L’Homme-canon
Titre : L’Homme-canon
Auteur : Christophe Carpentier
Éditeur : Au Diable Vauvert (Littérature française) [site officiel]
Date de publication : 6 janvier 2022
Synopsis : Le chef de gare. — Et vous comptez en faire quoi d’ce canon ?
L’homme. — On veut aller de village en village pour montrer notre spectacle aux gens.
Le chef de gare. — Vous êtes des saltimbanques, quoi ?
L’homme. — Oui, c’est ça. C’est le début du printemps et on s’est dit que c’était le bon moment pour partir sur les routes et offrir un peu de distraction aux gens.
Le chef de gare. — Parce que vous pensez que les gens ont besoin de distraction, vous ? Il pointe son index en direction de l’écran-télé. Et ça, c’est quoi alors ?
C’est un talk-show d’experts sur les Événements qui ont précédé le vote des Lois de 2057. Ça fait du bien ce genre de piqûre de rappel, parce qu’on oublie toujours la merde que ça a été avant aujourd’hui.
Après Cela aussi sera réinventé en 2020, Christophe Carpentier publie un deuxième roman chez Au Diable Vauvert (après trois chez P.O.L. et un chez Denoël), encore une fois il questionne l’apport des littératures de l’imaginaire dans L’Homme-canon.
En attendant le canon
Bastien patiente en gare de Sainte-Blandine-sur-Fleury (ville fictive), il a rendez-vous avec un train de marchandises qui doit lui livrer son canon qu’est allé chercher son associé Kolya. Armé de sa détermination et d’un simple SMS affirmant que la livraison arrive bientôt, Bastien s’échine à convaincre les quelques personnes qu’il rencontre que le métier d’homme-canon dont il a fait son but, qu’il veut expérimenter, qu’il débute à peine, vaut vraiment le coup (et le coût d’ailleurs). Tout du moins, il tente d’être un minimum toléré dans une France de la fin du XXIe siècle qui a dû subir plusieurs pandémies et surtout un recadrage des libertés publiques et des manières d’aborder toute sorte de connaissances collectives. Ainsi, chaque journée est rythmée par les Directs publiés en continu par les chaînes de télévision, émissions censées mettre constamment en valeur les bienfaits de certaines catégories de la population, qui un pompier en intervention, qui une experte en plein débat, qui un péquin standard qui a réussi à attirer les caméras de télévision. Seul le direct fait foi, désormais. Or, avec son attitude étrange, Bastien fait tâche dans le paysage. Certains le brocardent, d’autres l’accueillent comme un lapin naïf perdu dans les phares d’une voiture : mais où s’arrête l’assistanat si jamais vous voyez Bastien comme un simple profiteur ? et où débute la subversion si vous le considérez comme un agitateur utile ?
Pièce de théâtre en trois actes
Dès le départ, Christophe Carpentier a fait dans l’originalité sur la forme : L’Homme-canon est une pièce de théâtre avec tout ce qu’il faut d’actes, de scènes, de didascalies très précises et de mise en page des dialogues personnage par personnage. De mémoire, en SF ou fantasy, la seule pièce de théâtre que j’ai lue est celle de Fabien Cerutti dans son recueil Secrets du premier coffre, qui était très réussie aussi. Dans cette perspective, l’auteur joue de l’astuce de dénommer chaque personnage par son rôle tout d’abord et ensuite, si jamais une ligne de dialogue nous en informe, par son prénom. Ce choix de forme fonctionne très bien, puisqu’il y a une vraie unité de lieu, de temps et d’action dans chacun des actes ; l’omniprésence des dialogues n’est pas gênante : on sent parfois que l’auteur aurait envie (notamment dans l’acte II) de développer davantage son propos, mais il se tient heureusement à ce qui tourne au plus près du personnage principal, qui passe de scène en scène (le seul d’ailleurs) comme si le plateau tournait, changeait de décor en permettant à Bastien de le traverser, évoluant à chaque étape. L’intrigue aurait pu être plus aboutie, mais cela aurait peut-être mis en danger l’unité de cette pièce de théâtre.
À quoi sert l’imaginaire ?
Même si cela ne semble pas le premier but de l’intrigue, L’Homme-canon est un roman qui se donne pour but de souligner l’intérêt de faire fonctionner constamment notre imaginaire, dans une logique de survie tout simplement. Comme Cela aussi sera réinventé, L’Homme-canon propose une vision des choses très réfléchie, mais d’une manière bien plus subtile, ou en tout cas plus subtilement intégrée à une intrigue qui est plaisante à découvrir. Ici, il s’agit de se mettre dans la position du citoyen lambda noyé dans une société française anémiée par les pandémies et les politiques sécuritaires : que ferait-on ? se laisserait-on bercer par ces Directs incessants ? ou chercherait-on à subvertir ses contemporains ? L’auteur propose avec Bastien une vision de l’imaginaire comme échappatoire de réflexion sur notre monde, car ce sont aujourd’hui les littératures de l’imaginaire les plus à même de révolutionner notre société par l’écrit.
L’Homme-canon est donc original, bien écrit, inventif et réflexif. C’est déjà un beau cocktail !
Autres critiques :
Allan (Fantastinet)