Fantastique - Horreur

Fantômes – Histoires troubles

Fantômes - Histoires troubles

Titre : Fantômes – Histoires troubles
Auteur : Joe Hill
Nouvelles : Dernier cri ; La Belle au ciné hantant ; Pop Art ; Stridulations ; Fils d’Abraham ; Mieux qu’à la maison ; Le téléphone noir ; Dans la souricière ; La Cape ; Dernier souffle ; Bois mort ; Un petit déjeuner ; Bobby Conroy revient d’entre les morts ; Le masque de papa ; Escamotage
Éditeur : Jean-Claude Lattès / J’ai lu
Date de publication : 2010 / 2013

Synopsis : Finney sait qu’il n’en a plus pour longtemps. Le taré qui l’a kidnappé et jeté dans cette cave n’en est pas à son coup d’essai : plusieurs adolescents ont disparu ces derniers mois. Le voilà enfermé dans un sous-sol obscur, avec pour seule compagnie un vieux matelas crasseux, une cuvette de toilettes et… un téléphone. Un antique téléphone mural à cadran, dont les fils, sectionnés, ne vont nulle part. Un téléphone qui se met à sonner. Glaçantes, effrayantes ou simplement d’un noir d’encre, les quinze nouvelles de ce recueil ne se contentent pas de renouveler la grande tradition du fantastique, elles confirment la naissance d’un écrivain dont on entendra parler, à coup sûr, dans les années à venir…

 

Qu’on le veuille ou non , on mène la vie d’un astronaute. Un jour on part en laissant tout derrière soi pour un monde dont on ne sait rien. Ça fait partie du contrat. 

Le digne fils de Stephen King

Auteur de plusieurs romans de fantastique et d’horreur ayant rencontré un bon accueil auprès du public (notamment « Cornes », adapté en 2014 au cinéma par Alexandre Aja), Joe Hill s’est surtout taillé une belle réputation en tant que scénariste de comics. On lui doit en effet l’excellent « The Cape » (illustré par Zach Howards) ou encore la série à succès « Locke & Key » (illustrée par Gabriel Rodriguez), qui a récemment elle aussi fait l’objet d’une adaptation, cette fois à la télévision. Joe Hill est également le fils de Stephen King, un lien de parenté qui a son importance dans la mesure où les textes du premier présentent de nombreux points communs avec ceux du second. Le recueil « Fantômes » regroupe quinze nouvelles fantastiques et nous plonge dans l’imaginaire d’un auteur qui a, certes, des tropismes clairement identifiables, mais qui n’en demeure pas moins un formidable conteur. Car les textes de Joe Hill sont loin de laisser indifférents, tant celui-ci parvient, en peu de mots, à susciter tour à tour le malaise, l’horreur, le dégoût, ou l’émotion. Le recueil regroupe ainsi des histoires et des ambiances très différentes, dont une poignée seulement relève du genre purement horrifique. « Dernier cri », premier texte de l’ouvrage, en fait partie, et met en scène un éditeur de romans d’horreur totalement subjugué par le texte d’un inconnu qu’il cherche pas tous les moyens à retrouver. Leur rencontre ne se déroulera toutefois pas du tout comme prévue… Cette première nouvelle est un condensé parfait du degré de tension que l’auteur est capable d’instaurer : on commence dans un milieu familier, avec un personnage menant une vie ordinaire, puis le malaise s’installe progressivement jusqu’à atteindre un point culminant. La terreur éprouvée par le lecteur est d’autant plus forte, et la nouvelle d’autant plus marquante, que l’auteur opte pour une fin ouverte, nous laissant ainsi dans l’incertitude quant au sort du protagoniste (un « effet de style » récurrent). Parmi les histoires les plus glaçantes du recueil, on peut également citer « Stridulations » qui met en scène un adolescent qui se réveille un matin et découvre qu’il a désormais le corps d’une sauterelle géante. Cocasse ? Oh non ! Terrifiant et écœurant, voilà les deux mots qui viennent à l’esprit à la lecture de cette nouvelle qui m’a mise très mal à l’aise et qui condense, elle, une partie des tropismes dont je parlais plus haut (surenchère dans les descriptions glauques, figures parentales stéréotypées, personnages tellement en marge qu’ils peinent à susciter l’empathie…).

Horreur, fantastique, émotion

Si vous n’êtes pas particulièrement friands de récits purement horrifiques (comme c’est mon cas), sachez que l’ouvrage contient heureusement quantité de nouvelles dans lesquelles l’horreur se fait plus discret (voire totalement absent). Le recueil comprend ainsi plusieurs histoires fantastiques très réussies, à commencer par « La Belle au ciné hantant » qui relate l’histoire d’une vieille salle de cinéma dans lequel le fantôme d’une jeune fille apparaît de temps à autre aux plus cinéphiles des spectateurs pour partager ses coups de cœur. Un très beau texte, bourré de références aux plus grands chefs d’œuvre du septième art et qui suscite cette fois davantage l’émotion que la crainte. « Le téléphone noir » est un peu plus angoissant dans la mesure où il met en scène un adolescent kidnappé et séquestré dans une cave par un individu dont il ignore tout mais qui a déjà sévi à plusieurs reprises dans la région. Là encore, l’auteur parvient efficacement à entretenir la tension jusqu’au terme de la nouvelle dont la chute renforce plus qu’elle n’apaise le sentiment d’oppression du lecteur. Un procédé auquel Joe Hill a fréquemment recours et qui permet à chacune de ses nouvelles de laisser son empreinte dans la mémoire du lecteur. « Dernier souffle » en est l’exemple parfait puisque l’histoire commence de manière assez banale (une famille s’arrête sur la route pour visiter un étrange petit musée) et s’achève dans les toutes dernières lignes par un uppercut asséné à la face du lecteur. Heureusement, l’auteur nous permet de reprendre notre souffle à l’occasion de certaines nouvelles qui jouent davantage sur le registre de l’émotion et dans lesquelles la tension est bien moindre. « Pop Art » en est l’exemple parfait puisque le texte relate une histoire d’amitié entre un ado et son ami gonflable (rien à voir avec un ami imaginaire, il s’agit ici d’un vrai petit garçon mais atteint d’une pathologie qui lui donne l’apparence d’un bonhomme Michelin). Un récit touchant et plein de nostalgie, un sentiment omniprésent dans les textes non horrifiques de l’auteur. C’est le cas dans « Mieux qu’à la maison », qui relate la relation touchante entretenue entre un père et son fils, ou encore dans « Un petit déjeuner » qui met en scène la rencontre d’un jeune garçon livré à lui-même et d’une femme bienveillante mais minée par le chagrin suite à la perte de son époux.

Un même profil pour la plupart des protagonistes

Si les ambiances sont très variées en fonction des nouvelles, il est en revanche difficile de ne pas remarquer le flagrant manque de diversité dans le profil des personnages. Des hommes ou des adolescents blancs : voilà le portrait type des « héros » de Joe Hill. Les femmes, elles, sont souvent très en retrait et se cantonnent pour l’essentiel à deux rôles : la séductrice et la figure maternelle (qui, contrairement à celle du père, plus ambivalente, est presque toujours traitée de manière négative). Un biais qui a de quoi faire tiquer. Le profil sociologique le plus fréquemment mis en scène par l’auteur est donc celui de l’adolescent très mal dans sa peau et en conflit avec l’un ou l’autre de ses parents. C’est le cas dans « Stridulations », mais aussi dans « Pop Art » ou encore dans « Fils d’Abraham », qui met en scène deux adolescents terrifiés par leur père qui tente de les mettre en garde contre l’existence de créatures surnaturelles lancées à leur trousse (délire ou peur justifiée ?). La seconde particularité des personnages de Joe Hill, c’est leur décalage par rapport aux normes de la société. Certains souffrent de problèmes de violence (« Pop art »), d’autres d’un léger handicap mental (« Mieux qu’à la maison »), voire même pour certains de mutilations (« Bobby Conroy revient d’entre les morts »). Ce décalage, loin d’inciter le lecteur à s’identifier au personnage ou à le prendre en sympathie, provoque au contraire le malaise car cette étrangeté s’accompagne d’un comportement frisant parfois la psychopathie. Dans « La Cape », nouvelle qui a donné naissance au fameux comic, c’est le détachement et le sadisme du héros qui provoquent des sueurs froides chez le lecteur. Le texte prend ainsi totalement à contre-pied les récits habituels sur la naissance d’un super-héros. Un vrai petit bijou ! Dans de nombreuses autres nouvelles, c’est l’indifférence du personnage face au sort tragique d’un proche qui fait naître un profond sentiment de malaise : c’est le cas dans « Dernier souffle », mais aussi dans « Le masque de papa » qui met en scène un garçon témoin d’étranges rituels venant totalement déstabiliser la stabilité de sa famille. Chaque fois, c’est moins la situation (pourtant étrange) qui s’avère glaçante que la froideur et le manque de réaction humaine des personnages.

« Fantômes » est un recueil de nouvelles très variées qui permet de se faire une bonne idée du style et des thématiques chères à Joe Hill. La tension et le profond malaise que l’auteur parvient à instaurer dans la plupart de ces textes rendent ceux-ci particulièrement marquants, d’autant que les chutes sont toujours très soignées. Si tous les textes sont bons, on peut tout de même trouver à redire à certaines « manies » de l’auteur, comme le manque de diversité de ses personnages, le traitement réservé aux femmes, ou une tendance à la surenchère.

Voir aussi : Cornes ; The Cape ; Locke & key

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

2 commentaires

  • Tigger Lilly

    Je lis ta chronique avec enthousiasme et puis j’arrive au paragraphe sur le traitement des personnages féminins, c’est un peu retombé. Je n’ai lu Joe Hill qu’au travers de sa bd Locke et Key et j’aimerais le découvrir en littérature mas je pense que je me pencherai en premier lieu sur autre chose que ce recueil. C’est pas rédhibitoire mais ça me parait terriblement vieillot ce genre de traitement.

    • Boudicca

      C’est vrai que le traitement exclusivement masculin et blanc paraît décalé (surtout en ce moment). Je te conseille « Cornes » si tu veux découvrir l’auteur. Bon, le héros est encore et toujours un homme blanc (et les femmes sont peu présentes) mais c’est un bon thriller fantastique.

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