Science-Fiction

Les métamorphoses, tome 2 : Brevis est – Numérique

Titre : Brevis Est – Numérique
Cycle/Série : Les métamorphoses, tome 2
Auteur/Autrice : Marina et Sergueï Diatchenko
Éditeur : L’Atalante
Date de publication : 2021 (mai)

Synopsis : Testeur de jeu vidéo d’une nouvelle génération ? Une aubaine pour Arsène, ce gamer surdoué d’à peine quinze ans. Mais, ce job en or, il n’est pas le seul à y postuler et la compétition sera rude. Tout cela pour le compte de l’insaisissable Maxime, dont les desseins sont ambigus. Pur charlatan ? Aimable manipulateur ? Visionnaire d’une monde virtuel à venir ? Ou plus déconcertant encore ?  « Je transfigure le matériel en immatériel et inversement. » Entre désir et réalité, demi-vérités et faux-semblants, entre virtuel et réel, Arsène apprend à naviguer d’un monde à l’autre, là où les frontières s’estompent. Mais pour aller où ? L’enjeu est rien moins qu’innocent.

De la magie, c’est ça ? Et la voix dans le téléphone n’est pas magique ? Comment un homme peut-il entrer dans une aussi petite boite en plastique ? Surtout si, en réalité il se trouve à des centaines de kilomètres ? Mon ami ! Ils sont des milliards à utiliser leur télécommande comme une baguette magique. Ils sont des milliards à invoquer le système d’exploitation de leur ordinateur comme un djinn d’une bouteille. Les gens ordinaires n’en comprennent pas le fonctionnement, pourtant tout le monde les utilise. 

« Vita nostra brevis est, brevi finietur »

Deuxième volet de la trilogie « Métamorphoses » écrite par Marina et Sergueï Diatchenko, « Brevis est » (ou « Numérique ») peut néanmoins se lire de façon indépendante puisque rien ne fait ici référence à l’intrigue ou aux personnages de « Vita Nostra ». Ce dernier ayant reçu un accueil enthousiaste de la part du public,il va s’en dire que la suite était particulièrement attendue, d’autant plus que sa sortie a été repoussée en raison de la pandémie. Alors, ce nouvel opus est-il à la hauteur du précédent, qui avait placé la barre relativement haut ? Pas tout à fait, en ce qui me concerne, même si on a tout de même affaire à un très bon roman, tant sur le fond que sur la forme. Après s’être amusés à mêler fantasy et fantastique, les auteurs s’intéressent cette fois à un mélange SF/fantastique, et le résultat est remarquable. Un roman écrit il y a plus de dix ans et consacré aux jeux vidéos aurait pourtant pu très vite paraître dépassé (la sortie en VO date de 2009). Or le propos et les innovations mises en scène n’ont rien de démodé et la réflexion de fond demeure tout à fait pertinente. Le roman met en scène un adolescent slave de quatorze ans, Arsène, grand amateur de jeux vidéo et notamment de « Bal royal », un jeu de stratégie politique en ligne dans lequel il est parvenu à acquérir une position dominante que beaucoup d’autres joueurs lui envient. L’addiction du garçon est toutefois de plus en plus manifeste, au point d’inquiéter ses parents et de mettre en péril sa scolarité. Le salut va venir d’un certain Maxime, un homme a priori tout à fait banal mais qui va proposer à notre héros de concourir pour accéder à un poste dans son entreprise. Le travail en question ? Testeur de jeux vidéo d’une toute nouvelle catégorie. Une aubaine pour Arsène qui va toutefois se retrouver confronté à des concurrents bien plus âgés et chevronnés, ainsi qu’à des dilemmes moraux qui vont peu à peu transformer sa vision du monde, réel comme numérique.

Vita nostra

Plongée au cœur des jeux vidéo

Comme dans « Vita Nostra », la première impression qui frappe à la lecture du roman est celle d’être entraîné dans une véritable spirale dont on oscille au fil des pages entre tentation de se laisser porter ou envie de lutter pour en sortir. La construction est, une fois encore, très habile, puisqu’on ne sait pas vraiment où nous entraînent les auteurs sans que cette incertitude ne soit à aucun moment source de désagrément. On se laisse au contraire facilement porter par le souffle du récit tout en étant sans cesse surpris par des rebondissements inattendus. Car l’intrigue est loin de se limiter à une classique compétition du genre « il n’en restera qu’un » et s’écarte au contraire rapidement des sentiers battus. Le roman se partage entre les sensations et expériences d’Arsène dans les différents jeux vidéos qu’on va lui proposer de tester et le récit de sa vie réelle qui s’effiloche de plus en plus au fil des pages. Les interactions sociales du héros sont assez limitées en dehors de son mentor et de ses concurrents (ses parents, une camarade de classe…) mais c’est malgré tout suffisant pour cerner la psychologie du personnage. Cela permet également de créer un contraste intéressant entre la toute-puissance qu’il parvient à acquérir dans les jeux dans lesquels il fait preuve d’un véritable talent pour la manipulation, et la vulnérabilité qu’il laisse transparaître lorsqu’il ne redevient qu’Arsène, un adolescent de quatorze ans en pleine construction et qui peine à démêler ses sentiments. Le thème de la métamorphose est bien présent tout au long du roman mais prend vraiment tout son sens dans le dernier tiers (exactement comme dans « Vita Nostra ») à mesure qu’Arsène se voit altéré par les « utilitaires » qui l’éloignent peu à peu de l’humanité. Les jeux vidéos proposés sont pour leur part intéressants et reposent sur des dynamiques classiques (combat, opposition entre clans, survie en territoire hostile…) qui pourraient aujourd’hui les faire paraître obsolètes si la réflexion des auteurs sur la manipulation (ce qu’on appelle aujourd’hui le « neuro-marketing ») n’étaient pas aussi actuelle.

Une ambiance et des personnages délicieusement troublants

Les personnages sont pour leur part très réussis, à commencer par Arsène qui possède évidemment des côtés agaçants liés à la fois à son âge et à son addiction (hypersensibilité, irritabilité, arrogance parfois) mais dont la vulnérabilité émeut. Les choix moralement condamnables qu’il est amené à prendre durant sa métamorphose permettent de complexifier davantage le protagoniste qui garde malgré tout tout du long une certaine candeur. La réprobation qu’on peut parfois ressentir à l’égard d’Arsène est d’ailleurs souvent contrebalancée par un événement qui vient cruellement rappeler au personnage comme au lecteur que le héros est encore à peine plus qu’un enfant, noyé dans un monde d’adultes dont il ne possède pas encore tous les codes. Maxime, son mentor, dégage pour sa part la même aura de fascination et de répulsion que les professeurs de Sacha dans « Vita Nostra ». Malgré son aspect débonnaire, on ne peut s’empêcher de ressentir un certain malaise face au personnage que l’on devine instinctivement bien plus dangereux qu’il n’y paraît. Les collègues d’Arsène sont quant à eux très ambigus et difficiles à cerner, ce qui ne les rend là aussi que plus inquiétants. Même les personnages « ordinaires » qui entourent Arsène finissent par susciter le malaise du lecteur, que ce soit à cause de révélations sur leur comportement ou de la prise de conscience de la nocivité de leurs propres passions. La conclusion proposée est pour sa part brutale mais satisfaisante puisqu’elle reflète à merveille la complexité du roman tout en provoquant des réactions ambivalentes chez le lecteur, mélange d’effroi et d’admiration.

« Brevis est » est un bon roman qui, s’il ne se hisse pas tout à fait à la hauteur de « Vita Nostra » n’en demeure pas moins passionnant. Bien construit et plein de surprises, l’ouvrage de Marina et Sergueï Diatchenko nous entraîne dans un monde où la frontière entre le jeu et la manipulation a disparu et nous pousse à nous interroger sur notre rapport au numérique. A lire !

Voir aussi : Tome 1 ; Tome 3

Autres critiques : Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Le dragon galactique ; Ombrebones (Chroniques de l’imaginaire)

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

Un commentaire

  • Tigger Lilly

    Je suis restée sur le paillasson, comme tu le sais déjà. Tu dis des choses très intéressantes dans ta chronique entre autre sur la toute-puissance que procure les utilitaires. Cette ne m’a pas poussé du tout à réfléchir à mon rapport au numérique : les persos étaient trop caricaturaux pour entrer dans un processus d’identification 😅

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