L’Hypothèse du Lézard
Titre : L’Hypothèse du Lézard (The Hypothetical Lizard)
Auteur : Alan Moore
Illustratrice : Cindy Canévet
Éditeur : ActuSF (Graphic) [site officiel]
Date de publication : 29 mai 2020
Synopsis : Som-Som est vendue par sa mère à la Maison sans Horloges de Liavek. Elle va être soumise au Silence et porter le Masque brisé qui la destine à devenir l’amante des magiciens et la gardienne de leurs secrets. Isolée par son incapacité à communiquer, elle va alors assister à l’histoire d’amour violente et cruelle entre Foral Yat et Raura Chin, deux comédiens qui résident avec elle dans la Maison sans Horloges.
L’illustratrice Cindy Canévet a réalisé la très remarquée couverture de Je suis Providence, la biographie de référence sur H. P Lovecraft. Elle donne cette fois vie à la ville de Liavek et aux personnages de L’Hypothèse du lézard, une nouvelle fantasy signée par le grand Alan Moore (Watchmen, V pour Vendetta).
L’intangible continent de la fortune était un territoire noyé d’aléas et celle qui devait devenir la catin de sorciers devraient également assumer d’être l’épouse du Silence.
En compagnie de La Guerre des trois rois, L’Hypothèse du Lézard est le deuxième opus des ActuSF Graphic sortis à partir de mai 2020. Il s’agit d’une nouvelle d’Alan Moore de 1987, illustrée dans cette édition par Cindy Canévet.
Plongée dans un bordel de Liavek
L’Hypothèse du Lézard est une assez longue nouvelle d’Alan Moore, qu’il a écrite dans le cadre de l’univers nommé « Liavek ». Il s’agit d’une ville de fiction partagée à la fin des années 1980 par de nombreux auteurs (à commencer par Megan Lindholm alias Robin Hobb, mais également Gene Wolfe, Steven Brust, etc.), où la magie est inhérente à la vie quotidienne et où l’ambiance donne à penser qu’on se trouve dans un lieu orientalisant digne de la Renaissance du XVIe siècle. Dans ce contexte potentiellement troublé, Alan Moore nous présente la jeune Som-Som, toute jeune fille (puis femme) venue par sa mère à la fameuse Maison sans Horloges. C’est un lieu de prostitution très renommé à Liavek, car s’y trouvent de nombreuses curiosités (physiques et/ou mentales) attirant des personnes très influentes dans la cité. Une fois présentée la protagoniste, l’auteur passe assez abruptement à ce que Som-Som découvre dans ce lieu étrange, empli de réactions bizarres, d’autant plus mystérieuses pour elle que la spécialité qu’on lui a attribué fausse toute sa réalité. Elle ne peut que très difficilement communiquer (ce qui la rend impropre à relater ce que pourraient lui confier ses clients) ; or, deux comédiens font également partie de la Maison sans Horloges : Foral Yatt et Raura Chin s’aiment, mais ce dernier veut tenter l’aventure de la carrière de comédien public, au risque de perdre son amour.
Bizarre autant qu’étrange
L’ambiance de L’Hypothèse du Lézard est volontairement « malaisante ». La protagoniste ne peut pas transcrire tout ce qui se passe pour des raisons psychomotrices et tout autour d’elle semble être fait d’onirisme et de mystère. Alan Moore aime assez nous perdre, parfois dans des passages qui peuvent apparaître assez floues dans leur description. À l’image de l’ensemble de la nouvelle, la fin pourra décevoir, car elle laisse un peu le lecteur en suspens. C’est d’ailleurs souvent le cas avec Alan Moore : dans ses comics les plus connus (par exemple The Killing Joke sur la relation Batman – Le Joker), dans ses romans ou recueils de nouvelles (comme La Voix du Feu), il met en place une ambiance tellement étrange que les repères habituels ne sont pas là, la différenciation entre personnages s’évapore parfois, et il termine sur une fin sans véritable conclusion, nous laissant sur plein d’interprétations possibles. Ici, il ajoute à tout cela un jeu dont il est difficile de saisir l’intérêt : il surnomme l’un des deux comédiens Elle, ce qui, forcément, trouble un brin la dynamique des pronoms. Ce mystère constant qui plane sans trop savoir en quoi il résulte vraiment du genre fantastique (mais ce flou n’est-il pas en soi ce qui tient lieu de « fantastique » chez lui ?) risque de rebuter certains lecteurs.
Travail graphique
L’Hypothèse du Lézard est une nouvelle qui a déjà été publiée, il s’agit donc ici d’une réédition dans une collection portée sur l’adéquation entre le texte et le dessin. Le premier opus de la collection ActuSF Graphic, La Guerre des trois rois, mettait cela parfaitement en pratique. Dans le cas de cette nouvelle d’Alan Moore, c’est forcément beaucoup plus compliqué de parler d’un travail entre l’auteur et l’illustratrice. Dès le départ, on peut tout à fait comprendre que publier du Alan Moore est toujours une occasion à saisir, le lecteur peut lire une édition réactualisée d’un écrit peu connu (un peu comme La Voix du Feu, recueil plutôt passé sous le radar). Ici, cela consiste surtout en l’interprétation d’une nouvelle par une jeune dessinatrice, Cindy Canévet. Autant le dire tout de suite, ce n’est pas un vain mot de souligner qu’elle a eu la liberté de très largement illustrer le texte : bien souvent, c’est une page de texte, une page dessinée. Et nous ne sommes pas dans un petit dessin de coin de page, ce sont souvent des planches entières mettant en scène le personnage principal ou l’un de ceux qu’elle rencontre. Ces dessins très (très) nombreux font que nous avons affaire à un véritable carnet de dessins, qui a dû demander un gros travail éditorial pour en insérer autant sans surcharger l’objet, d’autant que certaines phrases de la nouvelle d’Alan Moore sont mises en exergue en parallèle de certains dessins. Ces illustrations sont bien immersives et font vivre différemment cette histoire si particulière.
L’Hypothèse du Lézard est donc un objet ravissant, qui bénéficie d’un graphisme jeune et d’une écriture reconnue, même cette entrée dans le bizarre est toujours particulière quand il s’agit d’Alan Moore.
Autres critiques :
Célindanaé (Au pays des cave trolls)
OmbreBones (Chroniques de l’Imaginaire)
Strega (Les Carnets d’une Livropathe)
Cette critique est la 25e de ma participation au Projet Maki 2020.
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