Les enfants de la Terreur
Titre : Les enfants de la Terreur
Auteur : Johan Héliot
Éditeur : L’Atalante
Date de publication : 2022 (février)
Synopsis : « Il amena peu à peu son idée des portraits d’enfants de la Révolution, première génération d’une race qui ferait la fierté de la nation mais dont beaucoup vivaient dans l’abandon, réduits aux pires extrémités, ici même, à Paris, certainement des milliers d’une invisible armée, qu’on craignait parce qu’on ignorait tout ou presque de son mode de subsistance ; mais lui, Sade, se faisait fort de détecter ses us et coutumes pour le compte des lecteurs que cela passionnerait, car qui ne rêvait pas de s’immiscer dans les arcanes d’une telle société secrète sans rien risquer et pour le prix modique d’une gazette ? » Dans cette fine uchronie, Sade forme avec le chevalier d’Éon un duo marginal qui dialogue avec érudition et joie de vivre, tout en enquêtant sur les horreurs de leur temps.
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Et si… Robespierre n’était pas mort en 1794
1798. Napoléon Bonaparte s’apprête à lancer une offensive de grande ampleur sur l’Angleterre à l’initiative de la Convention qui entend ainsi porter un coup fatal à la coalition qui s’est formée en Europe suite aux bouleversements engendrés par la Révolution française. Ça ne vous dit rien ? Rassurez-vous, votre culture historique n’est pas en cause puisque cet événement n’a jamais eu lieu. Il constitue en revanche le coeur de l’uchronie imaginée par Johan Héliot dans « Les enfants de la Terreur ». L’auteur n’en est pas à son coup d’essai en matière d’uchronie, c’est le moins qu’on puisse dire, puisqu’on lui doit un nombre conséquent de nouvelles et de romans se revendiquant de ce sous-genre, dont ses trilogies consacrées à deux conquêtes spatiales anticipées, l’une au XIXe sous Napoléon III (« La trilogie de la Lune »), l’autre sous Louis XIV (« Grand siècle »). Nulle question ici d’extraterrestres ou d’exploration spatiale, toutefois, mais d’une enquête dans un Paris révolutionnaire quelque peu revisité. Pour nous servir de guide, Johan Héliot a opté pour deux figures historiques ambiguës : le marquis de Sade, auteur sulfureux aux mœurs décriés désormais assagi et exerçant anonymement le métier de journaliste, et le chevalier/chevalière d’Eon, tour à tour espion ou espionne au service du roi de France avant de s’exiler en Angleterre pour y mener une retraite paisible. Deux événements vont toutefois sortir l’un et l’autre de la torpeur dans laquelle ils s’étaient plongés : d’un côté la menace d’invasion de Bonaparte, qui pousse le chevalier à quitter l’Angleterre pour revenir en France ; de l’autre la rencontre de l’ancien marquis avec une jeune fille à la tête d’une bande d’enfants des rues et qui inspire à l’écrivain des portraits pour le compte d’un journal parisien. Leurs pas ne vont évidemment pas tarder à se croiser, et c’est ensemble qu’ils tenteront de résoudre le mystère de la disparition de petits miséreux dont on ne cesse de retrouver les corps partout dans Paris.
La Révolution en clichés
Pour qu’une bonne uchronie soit réussie, il convient évidemment de brosser un portrait historique solide. Dans le cas des « Enfants de la Terreur », il y a du bon et du franchement caricatural. Au nombre des aspects positifs on peut mentionner cette ville de Paris dont l’auteur nous fait arpenter toute sorte de quartier, chacun caractérisé par une ambiance particulière et plutôt immersive. Au fil de leur enquête, l’écrivain et l’espion(ne) vont multiplier les déplacements, dans les rues de la capitale, bien sûr, mais aussi dans ses commerces, ses parcs, ses lieux de pouvoirs et ses ruelles mal famées, et on prend beaucoup de plaisir à suivre les pérégrinations de nos deux investigateurs en herbe. On peut également saluer la volonté de l’auteur de se pencher sur le quotidien des classes populaires de l’époque qui, loin d’être invisibilisés ici, sont au contraire mises sur le devant de la scène. Le parallèle avec l’œuvre emblématique de Victor Hugo, « Les Misérables » est d’ailleurs très appuyé, que ce soit via le profil, et même le nom, de certains personnages ou dans la volonté affichée de Sade de sensibiliser ses contemporains aux terribles conditions de vie des plus démunis. Là où le bât blesse, en revanche, c’est du côté de la reconstitution politique et de la direction prise par l’urchonie. La Révolution est une période particulièrement crispante, et les clichés entretenus aujourd’hui encore sur cette époque ne sont malheureusement pas propices à une vision nuancée. Johan Héliot en fait les frais, recyclant ici la plupart des stéréotypes attendus sur la « Terreur », et ce au mépris des études historiques récentes sur le sujet qui reviennent justement sur cette construction à posteriori et mettent en avant le rôle collectif joué par tous les députés de la Convention dans la prise de décision (loin de la « toute puissance dictatoriale » imputée au seul Robespierre), tout cela sans toutefois remettre en cause le nombre important de victimes. Clairement, l’auteur n’a pas lu Jean-Clément Martin (et c’est dommage) et s’est arrêté aux analyses de Furet (qui remontent aux années 1960) pour qui la Révolution est la « matrice de tous les totalitarismes ». Les parallèles nombreux et appuyés entre cette Terreur prolongée et certains des événements les plus tragiques de la Seconde Guerre mondiale vont en effet en ce sens et sont à la fois décevants et de fort mauvais goût.
Une intrigue en dents-de-scie
Le roman de Johan Héliot a donc ceci de paradoxal qu’il propose une vision extrêmement réactionnaire de la Révolution française, et notamment de la période dite de la « Terreur » (que l’auteur se contente en fait de prolonger de quelques années), tout en tentant de placer la question sociale au cœur du récit. Le mélange des deux est pour le moins déroutant et ne fonctionne hélas pas vraiment, l’intrigue peinant à se mettre en place et connaissant des baisses de rythme préjudiciables à l’histoire. Les passages les plus intéressants sont finalement moins liés à cette enquête de disparition d’enfants qu’au contexte de cette uchronie et à la rencontre des deux protagonistes avec des personnages emblématiques de cette période, qu’il s’agisse de Fouchet, de le Bas, de certains membres du comité de salut public ou encore du fameux général victorieux, Napoléon. Le marquis de Sade est pour sa part un personnage un peu fade, ses excès passés n’étant plus que de lointain souvenirs et l’ayant laissé vide. Éon est plus intéressant, notamment de part l’ambiguïté entretenue sur son genre, mais le sujet se révèle finalement plutôt anecdotique et est avant tout traité comme une dissociation de la personnalité plutôt que comme une remise en question de l’identité sexuelle du personnage. Les autres acteurs du drame sont plus effacés, même si certains parviennent à tirer leur épingle du jeu comme la jeune cheffe de bande et plusieurs de ses protégés. La plume de l’auteur, elle, est toujours aussi agréable, à la fois simple et élégante, à l’image de ce qu’il avait pu produire dans ses précédentes œuvres.
Lecture en demi-teinte pour ces « Enfants de la Terreur », roman dans lequel Johan Héliot propose une uchronie basée sur la survie de Robespierre à Thermidor, et donc implicitement sur l’allongement de la période de « Terreur » qui lui est imputée. La promenade dans le Paris révolutionnaire est agréable car variée, mais le contexte historique imaginé se base malheureusement davantage sur des clichés que sur une étude sérieuse de la période en question. Il en résulte une intrigue bancale et franchement caricaturale, heureusement portée par un duo d’enquêteurs qui fonctionne bien mais qui ne suffit pas toujours à entretenir la curiosité du lecteur.
Autres critiques : Le nocher des livres ; Lhotseshar (Au pays des cave trolls) ; Ombrebones (Chroniques de l’Imaginaire)
4 commentaires
Lilly
Oups…
Je n’avais pas spécialement repéré ce livre et ton billet ne va pas me faire changer d’avis, je le crains.
Boudicca
Disons qu’il vaut mieux l’aborder en étant prévenu des stéréotypes qu’il véhicule 😉
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