Fantasy

Le mystère du tramway hanté

Titre : Le mystère du tramway hanté
Auteur : Phenderson Djèli Clark
Éditeur : L’Atalante
Date de publication : 2021 (mai)

Synopsis : Égypte, 1912. Après L’Étrange Affaire du djinn du Caire, nous revoici en compagnie des agents du ministère de l’Alchimie, des Enchantements et des Entités surnaturelles, aux prises cette fois avec un spectre mystérieux qui a élu domicile dans un tramway du service public. Tandis que dans les rues du Caire les suffragettes revendiquent haut et fort le droit de vote, l’agent Hamed Nasr et son nouveau partenaire l’agent Onsi Youssef devront délaisser les méthodes conventionnelles et faire appel à des consultantes inattendues (ainsi qu’à une automate hors du commun) pour comprendre la nature du dangereux squatteur de la voiture 015 et pour le conjurer.

-Féminin par nature… répéta Abla, peu impressionnée par cette litanie. Vous voulez bien m’expliquer ce que ça change pour un esprit ? Vous l’avez dit vous-même, ce n’était qu’un peu de fumée grise avant qu’il ne se matérialise. Il existe des théories selon lesquelles les entités spectrales ne possèdent pas de forme sur notre plan mais qu’elles adoptent celles que nos histoires leur prêtent. (…) Ce n’était qu’un être informe qui s’occupait de ses oignons. Jusqu’à ce qu’ils croise des hommes qui ont décidé de lui donner l’apparence d’une belle femme ou d’une abominable mégère, parce que les hommes sont incapables d’envisager les femmes autrement. 

Nouvelle enquête en Égypte

« Le mystère du tramway hanté » est la troisième novella de P. Djeli Clark éditée par l’Atalante après le succès des « Tambours du dieu noir » et de « L’étrange affaire du djinn du Caire » (toutes deux publiées dans le même recueil). On y retrouve le même univers que celui déjà exploité dans la seconde nouvelle, à savoir une Égypte uchronique propulsée au rang de grande puissance mondiale au début du XXe siècle suite à l’intervention d’un sorcier qui permit à la magie ainsi qu’à un tas de créatures surnaturelles de s’inviter dans notre monde. Si le texte ne met pas en scène la même héroïne, on retrouve tout de même la fameuse brigade du ministère de l’Alchimie, des Enchantements et des Entités surnaturelles puisque les deux protagonistes sont à nouveau deux enquêteurs, l’un plutôt chevronné, l’autre complet novice. Travaillant ensemble pour la première fois, le duo va se retrouver confronté à une affaire des plus coriaces impliquant la présence d’une créature d’origine surnaturelle inconnue dans l’un des tramways de la capitale. Identifier l’entité promet déjà d’être compliqué, alors pour ce qui est de la chasser… L’auteur mêle de nouveau habilement les codes de la fantasy et du polar et nous livre une enquête bien ficelée dont on prend plaisir à suivre les nombreux rebondissements. Les deux agents du ministères sont sympathiques et leur personnalité se complète à merveille, l’un amusant par sa maladresse tout en suscitant l’admiration pour son érudition tandis que l’autre rassure par son expérience tout en provoquant lui aussi l’hilarité par son côté un peu trop formel qui lui jouera plusieurs fois des tours. En ce qui concerne l’univers, on demeure sur quelque chose de très classique même si le cadre égyptien permet malgré tout à l’auteur de se démarquer en mettant en avant des folklores ou des mythologies rarement exploitées en imaginaire.

Des femmes fortes, et en lutte !

Si le duo au cœur de l’intrigue est masculin, ce sont pourtant les femmes qui occupent le devant de la scène, et ce sur tous les plans. Le contexte dans lequel se déroule l’enquête, d’abord, est particulier puisqu’il est question pour le Parlement égyptien d’adopter une loi visant à accorder le droit de vote aux femmes (nous sommes alors en 1912). L’auteur décrit ainsi à plusieurs reprises les différentes formes de mobilisation utilisées par les suffragettes égyptiennes pour faire valoir leurs droits, ainsi que l’émulation qui règne alors dans les rues de la capitale. L’aspect féministe du texte vient aussi non seulement du grand nombre de personnages féminins gravitant dans l’entourage des deux protagonistes, mais aussi de la manière dont elles sont mises en scène. Loin de se cantonner au rôle de potiches ou de figurantes, elles jouent au contraire un rôle clé dans l’intrigue puisque ce sont vers leur expertise que se tournent les enquêteurs pour résoudre leur affaire, ce qui est loin d’être courant. Qu’elles soient spécialisées dans des rituels visant à chasser des entités malveillantes, fines connaisseuses de certaines cultures, automates ou encore serveuses curieuses et dotées d’un sacré bon sens, toutes les héroïnes qui apparaissent ici marquent par leur caractère affirmé qui ne manque d’ailleurs pas de déstabiliser le plus vieux des deux agents, encore sacrément imprégné de tout un tas de clichés patriarcaux qui ont la vie dure. Certaines réflexions de l’auteur concernant la manière dont se forge l’imaginaire, et notamment sur le caractère non anodin de la représentation de créatures jugées malveillantes en femme, sont également intéressantes et ajoutent au caractère politique de l’œuvre. Outre la qualité de la réflexion et du mystère proposé, le charme de l’ouvrage vient enfin, aussi, de l’humour instillé par P. Djeli Clark dans son récit. Que se soit par le biais de répliques bien senties servant à moucher les protagonistes, ou tout simplement en raison du caractère rocambolesque de la situation dans laquelle les deux enquêteurs se retrouvent parfois, on se prend souvent à sourire à la lecture de cette affaire décidément peu banale au cours de laquelle nos héros vont devoir s’affranchir de leurs habitudes.

Située dans le même univers que « L’étrange affaire du djinn du Caire », cette novella séduit autant par la qualité de son intrigue pleine de rebondissements que par celle de ses personnages ou de son décor. Le choix de mettre en avant une lutte féministe, tout comme celui de faire référence à un bestiaire oriental peu connu des lecteurs occidentaux participent également au charme de l’oeuvre et renforcent sa complexité. A noter que L’Atalante prévoit pour le mois de février prochain la parution de « Maître des djinns » dans lequel on pourra retrouver le personnage de Fatma dans une enquête plus complète puisqu’il s’agit cette fois d’un roman, et non plus d’une novella.

Voir aussi : Les tambours du dieu noir

Autres critiques : Aelinel (La bibliothèque d’Aelinel) ; Apophis (Le culte d’Apophis) ; Belette 2911 (The Cannibal Lecteur) ; Célinedanaë (Au pays des cave trolls) ; L’ours inculte ; Le nocher des livres ; Les Chroniques du Chroniqueur ; Lutin82 (Albédo – Univers imaginaires)

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

7 commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.