveautés du jour, mémoires des puissants ou récits de voyage vers des lointains de rêves ; celui qui n’offre qu’une vitrine obscure, où les tranches dorées brillent tels des astres perdus ; celui qui exhibe dans la rue des opus imposants sous la garde d’un commis patibulaire ; enfin, tous ceux qui exposent des livres, leurs livres, des montagnes de livres au regard des passionnés – fous de romans ou de poésie, artiste en quête d’ouvrages d’architecture, navigateurs comparant cartes et portulans, sans parler des mages qui circulent partout entre les grimoires -, dans une grande vague de lecteurs qui vient baigner le pied du Dôme.
Réécrire le passé ?
Alors qu’elle n’était qu’une petite fille, Lidia Dulce a vu son père mourir, ravagé par un sort qu’il venait lui-même de lacer lors d’un célèbre tournoi de magie. Inconsolable, la fille du mage grandit dans la misère, aux côtés de sa mère, dévastée par la mort de son époux, et de son petit frère dont le seul espoir d’ascension sociale réside désormais dans son intégration à une école au coût d’entrée exorbitant. Et tout va de mal en pire, puisque les deux mages ayant pris l’ascendant après la disparition de son père semblent leur vouer, à elle et sa famille, une rancune tenace, l’empêchant d’accéder à un poste prestigieux à l’institution de mages de Puyberil. Après une série de drames supplémentaires, s’en est trop pour Lidia qui va alors tout miser sur un pari fou. Une légende court en effet sur l’existence d’un pouvoir extraordinaire permettant à celui ou celle qui le possède de changer le passé. Rongée par le chagrin, la jeune fille va se lancer à la poursuite de l’ouvrage qui en fait mention et qui pourrait bien ne pas être qu’une chimère. Mais en réécrivant le passé de sa famille, ne risque-t-elle pas de provoquer de nouveaux drames qu’elle n’avait pas anticipé ? Pour son premier roman de fantasy, Louise Roullier a opté pour un pitch ambitieux offrant des possibilités vertigineuses astucieusement exploitées. Certes, l’idée de changer le passé en identifiant le moment de bascule d’une vie n’est pas nouvelle (on peut penser récemment à l’excellent « Mes vrais enfants » de Jo Walton, ou aux théories exploitées par Connie Willis dans ses romans sur le sujet), mais l’approche est ici quelque peu différente, ne serait-ce que parce que ces voyages temporels se déroulent dans un univers de fantasy. Le phénomène est d’autant plus séduisant que l’autrice s’est donnée la peine de fonder ses voyages temporels sur une logique solide et dont la délimitation des contours va constituer une grande partie du sel de l’intrigue. On prend ainsi beaucoup de plaisir à tenter de comprendre quels sont les événements étranges qui pourraient relever de l’intervention de l’héroïne dans le futur, et dans quelles circonstances ces incursions temporelles se sont produites.
Classicisme et modernité
La construction de l’intrigue est ainsi la plus grande réussite du roman, mais c’est loin d’être la seule. L’univers de fantasy mis en scène, par exemple, est prometteur bien que rapidement esquissé. L’action se déroule essentiellement dans la ville de Puyberil, cité ayant rejoint une vaste alliance et qui possède un intérêt stratégique important en raison de la présence de mines de cristaux. Chaque région de l’alliance a toutefois gardé sa propre administration, chacune avec son propre système de désignation, ce qui donne évidemment lieu à quantité de manœuvres politiques. L’autrice ne rentre pas vraiment dans les détails mais les indications qu’elle nous donne suffisent à cerner le contexte général et les tensions qui peuvent exister entre les partisans de telle ou telle politique. Il en est de même pour le système de magie dont le fonctionnement n’est, là aussi, expliqué que dans les grandes largeurs, sans que cela ne génère de frustration particulière pour le lecteur. Certaines personnes possèdent un don, d’autres non, et la magie naît d’une association de mots, parlés ou écrits, qui, en fonction des combinaisons, produisent des effets différents. Il s’agit d’ailleurs là d’un autre aspect qui contribue au charme du roman, celui-ci accordant une grande importance aux livres et au savoir qu’ils contiennent. L’héroïne se retranche fréquemment dans des ouvrages pour trouver la solution aux problèmes qui se posent à elle et arpente les allées de plusieurs bibliothèques, dont une particulièrement impressionnante qui ravira l’imagination des bibliophiles. Cette magie et la culture de l’écrit qui semble aller de paire avec elle est cependant mise en opposition avec une autre forme de pouvoir assimilée cette fois à la sorcellerie, plus primitive et reposant essentiellement sur une transmission orale d’un mentor à son disciple. Loin des ambiances feutrées et confortables des bibliothèques, l’autrice nous entraîne aussi dans des endroits plus sauvages dans lesquelles vivent des créatures inquiétantes, ce qui donne lieu à des scènes baignant dans une atmosphère surnaturelle très particulière puisant dans des motifs propres aux mythes, et notamment l’une de ses figures les plus emblématiques.
Plusieurs ambiances réussies
Ce changement d’ambiance est assez fréquent dans le roman qui nous entraîne tour à tour dans la haute société de Maravilhès, les quartiers populaires de Puyberil, mais aussi l’institution des mages ou encore les montagnes pleines de goules des Monts-Joiel. Le récit est vraiment bien rythmé et certaines scènes sont très immersives. Certaines font clairement penser à des films d’action ou à suspens comme lorsque l’héroïne se met en tête de pénétrer dans des lieux qui lui sont interdits et qui sont protégés par de puissants sorts auxquels elle va devoir trouver une parade. D’autres passages sont plus intimistes, les relations entretenues entre Lidia et ses proches étant au cœur même du roman, tandis que d’autres font plus nettement appel au surnaturel et tissent une ambiance plus inquiétante. Pour ma part, j’ai également été assez sensibles aux discrètes mais nombreuses tentatives de l’autrice pour déroger aux stéréotypes qui collent à la fantasy en matière de représentation des femmes. Louise Roullier n’évoque ainsi quasiment jamais le physique de son héroïne (si ce n’est à une exception près, et pas de manière très flatteuse) et se moque volontiers des vieux récits dans lesquels les femmes se trouvent cantonnées au rôle de potiche. De la même manière, l’autrice a pris soin de mettre en scène autant de femmes que d’hommes mages, certaines occupant même un rôle politique de premier plan sans que cela nous soulève d’intérêt particulier, et n’hésite pas à aborder la question des violences sexuelles. L’autrice jongle aussi entre des milieux sociaux très différents, nous entraînant aussi bien dans les palais et grandes institutions fréquentées par les privilégiés que dans les quartiers les plus populaires où les habitants souffrent de conditions de vie et de travail difficiles qui sont rapidement évoquées.
Une belle galerie de personnages
Les personnages se révèlent pour leur part tous aussi convaincants que l’intrigue. Lidia est une héroïne attachante dont on comprend la détermination, notamment dans la première partie, mais qui peut agacer un peu dans la seconde par son aveuglement. Le choix d’une narration à la première personne permet cependant de se glisser aisément dans la peau du personnage et facilite indéniablement l’empathie. Les autres personnages sont évidemment moins travaillés sans qu’on puisse pour autant les qualifier de fades. On prend plaisir à étudier les changements de parcours ou d’attitude des individus mis en scène en fonction du futur dans lequel ils évoluent. Il est également intéressant de constater que la vision que nous avons de certains est amenée à évoluer à mesure que l’héroïne prend conscience du regard biaisé que son histoire lui fait porter sur ceux qu’elle assimile à des ennemis ou au contraire à des alliés. Ne reste plus qu’à évoquer le style de Louise Roullier qui possède une plume agréable et fluide qui permet l’immersion tout en charmant à plusieurs reprises le lecteur par son élégance. Son écriture sait se faire incisive et dynamique dès lors que l’action s’accélère, mais elle recèle aussi de beaux moments de poésie avec un soin particulier apporté au style. On peut également saluer les choix typographiques de l’autrice qui, par le biais de phrases tour à tour barrées ou effacées, a trouvé le moyen de traduire visuellement pour le lecteur l’usage de leur pouvoir sur le temps par la protagoniste et sa némésis. Cela donne lieu à des scènes de duels temporels surprenantes mais captivantes que l’on suit, grâce à ce processus, sans perdre le fil. Pour le côté visuel, la couverture de Sébastien Annoni est d’ailleurs elle aussi très réussie et rappelle à merveille l’enchevêtrement temporel mis en scène par l’autrice.
Premier roman de fantasy de Louise Roullier, « Grain de sable » met la barre assez haut grâce à une construction narrative ambitieuse et maîtrisée sur le thème du voyage temporel. On peut également saluer le bel équilibre entre des éléments issus d’une fantasy assez traditionnelle et d’autres, plus modernes, qui viennent justement remettre en question une partie de ces stéréotypes. A découvrir !
Autres critiques : Le nocher des livres
10 commentaires
Louise Roullier
Merci pour cette belle chronique !
Boudicca
Merci à vous pour ce beau roman 🙂
Le Nocher des livres
Il est dans ma P.A.L., celui-là, et ta critique me donne envie de m’y plonger rapidement !
Boudicca
Ah chouette ! Tu devrais passer un bon moment 🙂
Les Lectures du Maki
Je ne suis pas lecteur de Fantasy mais les Voyages dans le temps m’interessent. Et j’avais adoré la novella Infiniement de l’autrice que j’avais trouvé vertigineuse. Du coup je me laisserrai bien tenté même si j’ai peur de ne pas accroché à l’univers.
Superbe chronique qui donne envie…
Boudicca
Merci 🙂 Je n’avais encore jamais lu cette autrice mais je vais aller voir de plus près du coup, notamment la novella que tu cites.
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