Science-Fiction

After Yang et autres histoires

Titre : After Yang et autres histoires
Auteur : Alexander Weinstein
Éditeur : ActuSF
Date de publication : 2022 (juin)

Synopsis : Imaginez le futur… Imaginez vous connecter instantanément aux réseaux sociaux par le biais d’implants… Imaginez acheter un androïde pour élever vos enfants… ou bien élever des enfants virtuels plus vrais que nature… Imaginez pouvoir visiter à l’infini vos souvenirs ou vivre entièrement en ligne… ou imaginez lutter pour votre survie dans un monde désormais recouvert d’une épaisse couche de glace. Bienvenue dans le monde de demain.Il est déjà là.

Le contact humain est bien la seule chose qui soit réelle.

« Se considérer comme un parent ne vous quitte jamais »

Popularisé par l’adaptation au cinéma de la nouvelle « After Yang » en 2021, le recueil d’Alexander Weinstein comporte treize récits qui semblent tous se passer dans le même monde et qui dressent le portrait d’un monde futuriste dans lequel le changement climatique et l’omniprésence de la technologie ont changé les modes de vie et les rapports entre humains. Comme dans tout recueil, il y a évidemment du bon et du moins bon, certains textes se révélant parfaitement anecdotiques tandis que d’autres touchent sans mal leur cible. Si l’émotion est souvent au rendez-vous, on peut notamment regretter que les femmes soient constamment reléguées au rang de personnages (très) secondaires, ainsi que la surenchère de scènes de sexe assez crues. Parmi les nombreuses thématiques abordées, celle de la famille, et notamment de la relation parents/enfants, apparaît comme centrale dans l’œuvre de Weinstein. Il s’agit d’ailleurs, dans la grande majorité, des nouvelles les plus réussies. La première « Nos adieux à Yang » a donc fait l’objet d’une adaptation cinématographique. Elle relate l’histoire d’un couple et de leur IA, matérialisée sous la forme d’un adolescent faisant office de grand frère pour leur fille unique. Seulement, un matin, celui-ci se met à dysfonctionner, et les techniciens contactés sont peu optimistes concernant la possibilité de le remettre en marche, ce qui va profondément toucher le père de famille. La nouvelle questionne avec sensibilité notre rapport aux autres et notre besoin de tisser des liens avec ce/ceux qui nous entourent, humains ou non. Le sujet de la parentalité, de ce qu’est un parent et de la relation qu’il tisse avec son enfant, est aussi déterminante, et c’est ce qui émeut le plus dans cette histoire. Il en va de même pour « Les enfants du nouveau monde », l’une des nouvelles les plus déchirantes qu’il m’a été donnée de lire. En très peu de pages, l’auteur dresse le portrait d’un couple qui s’investit dans un univers virtuel dans lequel ils vont se créer une vie de famille parfaite, deux enfants virtuels venant s’ajouter à leur foyer. Jusqu’à ce qu’un virus ne vienne tout gâcher… L’émotion est palpable durant toute la durée du récit, et la conclusion, quoique prévisible, n’en demeure pas moins difficile à encaisser.

Humanité et monstruosité

La relation père/fils se retrouve aussi au cœur de deux autres nouvelles intéressantes quoique moins percutantes. Dans « Migration », l’auteur nous dépeint une famille qui dysfonctionne visiblement de tous les côtés. Les parents passent une bonne partie de leur temps connectés, ce qui est visiblement considéré comme le comportement le plus socialement accepté, tandis que leur fils semble se débattre contre des addictions auxquelles ils ne comprennent rien. Le récit mise sur l’absurde, notamment en mettant en scène des scènes de sexe virtuelles totalement improbables qui ne visent que la satisfaction de fantasmes délirants et ne demandent aucune implication émotionnelle. L’inquiétude du père pour son fils, et la rébellion de celui-ci face à ce que la société attend de lui, permettent néanmoins d’apporter une touche de sérieux et de sensibilité à l’ensemble qui se révèle finalement plutôt émouvant. La nouvelle « Heartland » met en scène un duo similaire, le père cherchant par tout les moyens à faire vivre sa famille après avoir été viré de son précédent travail. La société dépeinte par l’auteur fait une fois encore froid dans le dos, faite d’une mise en spectacle et d’une monétisation constante de l’intime sur les réseaux. La question du réchauffement climatique et de ses conséquences est également évoquée et permet d’accroître le sentiment d’enfermement et de désespoir qui touche le personnage. Glaçante par son apparente banalité, la fin se révèle extrêmement brutale et marquera durablement les esprits. Il en va de même de « La nuit de la fusée », texte très court qui met en scène une pratique présentée comme courante et qui consiste à choisir chaque année dans une école l’enfant le plus marginal et à l’envoyer dans l’espace pour y mourir. La douleur des parents et le manque total d’empathie ou de remise en cause de la part des autres parents et enfants sont là encore glaçants et permettent à nouveau de laisser une empreinte durable dans l’esprit du lecteur.

Entretenir une vie sociale dans le futur

Parmi les autres thèmes évoqués, celui de l’hyper-connection et de l’omniprésence de technologies envahissantes dans le quotidien de toutes et tous sont également centraux. On le voit notamment dans « Ouverture » qui met en scène un homme qui tombe amoureux d’une femme dans une société dans laquelle il est courant, et même nécessaire pour avoir une vie sociale, de partager directement et visuellement ses souvenirs avec qui on veut. Une nouvelle procédure permet même de réaliser une fusion complète avec l’être aimé. Pour le meilleur ? De la même manière que dans « Nos adieux à Yang », l’élément technologique ne sert ici que de prétexte pour questionner le rapport à l’autre mais aussi la notion d’intimité. On retrouve le même schéma dans « Les cartographes », récit consacré à un programmateur dont la spécialité est de créer de faux souvenirs qui sont ensuite vendus au grand public. Seulement passez son temps dans un monde où tout est factice a des conséquences. La nouvelle est intéressante, mais c’est surtout la fin qui lui donne tout son sel et lui donne un côté assez vertigineux. Le réchauffement climatique et ses conséquences s’invitent aussi dans le futur de Weinstein, mais davantage en filigrane que de manière explicite. Dans « Ligne de pente », l’auteur met par exemple en scène un ancien champion de sport extrême végétant dans une station de ski qui périclite, faute de neige. Dans « Age de glace » c’est le froid qui fait des ravages et les combustibles qui commencent à manquer. Dans un petit village, l’utilisation effrénée de ressources par la famille la plus puissante de la communauté commence à faire naître une colère qui pourrait bien dégénérer en bain de sang. Plusieurs textes font également mention de la philosophie bouddhiste et aborde un ton plus mystique comme « La pyramide et le cul » (qui met en scène un employé d’une entreprise de réincarnation) ou « Moksha » (qui raconte le voyage d’un homme en quête d’illumination au Népal), mais il s’agit, à mon sens, des nouvelles les moins captivantes du recueil.

Alexander Weintein signe avec « After yang » un très beau recueil qui dépeint un monde futuriste hyper-connecté dans lequel les nouvelles technologies ont radicalement transformé les interactions sociales entre humains. La plupart des textes sont d’un bon niveau, mais c’est surtout dans ceux qui abordent le thème de la relation parents/enfants que l’auteur donne toute la mesure de son talent. Le seul véritable bémol tient au manque de diversité dans le profil des protagonistes, ce qui peut donner une impression de répétition. Les nouvelles « Les enfants du nouveau monde » et « La nuit de la fusée » valent en tout cas à elles-seules le détour.

Autres critiques : Celinedanaë (Au pays des cave trolls)

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

2 commentaires

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