Fantasy

La sève et le givre

Titre : La sève et le givre
Auteur : Léa Silhol
Éditeur : Oxymore / Point
Date de publication : 2002 / 2006

Synopsis : Trois fois les Parques ont parlé : Finstern, Roi de la Cour de Dorcha, doit mourir. Seule la belle Angharad peut contrecarrer la mort de Finstern, ou la précipiter. Elle ignore son propre destin, et le prix à payer pour accomplir sa mission… Dans la funeste partie d’échecs qui s’engage entre les Cours d’Ombre et de Lumière, la Reine Blanche devra trouver sa voie.

 

-Je suis la plus jeune, la naissance et le début, il convient donc que je commence cet oracle, et voici la promesse que te fait le destin par ma bouche : Par trois fois les tiens te renieront, une fois pour abattre ton front, une fois pour désarmer ton bras, une fois pour souffler sur tes cendres. Voici ma promesse : la ruine, et rien de plus.

Amour et féerie

Paru en 2002 aux désormais disparues éditions Oxymore, « La sève et le givre » est sans doute le roman de Léa Silhol qui a connu le plus de succès grâce à sa parution en poche dans la (elle aussi !) désormais disparue collection Point Imaginaire. Vous risquez donc d’avoir aujourd’hui quelques difficultés à mettre la main sur l’ouvrage qui, pourtant, vaut le coup d’œil et ravira sans aucun doute les amateurs de contes et légendes. Le roman s’inspire en effet du folklore celtique dont l’autrice se réapproprie un grand nombre de concepts et de créatures. L’histoire se déroule essentiellement en Écosse, dans un monde à la lisière du nôtre dans lequel évolue les créatures de Féeries, et met en scène deux personnages radicalement différents et pourtant inextricablement liés par le destin. Le premier, Finstern, est le roi d’une des cours d’Ombre, celle de Dorcha, à qui les Parques ont promis la mort et dont la seule chance de salut réside dans l’amour d’une femme. Le second, c’est justement celle que le destin lui a promis, la belle Angharad, née du printemps et de l’hiver, et qui, bien qu’ignorante de la prophétie des Parques, va se retrouvée malgré elle entraînée dans leurs manigances. Le roman brasse un grand nombre de références qui éveilleront sans doute plusieurs échos chez le lecteur. La scène d’ouverture, narrant la rencontre entre les trois Parques et le roi, fait ainsi penser à « Macbeth », la fameuse pièce de Shakespeare. Les luttes de pouvoir entre les différentes Cours, d’Ombre, de Lumière ou de Crépuscule, ne sont quant à elles pas sans faire penser au « Cycle des Princes d’Ambre » de Roger Zelazny, tandis que le récit de la fascination et du désir que sont capables de faire naître les créatures de Féerie rappelle des romans comme « Thomas le Rimeur » d’Ellen Kushner, ou « Le cycle des elfes » de Jean-Louis Fetjaine. L’autrice s’est abondamment documentée sur le sujet et cela se ressent tant la Férie dépeinte ici se révèle complexe et insaisissable, à l’image de ses habitants.

-Trois fois le reniement t’a promis ma sœur benjamine. Moi, qui me tient au milieu et parle en second, te ferai la promesse de l’amour. Se dressera dans le monde avant que la hache ne s’abatte une première fois un être impossible, un être fait pour toi. Trois fois reposera entre ses mains seules le pouvoir de te rendre à toi-même en te reconnaissant. Telle est ma promesse : l’amour, et rien de plus.

Parenthèse enchantée

L’intrigue est intéressante à suivre, même si sa trame se révèle finalement relativement classique, et l’histoire d’amour relatée n’a rien d’un conte fleur bleu. Si certains rebondissements sont aisément prévisibles, l’autrice parvient aussi à nous surprendre à plusieurs reprises, notamment en donnant à son héroïne bien plus de profondeur et de caractère que ne le présageait le rôle qui lui était attribué au préalable. Loin de se cantonner à une position passive d’objet de désir et de convoitise, Angharad fait vite preuve d’une grande lucidité et manifeste une farouche volonté à ne pas se faire manipuler. La Dame blanche n’a, également, pas grand-chose à voir avec la jeune femme pure et naïve avec laquelle on la confond : capable de faire preuve de cruauté comme de rouerie, elle n’hésite pas elle aussi à manipuler celles et ceux qui l’auraient offensée. Une ambivalence qui rend d’autant plus complexes les relations qu’elle entretient avec les autres personnages qui, eux aussi, s’avèrent difficiles à cerner. Mais outre la fascination exercée par les protagonistes, ce qui marque surtout à la lecture de ce texte c’est la poésie qui se dégage de la plume de l’autrice. Léa Silhol revêt ici les atours d’une véritable conteuse et donne à son récit une dimension mythique : ce qui se joue, ce n’est pas seulement le destin des amoureux contrariés, mais aussi celui des Cours de Féerie ainsi que l’équilibre même du monde, féerique comme mortel. Le style est très travaillé et les envolées lyriques nombreuses, sans que cela ne nuise pour autant à la fluidité du texte ou à sa compréhension. On est saisi dès les premières pages par le charme de cette plume qui donne au lecteur l’impression de s’être égaré dans un autre monde, où les considérations des fées ne sont pas les mêmes que les nôtres, de même que le passage du temps ou la conception de l’amour et de la mort. Il en résulte des scènes époustouflantes qui marqueront durablement la mémoire du lecteur, soit par l’intensité des émotions qui assaillent les personnages, soit par le souffle épique qui porte le récit, notamment dans le seconde partie.

-Moi qui parle la dernière je vais clore cet oracle, et cela en écoutant la voix de la sagesse et du grand âge. Trois fois, donc, les tiens te renieront, mais l’élue te reconnaîtra-t-elle ? Il lui faudra pour cela passer trois épreuves, et elle-même se renier trois fois. Voici le prix pour que Finstern reste Finstern. Voici, oui, ma promesse : peut-être, et rien de plus..

Bien que probablement difficile à se procurer aujourd’hui, « La sève et le givre » est un très beau roman qui s’apparente à une parenthèse enchantée dans la mythologie celtique dont l’autrice a tenté de retranscrire ici toute la complexité et la subtilité.

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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