Science-Fiction

Métamorphoses, tome 3 – Brevi finietur – Migrant

Titre : Migrant – Brevi finietur
Cycle/Série : Métamorphoses, tome 3
Auteur/Autrice : Marina et Sergeï Diatchenko
Éditeur : L’Atalante
Date de publication : 2024 (janvier)

Synopsis : « Bienvenue sur Raa, dit un homme émacié d’une quarantaine d’années, un moustachu au teint hâlé. Je suis l’officier des services de l’immigration. » Et Krokodile, Andreï Stroganov pour l’état civil, d’apprendre qu’à sa demande il a été « soustrait » à son existence sur Terre par un mystérieux Bureau universel de migration. À sa demande vraiment ? Et pourquoi ? Il ne se souvient de rien. Reste qu’il va lui falloir s’adapter dans une société dont il ignore les codes. S’adapter… ou plutôt s’affirmer. En commençant par revendiquer le statut de citoyen à part entière alors qu’il est sommé d’accepter celui de « dépendant » comme tous les migrants. Le temps des choix est venu. Jusqu’à celui qui l’engagera pour la survie de ce monde qui n’est pas le sien, un monde suspect de dépendre lui-même d’êtres ou de forces qui le régiraient à leur gré.

Bienvenue sur Raa !

En 2019 paraissait « Vita Nostra », premier tome d’une trilogie inspirée des métamorphoses d’Ovide mais replacées dans un cadre contemporain et écrite par Marina et Sergeï Diatchenko (ce dernier est décédé il y a peu). Récompensé par de nombreux prix, le roman fut une très belle surprise mais le risque était grand de voir l’intérêt décliner dès le deuxième volume dans la mesure où chaque tome est totalement indépendant du précédent, et que le contexte est même radicalement différent. Bien que ne suscitant pas autant d’enthousiasme, « Numérique » proposait une réflexion intéressante (quoiqu’un peu datée parfois) sur notre rapport aux nouvelles technologies. Le troisième et dernier opus, « Migrant », ne m’a, en revanche, pas vraiment convaincue. Tout commence avec un homme, Krokodile, qui se retrouve soudainement soustrait à notre planète par un mystérieux Bureau des migrations qui lui annonce que son moi futur a opté pour le transfert vers une autre planète. Problème : non seulement Andreï (son vrai nom) ne se souvient pas de cette décision (puisqu’elle a été prise dans le futur), mais en plus il n’est même pas envoyé à la destination prévue (cette dernière ayant fait évoluer ses critères en terme de politique migratoire). Au lieu du monde choisi le voilà donc sur Raa, une planète où la nature a gardé tous ses droits mais qui dispose tout de même d’un degré de technologie élevé (en terme de transport et de communication, notamment). L’accueil réservé aux migrants galactiques n’a toutefois rien à voir avec celui dont nous gratifions ceux qui arrivent actuellement en France : on lui témoigne une grande bienveillance, on subvient à ses besoins, on répond à ses questions, et on lui accorde la liberté de faire ce qu’il souhaite de sa vie. Notre héros se voit cependant confronté à un choix de taille : accepter le statut de dépendant (ce qui lui assurerait confort et liberté, mais sans possibilité de participer à aucune prise de décision), ou réclamer celui de citoyen de plein droit, obtenu uniquement après la réussite d’une mystérieuse épreuve, sorte de rite initiatique que les locaux passent d’ordinaire à l’adolescence. Aucun migrant n’a jamais réussi ce test, mais Andreï, lui, est bien décidé à obtenir la citoyenneté. Ce qui ne l’empêche pas, en parallèle, de tenter par tous les moyens de découvrir ce qui est arrivé à son fils, mais aussi la nature de l’événement qui l’a incité à quitter la Terre.

Vita nostra

Des bas et des hauts

On retrouve dans ce roman des similitudes avec les deux précédents, notamment dans sa volonté d’explorer les dynamiques et les rapports de groupe, mais aussi dans la mise en scène d’une relation de mentorat entre un individu isolé qui se retrouve plongé dans un milieu dont il ignore les règles, et une figure d’autorité qui va la guider (parfois cruellement) pour l’amener à se révéler à lui-même. La relation entre Andreï et son instructeur pour l’épreuve est de cet ordre, et il s’agit sans aucun doute de l’une des plus grandes réussites de l’œuvre. Cette réutilisation de certains schémas narratifs n’empêche pas les auteurs ukrainiens de varier les thématiques, chaque toile de fonds servant de prétexte à la mise en lumière de sujets bien spécifiques. Le titre relativement éloquent de ce troisième tome donne d’une certaine manière le ton, puisque les auteurs s’intéressent ici à la place accordée aux étrangers dans une société et aux questions que leur statut pose en terme de participation à la vie publique. Le récit porte ainsi un message profondément humaniste, mais ne cherche pas à occulter les difficultés que peuvent rencontrer celles et ceux qui se retrouvent confrontés à cette situation. S’il bénéficie de tout le confort disponible, Andreï souffre par exemple de la disparition de sa langue maternelle ou encore de l’incertitude concernant le sort de sa planète d’origine qu’il sait désormais inaccessible. L’épreuve est quant à elle l’occasion de mettre en lumière la discrimination à laquelle il peut être confronté, phénomène qui ne se limite d’ailleurs pas aux étrangers puisque un personnage métis est lui aussi victime d’un certain ostracisme. La question de la paternité est aussi centrale dans le roman duquel les femmes sont d’ailleurs quasiment absentes, ce qui donne l’impression curieuse de ne découvrir qu’une toute petite facette de l’univers de Raa. Je suis également assez sceptique en ce qui concerne l’intrigue elle-même qui se révèle très inégale. Le premier et le dernier tiers du roman comportent en effet de nombreux temps morts qui peinent à maintenir le lecteur en haleine, seul le long passage consacré à l’Épreuve parvenant finalement à susciter une véritable curiosité. Les abondantes réflexions philosophiques des auteurs concernant la nature de Raa m’ont quant à elles laissée de marbre et ont même participé à me faire décrocher à plusieurs reprises.

Avec leur trilogie « Métamorphoses », Marina et Sergueï Diatchenko s’inspirent (très librement) des métaphores d’Ovide dans des romans très différents les uns des autres, le premier mettant en scène une école de magie tandis que le second s’intéressait au monde numérique et que le troisième aborde, entre autre, la question de la migration. Si le premier tome a été un véritable coup de cœur, les suivants se sont avérés moins enthousiasmants, notamment « Migrant » dont l’intrigue pâtit de nombreux creux et qui perd parfois le lecteur par une accumulation de réflexions philosophiques pas toujours captivantes.

Voir aussi : Tome 1 ; Tome 2

Autres critiques : Le nocher des livres

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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