Fantasy

Un étranger en Olondre

Titre : Un étranger en Olondre
Auteur : Sofia Samatar
Éditeur : Argyll
Date de publication : 2022 (avril)

Synopsis : Fils d’un riche marchand de poivre, Jevick a été bercé toute son enfance par les contes et légendes de la lointaine Olondre, une contrée merveilleuse où les livres sont aussi communs qu’ils sont rares sur son île. Et voilà qu’à la mort de son père, afin de perpétuer le commerce familial, il doit se rend en Olondre. Malheureusement, le rêve tourne au cauchemar lorsqu’au lendemain du festival des Oiseaux il se découvre hanté par le fantôme d’une jeune femme. Suspecté d’un crime religieux puis enfermé, Jevick devient rapidement un pion dans la lutte impitoyable qui se joue entre les deux principales religions olondriennes. Dans un pays au bord de la guerre civile, s’il veut un jour retrouver sa liberté, Jevick devra affronter son fantôme, traverser les limites du monde et dépasser les frontières de ses connaissances…

Le silence. La fin de toute poésie, de toute romance. Plus tôt, effrayé, vous commenciez déjà à sentir comme une suggestion de ce silence ; tant de pages ont été tournées, le livre était si lourd d’un côté, si léger de l’autre, se réduisant alors que la fin approche. Néanmoins, vous vous consolez bien vite. Vous n’êtes pas encore à la fin de l’histoire, à cette terrible page blanche comme un volet fermé. Il y a encore quelques pages sous votre pouce, qui restent à explorer et à chérir. Oh, est-il possible de lire plus lentement ? Non. La fin approche, inexorable, à la même vitesse mesurée. La dernier page, le dernier mot précieux. Et là : la fin du livre. (…) Le silence advient, pareil à l’absence de son à la fin du monde. Vous levez les yeux. Vous êtes dans une chambre, dans une vielle maison. Ou peut être sur une chaise, dans le jardin ou même sur une place ; peut-être étiez vous en train de lire dehors et, soudainement, vous prenez conscience des chariots dans la rue. La vie reprend ses droits, les ombres des feuilles vous surprennent. Quelqu’un vient vous demander ce que vous voulez manger au dîner, deux jeunes garçons passent devant vous en courant et en criant, ou peut-être n’est-ce que le vent qui soulève un rideau, la blancheur qui se déverse dans la pièce et les papiers qui bruissent sur le bureau. C’est le son du monde. Mais pour toi, lecteur, ce n’est qu’un silence, vide et désolé.

Un roman atypique et marquant

Précédemment publié en France en 2016 par les éditions de l’Instant, « Un étranger en Olondre », roman de Sofia Samatar récompensé en 2014 par le World Fantasy Award, a fait ce printemps l’objet d’une nouvelle parution que l’on doit aux éditions Argyll. L’ouvrage met en scène un jeune homme, Jevick, vivant avec sa famille sur une petite île qu’il ne désire rien tant que de quitter afin d’explorer le monde, à commencer par la mystérieuse et envoûtante contrée d’Olondre dont son père, marchand de poivre, lui a abondamment vanté la beauté et l’exotisme. Son souhait ne tarde pas à être exaucé puisqu’il va être envoyé là-bas pour entretenir les réseaux commerciaux familiaux. La découverte de cette région du monde foisonnante et cosmopolite dans laquelle les livres occupent une place centrale ne va toutefois pas se dérouler tout à fait comme prévue. A l’enthousiasme de départ succèdent bien vite la sidération puis la panique lorsque Jevick se rend compte que, suite à sa participation à un étrange festival et à sa rencontre avec une jeune femme atteinte d’une maladie incurable, le voilà désormais hanté par un fantôme. Or, en Olondre, on ne plaisante pas avec ceux qui revendiqueraient une connexion avec des esprits ou des anges, les autorités y suspectant systématiquement une tentative de manipulation pour des raisons religieuses et idéologiques. Totalement démuni, à la fois par ce phénomène surnaturel qu’il ne comprend pas mais qui lui cause d’atroces souffrances, mais aussi par le rôle qu’on semble désormais vouloir lui faire jouer au sein d’une lutte de pouvoir opposant deux courants intellectuels et spirituels en Olondre, notre héros va devoir trouver au plus vite ce que lui veut son fantôme tout en prenant garde à ne pas se laisser manipuler par ceux qui, au prétexte de lui venir en aide, comptent bien se servir de lui pour imposer leur vision.

Doutez de la page et préservez le doute, car un livre est une forteresse, un lieu empli de pleurs, la clé d’un désert, une rivière dépourvue de pont, un jardin de ronces.

Un récit en dents-de-scie

« Un étranger en Olondre » est de ces romans qui, bien que loin d’être exempts de tout défaut et rythmés par des hauts et des bas, restent longtemps en mémoire des lecteurs. Mais commençons d’abord par les choses qui fâchent. Divisé en six parties, le récit peut en fait être scindé en trois gros tiers qui ne sont pas d’intérêt égal. La première partie consiste en la mise en place de l’histoire et à la découverte des principales spécificités de l’univers imaginé par Sofia Samatar. Elle évolue selon un rythme tranquille dont la lenteur et l’absence de rebondissements sont toutefois largement compensés par la curiosité que l’on éprouve non seulement envers le monde dans lequel évolue notre héros mais aussi envers celui qu’il aspire de découvrir, l’Olondre. L’univers de l’autrice se distingue de bien d’autres par ses nombreuses inspirations difficilement identifiables mais dans lesquelles on croit reconnaître parfois des éléments propres aux cultures africaines, asiatiques ou orientales, ce qui donne au roman une ambiance exotique particulièrement agréable. La seconde partie voit l’intrigue principale se mettre véritablement en branle et lève le voile sur les enjeux liés à la possession de Jevick par ce fantôme. Il s’agit curieusement de la partie du roman que j’ai le moins apprécié, l’autrice semblant souvent se perdre en digressions et se montrant parfois trop allusives pour permettre au lecture de cerner pleinement ce qui se joue ici en Olondre. La troisième partie est, à mon sens, de loin la meilleure, et c’est elle qui transforme un récit jusque là seulement sympathique en véritable petit bijou. Il y est davantage question du fantôme de Jevick et de son histoire, ainsi que de la relation que tous deux en viennent à entretenir. L’autrice complexifie également les positions précédemment prises par les deux principales visions du monde qui s’affrontent en Olondre, ce qui permet au lecteur de porter sur les événements passés un regard différent.

Elle était vivante, si vivante que j’oubliai que le nom de la vie qu’elle menait était Mort.

Les livres à l’honneur

Si l’intérêt du lecture fluctue en fonction de l’évolution du récit, il est néanmoins un aspect du roman présent de bout en bout qui lui donne une grande partie de son charme : la réflexion de l’autrice sur la place de la littérature dans une société et les plaisirs liés à la lecture. Sofia Samatar nous livre ici de très beaux passages, pleins de sensibilité et de justesse, sur le rôle déterminant que les livres peuvent avoir sur une existence ainsi que sur leurs pouvoirs bien connus des amateurs de littérature (celui de se lier d’amitié avec des personnages fictifs, celui d’étendre nos horizons, celui de nous déconnecter totalement du réel pour quelques minutes ou quelques heures, celui d’ébranler nos certitudes…). On pourrait d’ailleurs regretter que l’opposition entre les dirigeants actuels de l’Olondre, qui entendent faire du livre et de la raison le cœur même de leur civilisation, et leurs détracteurs (un culte religieux qui privilégie au contraire la culture orale et met l’accent sur le charnel) ne soit pas davantage développé sur le plan philosophique. Un mot, pour terminer, sur les personnages pour lesquels l’intérêt du lecteur varie là aussi en fonction de l’évolution du récit. La sympathie première qu’on éprouve pour Jevick se transforme peu à peu en indifférence à mesure que l’histoire le cantonne au rôle de spectateur passif et ignare. La troisième partie vient, là encore, réveiller l’affection première portée au protagoniste dont la détresse se révèle bouleversante. S’il est toutefois un personnage à retenir, ce serait avant tout celui du fameux fantôme, cette jeune femme condamnée à la mort et habitée d’une rage de vaincre et d’une colère incroyable. Bien que certainement moins sympathique que Jevick (son amertume et son arrogance la rendent parfois acerbes et cruelles avec les autres), cette dernière fait partie des rares personnages littéraires qui, en peu de pages, parviennent à acquérir une véritable densité, celle-là même qui la rendra inoubliable à beaucoup de lecteurs. Preuve en est que la cassure dans le récit initiale au cours de laquelle on quitte l’Olondre et Jevick pour découvrir son histoire, est sans doute la partie de l’histoire la plus captivante.

« Un étranger en Olondre » est un roman surprenant auquel on ne peut s’empêcher de trouver des défauts (de rythme, notamment) mais dont le succès s’explique grâce à la sensibilité de son autrice et sa capacité à mettre en scène un univers et des personnages d’une grande profondeur. La plume de Sofia Samar, pleine de poésie et de romantisme, participe également au charme du récit qui nous livre aussi de belles réflexions sur le rôle essentiel de la littérature.

Autres critiques : Les chroniques du Chroniqueur

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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