Fantasy

L’âge de la folie, tome 2 : Le problème avec la paix

Titre : Le problème avec la paix
Cycle/Série : L’âge de la folie, tome 2
Auteur : Joe Abercrombie
Éditeur : Bragelonne
Date de publication : 2022 (janvier)

Synopsis : Ancienne reine des affaires à Adua, Savine dan Glokta a tout perdu lors des émeutes de Valbeck. Sa fortune, son flair et sa réputation… Il ne lui reste plus que son ambition et une solide absence de scrupules. Pour un héros de guerre comme Leo dan Brock, la paix est une source d’ennui et de frustration. Mais avant de repartir au combat, il lui faut forger des alliances… et la diplomatie n’est pas son fort. Pendant ce temps, son amie Rikke lutte pour maîtriser son don maudit – avant qu’il finisse par avoir sa peau. Fraîchement couronné, Orso doit avant tout se garder des coups de poignard que lui réservent ses « partisans ». Sans pour autant négliger ses ennemis désireux de libérer le peuple de ses chaînes, les nobles, concentrés sur leurs intérêts privés, ou encore les créanciers qui l’attendent au tournant de la dette. L’ancien temps est mort et ses monarques avec. Les nouveaux découvriront vite que rien n’est éternel. Ni les pactes, ni les allégeances… ni la paix.

Tant qu’à faire, Orso espéra que son attitude passerait pour du courage, voire de la bravoure. En réalité, il n’y avait pas de quoi se rengorger. L’explication, c’était sans doute une stupidité sans bornes, et une arrogance dénuée de limites. Au fond, le courage, c’était peut-être toujours ça. Convaincu de sa propre importance, un type – surtout un peu con – pouvait commencer à croire que la mort ne concernait que les autres.

Trahison, cynisme, humour et combats acharnés : bienvenue chez Abercrombie !

Dix ans après la parution du dernier tome de « Première loi », Joe Abercrombie est revenu l’an dernier à son univers fétiche avec le début d’une nouvelle trilogie baptisée « L’âge de la folie ». L’action se déroule plusieurs décennies après les événements relatés dans « Dernier combat » et met en scène une nouvelle génération de héros, dans la grande majorité des descendants des protagonistes de la précédente trilogie. On retrouve donc, entre autre, la fille de l’Insigne Lecteur Glotka et d’Ardee, celle du Nordique Renifleur, le fils de Jezal et Terez, ou encore celui de Finree dan Brock, de même qu’une multitude de personnages secondaires des précédents romans de l’auteur, y compris certains issus de ses tomes indépendants (« Pays rouge » ; « Les héros » et « Servir froid »). Sans surprise, si vous êtes amateur/amatrice de dark-fantasy et avez déjà eu l’occasion de vous plonger dans la bibliographie d’Abercrombie, vous vous laisserez sans mal embarquer dans cette nouvelle aventure bourrée de références et dans laquelle on retrouve chacun des ingrédients qui font la saveur de la recette de l’auteur. Si, en revanche, vous ne connaissez rien à cet univers et n’êtes pas particulièrement friands d’humour noir, de règlements de compte sanglants et de scènes de batailles qui s’éternisent, je vous conseille de passer votre chemin ! Le premier tome était déjà bien noir, bien cynique et bien sanglant, et le second parvient à aller plus loin encore. [Attention SPOILER : Si vous n’avez pas encore eu l’occasion de découvrir le premier tome je vous suggère de passer directement au paragraphe suivant au risque de vous voir révéler certains pans de l’intrigue.] Après avoir réussi à réprimer tant bien que mal la révolte populaire de Valbeck, voilà que l’Union se retrouve confrontée à une autre menace venue de l’intérieur même du royaume. La classe ouvrière n’est visiblement pas la seule à ne pas être satisfaite de la politique royale et à désirer un changement puisque voilà qu’une partie de la noblesse envisage à son tour de se rebeller ouvertement contre la couronne. Après des années de guerres menées avec la plupart de ses voisins, des Nordiques aux Styriens en passant par les Gurkhiens, et alors que le royaume connaissait enfin une période de calme relatif, il semblerait que la paix ne soit pas du goût de tout le monde !

-Les ennemis, c’est comme les fauteuils, non ? Il vaut mieux les choisir qu’en hériter.
-Les deux sont pourtant fait pour qu’on s’assoie dessus.

Guerre et paix

La construction narrative de ce deuxième tome ressemble à s’y méprendre à celle du premier, avec un rythme et une tension qui vont crescendo jusqu’à un final spectaculaire donnant lieu à une débauche de sang et de larmes. Tout le monde s’accorde aujourd’hui à reconnaître le sens du coup de théâtre d’un auteur comme G. R. R. Martin grâce à des scènes marquantes comme la mort de Ned Stark ou les noces pourpres, mais Abercrombie n’a franchement pas de leçon à recevoir ! Chaque fois que l’on pense savoir où vont mener les décisions de tel ou tel personnage, l’auteur se fait un plaisir de rebattre toutes les cartes, non pas en multipliant les rebondissements artificiels sortis de nul part mais en révélant au compte-gouttes différents pans des plans ourdis par des protagonistes plus retors les uns que les autres. Si la première partie du roman est un peu longue au démarrage, la seconde, en revanche, est menée tambour battant et nous offre des moments de lecture trépidants, qu’il s’agisse de scènes de confrontations attendues entre personnages ou bien sûr des scènes d’affrontements militaires qui alternent, comme toujours, entre l’épique et l’absurde. Une bataille, chez Abercrombie, c’est certes de magnifiques charges de cavalerie et des moments de bravoure émouvants, mais c’est aussi un beau bordel dans lequel on peut facilement confondre ami et ennemi et où le courage des soldats, même les plus aguerris, vole rapidement en éclat à la vue des morts et mutilations causées par le carnage. Le résultat est particulièrement immersif et provoque chez le lecteur un sentiment difficile à cerner, mélange d’écœurement face à l’absurdité, abondamment soulignée, du conflit et de fascination morbide pour ces affrontements parfois franchement spectaculaires. Le roman est cela dit loin de se limiter à une simple bataille, l’auteur posant ici un certain nombre de jalons qui serviront de toute évidence dans le tome suivant et qui permettent de complexifier toujours un peu plus son univers et les rapports de force auxquels se livrent les principaux dirigeants des différentes régions. La rébellion ourdie par une partie de la noblesse de l’Union n’est ainsi qu’une des nombreuses facettes de la vaste toile tissée par l’auteur et impliquant aussi bien les royaumes voisins que les mages ou encore une classe ouvrière de plus en plus revendicative.

Bouleversements politiques et économiques

Il s’agit d’ailleurs là d’un des aspects les plus innovants de l’œuvre d’Abercrombie qui, après une trilogie et plusieurs romans d’une fantasy relativement classique, choisit de mettre en scène ici une société en voie d’industrialisation, avec tous les bouleversements économiques, politiques et sociétaux que cette transition implique. Multiplication des usines, ouvriérisation d’une partie de la population, essor de technologies novatrices qui remettent en question des modes de production séculaires et soutenues par de puissants investisseurs… : autant de chamboulements qui, en l’espace de quelques décennies seulement, ont profondément changer le visage de l’Union. Si l’auteur se garde bien de tout manichéisme et reste fidèle à son habitude de montrer qu’on est tous le salaud de quelqu’un et que, sous les nobles ambitions, se cachent souvent des considérations bien plus égoïstes, il n’empêche qu’il se livre ici à une critique assez acide du capitalisme dont il ne questionne pas d’éventuelles dérives mais le fonctionnement même. Cette critique s’accompagne d’une plus grande visibilité accordée aux classes populaires qu’Abercrombie met en scène de manière nuancée, sans les victimiser mais sans chercher à édulcorer non plus les conditions de travail et de vie déplorables. Le profil sociologique de la majorité du casting reste cela dit celui de d’hommes et de femmes riches et puissants, même si l’auteur tente de s’extraire de leur unique point de vue le temps de quelques chapitres dans lesquels il ose une construction intéressante consistant en la description d’un même événement par plusieurs anonymes que l’on découvre le temps de quelques lignes seulement.

Le mieux qu’un chef pouvait faire, c’était d’arnaquer ses hommes en faisant semblant de tout savoir. La peur ? Inconnue au bataillon ! Le doute ? Même chose. Commander, c’était couillonner. Faire croire qu’on agissait en connaissance de cause alors qu’on était aussi paumé que n’importe qui.

« Le problème avec la paix » se situe sans surprise dans la droite lignée du tome précédent de « L’âge de la folie », et plus largement de l’ensemble de l’oeuvre d’Abercrombie. Si vous aimez la fantasy sombre et sanglante, pleine d’antihéros plus retors et cyniques les uns que les autres et bourrée de dialogues percutants, alors vous adorerez ce nouvel opus qui laisse présager un troisième tome explosif !

Voir aussi : Tome 1

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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