Les Héritiers
Titre : Les Héritiers
Auteur : Fabien Clavel
Éditeur : ActuSF (Les Trois Souhaits) [site officiel]
Date de publication : 16 avril 2021
Synopsis : Paris, 1899.
Les fées sont parmi nous.
Cachées.
On les appelle des Faux-Semblants.
En pleine Belle Époque, Raphaël Acanthe, jeune séducteur, découvre à la faveur d’un duel qu’il est l’un de ces Faux-Semblants : un sylve. De Paris au Sahara en passant par Budapest, cette découverte l’emmène dans un engrenage infernal, entre les diverses factions de fées et les complots contre la Monarchie féerique. Entraîné malgré lui dans cette intrigue tentaculaire, Raphaël en compagnie d’un groupe hétéroclite de Faux-Semblants, dont Béla, un pitoyable mais si attachant vampyr, et Una, une dangereuse fleur de métal, va mettre à jour une terrifiante machination qui pourrait dévoiler au monde l’existence des fées.
— Si j’étais ton oncle, je féliciterais mon neveu en lui disant qu’il est désormais un homme. Mais…
— Mais… ?
— Mais je ne suis pas ton oncle et tu n’es pas un homme.
— Pourriez-vous parler plus clairement ? s’étrangla Raphaël.
— Les choses sont on ne peut plus claires. Je ne suis pas ton oncle et tu n’es pas un homme.
Régulièrement, après plusieurs publications à destination de la jeunesse, Fabien Clavel revient à la littérature pour adultes et en 2021, c’est avec Les Héritiers qu’il poursuit son Paris mi-féérique mi-steampunk chez les éditions ActuSF.
French Fays
Raphaël Acanthe est un jeune dandy qui batifole dans le Paris de la Belle Époque. Mais c’est aussi un sylve, un être humanoïde féérique apparenté aux végétaux (au vu de son patronyme, cela semblait tomber sous le sens), sauf qu’il ne le sait pas, il est pour l’heure un Enfoui, c’est-à-dire un Faux-Semblant qui s’ignore, une « fée » dont les pouvoirs vont désormais se révéler. Par pur hasard, il fait cette découverte et de toute la société féérique qui va avec. Or, quiproquo après malentendu, il se retrouve embarqué dans une course contre la montre pour sauver Avalon, la cité féérique qui s’érode lentement mais sûrement devant une menace encore inconnue. Son oncle le lâche dans ce monde qu’il ne connaît, il tombe sur un vampire aussi attachant que peu combatif, il développe d’étranges pouvoirs végétaux et ne peut s’empêcher de jouer de son charisme auprès des dames, de tous les âges d’ailleurs. En parallèle de ses aventures de groupes, le pouvoir féérique est en train de basculer : les anciennes forces autour de Merlin monopolisent la Monarchie féérique, mais d’autres forces surviennent, à commencer par les Monarchomaques qui cherchent, comme leur nom l’indique, à renverser la Monarchie pour établir, ce n’est pas très clair, un pouvoir révolutionnaire. Sans cesse poussé en avant par les circonstances, le groupe constitué autour de Raphaël finit par se donner pour objectif de mettre fin au complot qui semble s’ourdir au fin fond du désert du Sahara.
Aventure chorale
Les Héritiers est un roman dont on ressort la bave aux lèvres, comme si on avait passé six mois à courir la campagne, la tête à la fenêtre de son automobile 1900 lancée dans des pointes à 30 km/h. Dans la lignée de Feuillets de cuivre, complexe enquête enchevêtrée d’énigmes facétieuses, Fabien Clavel reprend cet univers légèrement steampunk dans une fin de XIXe siècle remaniée où la féérie tient les rênes en sous-main. Dans ce cadre-là, évoluent une quantité assez folle de personnages. En premier lieu, j’avoue ne pas avoir compris où allait ce personnage principal de Raphaël : il lui arrive moult péripéties qu’il ne cherche jamais vraiment, il n’a pas l’air très motivé par l’enquête à laquelle il participe… Tous les autres personnages ont bien plus de personnalité que lui, et d’intérêts dans l’histoire surtout. Donc, on peut arriver à la conclusion qu’il ne sert que de faire-valoir pour autre chose. Le casting est très masculin autour du sylve Raphaël Acanthe et du vampire Béla Bagyadt, mais un casting où surnage Una, un électron libre dans cette société féérique si corsetée : changeant de camp, se posant quantité de questions fondamentales, s’interrogeant constamment sur l’attitude à tenir, elle doute, notamment parce qu’elle ressent violemment le fait d’être une femme dans une telle aventure (et en plus, une femme qui ne cherche pas que son seul profit, il y a des exemples inverses dans Les Héritiers…). Car, en effet, le monde qui sert de décor aux Héritiers est particulièrement machiste ; parfois il faut se rappeler très fort que ce sont bien les manies normatives des personnages masculins ainsi que le sexisme patenté de l’un d’entre eux qui sont mises en œuvre ici, et pas des scènes contemporaines. Una, dans tout cela, se démène et, même si plusieurs de ses réflexions peuvent finir par être lourdes à force de se demander pourquoi elle ressent telle ou telle chose, c’est utile pour son évolution. Quelques autres personnages sont d’importance, mais pas forcément explicitement : l’inspecteur Ragon, magistralement présenté dans Feuillets de cuivre et que nous retrouvons veuf, dix ans après, le fouinard Ferdinand Destouches, mécanicien de génie, etc. Autant de fiches de personnages qui sont bien campés, mais pas toujours fondamentaux pour ce récit en particulier. Cela donne de la profondeur à l’histoire, mais laisse surtout augurer d’autres éléments à découvrir ; notamment, le lecteur a le loisir d’entrapercevoir (progressivement) le potentiel de ces « Héritiers » qui donnent leur nom au titre, ce qui appelle immanquablement un futur roman conséquent sur leurs agissements.
Récit qui fourmille d’idées
Dans un esprit proche de la Brigade chimérique, en plus féérique encore et en moins superhéroïque, peut-être plus proche d’American Fays d’Anne Fakhouri et Xavier Dollo, Fabien Clavel a repris son tout premier roman pour en faire une somme de 750 pages présentant Les Héritiers comme un univers complet. Il est vrai qu’au premier coup d’œil, on sent un peu le côté « premier roman remanié », Feuillets de cuivre étant à l’inverse plus nerveux et plus tranchant. Ici, on prend davantage son temps, la balade est de temps en temps plus lente, parfois pour découvrir des anecdotes sur des personnages insignifiants ou des lieux méconnus, souvent pour préparer la scène d’action suivante. Ce n’est donc peut-être pas le meilleur roman de Fabien Clavel, mais on y retrouve avec plaisir les caractéristiques de son écriture : l’approche « jeu de rôle », le goût pour la littérature du XIXe siècle et les références mythologiques. Dans celui-ci, il serait même tentant de voir des références au mythe de Cthulhu (le docteur Howard, le père Philip, Hickman comme chef d’expédition, autant d’éléments qui font penser à Howard Phillips Lovecraft et à quelques aventures liées aux Grands Anciens, pas incohérentes ici vu la quête épistolaire puis aventureuse peinte ici). Le roman joue avec les caractéristiques du jeu de rôle auquel il est rattaché : galerie de personnages très différenciés créant des stéréotypes exploitables, moments de préparation très marqués avant chaque action d’envergure, bestiaire et équipement conséquents. Tout ce fourmillement a déjà donné beaucoup de travail à l’auteur, semble-t-il, entre ce roman et d’autres publications, mais énormément de chemins différents ne sont qu’esquisser ici. À noter, pour l’anecdote, que ce roman serait très intéressant à adapter en jeu vidéo, car le style enlevé et la richesse de l’arrière-plan méritent d’être montrés, cette aventure est digne d’un Uncharted, en mieux écrit en l’occurrence, en plus approfondi (je dirais même que certains décors font penser à des passages du troisième opus avec la cité dans le désert yéménite et ses djinns, notamment).
Les Héritiers est un roman qui propose un voyage haletant et éprouvant, mais aussi fascinant ; même si certains choix scénaristiques peuvent poser question, la qualité sur les 750 pages est à saluer.
Voir aussi :
Feuillets de cuivre
Autres critiques :
Jean-Claude Rouquet (Les Chroniques d’Arrakis)
2 commentaires
Yuyine
Il faut vraiment que je me plonge dans la bibliographie de l’auteur dont j’entends décidément trop de bien!
Dionysos
Moi j’y vais les yeux fermés, en tout cas pour ses publications adultes, je connais moi ses romans pour la jeunesse.