Science-Fiction

Gnomon, tome 1

Titre : Gnomon, tome 1
Auteur : Nick Harkaway
Éditeur : Albin Michel
Date de publication : 2021 (janvier)

Synopsis : Grande-Bretagne. Futur proche. La monarchie constitutionnelle parlementaire qu’on croyait éternelle a laissé place au Système, un mode de démocratie directe où le citoyen est fortement incité à participer et voter. La population est surveillée en permanence par le Témoin : la somme de toutes les caméras de surveillance et de tout le suivi numérique que permettent les smartphones et autres objets connectés. Alors qu’elle est soumise à une lecture mentale, la dissidente Diana Hunter décède. Mielikki Neith, une inspectrice de Témoin, fidèle au Système, est chargée de l’enquête. Alors qu’elle devrait être en mesure d’explorer la mémoire de Hunter, Mielikki se retrouve confrontée à trois mémoires différentes : celle d’un financier grec attaqué par un requin, celle d’une alchimiste et celle d’un vieux peintre éthiopien. Pour Neith, un incroyable voyage au cœur de la pensée humaine commence. Aussi surprenant que dangereux.

 

 Il s’agit d’un avenir possible. D’une réalité, pas d’un cauchemar. Une réalité qui existe déjà dans le recoupement de nos peurs et de nos technologies.

Utopie ? Dystopie ?

« La stéganographie est une pratique consistant à dissimuler des informations importantes dans d’autres données, dites « texte de couverture ». Il ne s’agit pas de cryptage mais de camouflage. » Voilà, en deux phrases, comment pourrait être résumé ce roman de Nick Harkaway. « Exigent », « foisonnant », ou encore « éreintant », sont également des mots qui pourraient convenir. Quoi qu’il en soit, ce premier tome de « Gnomon » se sera révélé être une sacrée expérience de lecture. L’intrigue n’est pas aisée à décrire, et il est impératif de ne pas trop en dire au risque de dévoiler des aspects qui doivent être découverts par soi-même, aussi me montrerais-je brève pour la présenter. L’histoire se déroule au Royaume-Uni dans lequel a été mis en place un régime politique à mis chemin entre l’utopie et la dystopie. Utopie parce que les citoyens sont ici pleinement acteurs des décisions politiques qui doivent être prises (que ce soit en matière d’économie, de justice ou encore de politique migratoire) et que la sécurité de tous est garantie avec une efficacité remarquable. Dystopie, parce que la contrepartie de cette sécurité réside dans une transparence personnelle totale. Tout le monde a accès à toutes les informations sur tout le monde, tout le temps. Ce nouveau fonctionnement est appelé Système, et son bon fonctionnement est assuré par le Témoin, terme servant à désigner l’ensemble des outils de contrôle (caméras, drones, implants, capteurs…) permettant de surveiller la population. Inspectrice loyale au Système, Mielikki Neith est une citoyenne modèle qui trouve parfaitement son compte dans la société telle qu’elle apparaît ici. Ses certitudes vont cependant être sacrément bousculées par l’affaire qui lui a été récemment confiée : celle de la mort lors d’un interrogatoire (consistant à s’introduire dans le cerveau du prévenu pour découvrir tous ses secrets) d’une femme nommé Diana Hunter. Un événement peu courant et d’une extrême gravité car remettant en cause l’efficacité et l’inoffensivité du Système. Pour comprendre comment une telle chose a pu se produire, Mielikki va devoir se plonger dans les enregistrements recelant l’esprit de Diana Hunter, et ce qu’elle y trouve est tout bonnement stupéfiant.

A quoi ça rime d’avoir des secrets pour une construction mathématique dépourvue de coeur ? Pour un fichier ? Quelle importance ?

Récits entremêlés

Autant prévenir d’emblée, « Gnomon » n’est pas un livre facile d’accès. Ce n’est pas un roman dont on peut lire une page ou deux de temps à autre, ou qu’on peut parcourir distraitement en sautant ici et là quelques passages. Il exige un investissement total du lecteur, ce qui pourra en rebuter certains tandis que d’autres se verront charmés par la virtuosité avec laquelle l’auteur met en place son intrigue. Pour ma part je me situe entre les deux : je suis admirative de l’érudition manifeste de l’auteur et j’ai apprécié tenter de repérer les indices laissés au fil des chapitres pour essayer de donner un sens à la lecture, mais d’un autre côté certaines parties se sont révélées assez ardues, et l’absence quasi-totale d’implication émotionnelle m’a souvent posé problème. La première difficulté à laquelle le lecteur sera confronté réside dans la construction même du roman. En effet, une fois les bases de l’intrigue mises en place et les personnages présentés, l’enquêtrice se lance dans l’immersion des fichiers ayant capté l’esprit de Diana Hunter pendant l’interrogatoire. Elle découvre alors ce qui a déstabilisé les agents responsables de l’opération : la suspecte n’était pas seule dans sa tête. Ou pour le dire autrement, l’enquêtrice découvre dans la tête de Diana Hunter des parcours de vie et des personnalités qui ne lui correspondent pas. Les histoires de ces personnages sont longuement développées dans des parties à part, entre lesquelles on retrouve de temps à autre l’inspectrice qui poursuit son enquête. Or, ces histoires n’ont, au premier abord, que peu de chose à voir avec l’intrigue d’origine, si bien qu’on a l’impression d’être coupé du récit par ce qui pourrait s’apparenter à des nouvelles indépendantes. La première d’entre elles dépeint le parcours d’un homme, Constantin Kyriakos, trader grec transformé après sa rencontre lors d’une séance de plongée en Méditerranée avec un grand requin blanc. La seconde dépeint la vie d’une alchimiste contemporaine de Saint-Augustin au Ve siècle après J.-C., sollicitée après la découverte par l’un des plus hauts dignitaires romains en Afrique d’un endroit mystique, la chambre d’Isis. Enfin la troisième s’attache aux pas d’un artiste peintre éthiopien sollicité par sa petite-fille pour illustrer un jeu vidéo révolutionnaire et qui va susciter de grands débats.

Les cryptographes regardent la stéganographie de haut parce que l’information transmise de cette manière est facile à trouver, dès lors qu’on la cherche. Voilà pourquoi je dois me tenir très tranquille. Je ne veux pas qu’on me trouve. Pas encore.

Un roman difficile d’accès

L’auteur fait preuve d’une grande érudition dans de nombreux domaines qui parleront plus ou moins au lecteur en fonction de ses goûts. Ainsi, si je n’ai, pour ma part, pas été particulièrement enthousiasmée par les références assez poussées au monde de la finance et à son fonctionnement, les passages consacrés à la peinture ou encore à l’alchimie m’ont parue bien plus intéressants. L’ouvrage fourmille également de références à la mythologie grecque qui ne sont parfois pas aisées à appréhender, même pour les connaisseurs, puisque l’auteur ne se contente pas de clins d’œil à tel dieu ou créature, mais développe des concepts propres à la culture grecque antique avec lesquels nous sommes peu familiers. Le vocabulaire employé flirte parfois même un peu trop avec le jargon, si bien que certains paragraphes nécessitent un usage effréné du dictionnaire. Ce n’est pas rédhibitoire, mais cela nuit incontestablement à la fluidité de la narration. L’autre reproche qu’on pourrait formuler concernant ce premier tome concerne les personnages, et notamment la protagoniste, avec lesquels on peine à tisser des liens. Mielikki est froide, distante, et ne semble servir, dans un premier temps, que de réceptacle à l’esprit de Diana Hunter. Les autres personnages, ceux qui peuplent l’esprit de la prévenu, sont plus ambivalents et suscitent des sentiments difficiles à exprimer. La plus attachante est sans conteste l’alchimiste, traumatisée par la mort de son fils et ayant parvenu à atteindre une position sociale respectée malgré ses origines et son genre. On s’identifie aussi par moment au peintre éthiopien, tandis que le trader grec n’a suscité chez moi que de l’hostilité (mais c’est peut-être le métier qui veut ça…) Chacun d’entre eux parle de son domaine d’expertise, qui intéressera plus ou moins selon les goûts de chacun, mais c’est lorsqu’ils parlent de leurs fêlures et des êtres chers qu’ils ont perdu qu’ils se montrent le plus touchant et le plus réel, ce qui est malheureusement trop rare.

Avec ce premier tome de « Gnomon », Nick Harkaway signe un roman déroutant qu’il n’est pas facile d’appréhender pour de multiples raisons allant de sa construction même au vocabulaire employé. La lecture demande un gros investissement de la part du lecteur qui doit accepter de naviguer à vue pendant une bonne partie de l’ouvrage. Reste à voir si sa persévérance sera récompensée dans le deuxième tome qui devrait, espérons-le, apporter davantage de réponses.

Voir aussi : Tome 2

Autres critiques : Célindanaé (Au pays des cave trolls)

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

9 commentaires

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