Fantastique - Horreur

Le changelin

Titre : Le changelin
Auteur/Autrice : Victor Lavalle
Éditeur : ActuSF
Date de publication : 2024

Synopsis : Découvrez le voyage d’un homme au sein du monde qu’il croyait connaître pour retrouver sa femme, disparue après avoir commis l’irréparable. Apollo Kagwa est hanté d’étranges rêves depuis son enfance. Marchand de livres anciens, il construit peu à peu sa vie familiale autour de son fils, brûlé par une question très simple : pourquoi son propre père l’a-t-il abandonné ? Sa femme Emma, pourtant, semble complètement déconnectée et peu intéressée par leur nouveau petit garçon. Si Apollo croit d’abord à une dépression post-partum, il devient rapidement évident que ses problèmes dépassent de loin cette hypothèse. Avant qu’Apollo ne puisse l’aider, Emma choisit comme porte de sortie le sang et les flammes, puis disparait. C’est ainsi que commence l’odyssée d’Apollo, dans un monde qu’il ne reconnaît plus, pour retrouver sa femme et des réponses.

Une famille meurtrie

Victor Lavalle est un auteur américain qui s’était déjà fait connaître en France avec « La ballade de Black Tom », une réinterprétation moderne et critique de l’une des nouvelles les plus ouvertement racistes de Lovecraft que j’avais beaucoup apprécié. Avec « Le changelin », l’auteur opte à nouveau pour le fantastique et nous livre un récit palpitant que j’ai adoré du début à la fin. Le roman met en scène Apollo Kagwa, un jeune homme vivant aux États-Unis et qui, malgré une enfance marquée par l’absence de son père et des revenus modérés lui permettant tout juste de vivoter, est parvenu à se faire une place et à fonder une famille aimante. Vendeur de livres d’occasion, notre héros file en effet le parfait amour avec Emma, sa femme, avec laquelle il vient justement d’avoir un bébé : Brian. Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes, jusqu’à ce que sa femme plonge dans une lourde dépression et se mette à adopter une attitude distance vis à vis de leur enfant. Une attitude d’autant plus incompréhensible pour Apollo qui, lui, est totalement gaga de son fils, l’emmène partout avec lui et poste sans arrêt des photos de son chérubin sur les réseaux sociaux. Et puis, un jour, tout dérape. Plus de femme, plus de bébé. Le jeune homme tente tant bien que mal de se reconstruire mais ne parvient pas à comprendre le geste d’Emma, et ce d’autant plus qu’il apprend qu’elle n’est pas la seule a voir commis l’irréparable et à avoir adopté un comportement similaire juste avant le drame. Résolu à trouver des réponses à ses questions, Apollo va se lancer à la poursuite de sa femme dans l’espoir de trouver enfin des réponses. Sa quête va néanmoins se révélée plus difficile que prévue, notamment parce que le surnaturel n’est pas étranger à sa situation. On devine rapidement de quoi le pauvre homme est victime dans la mesure ou le titre du roman est assez transparent, néanmoins cela n’empêche pas les lecteurices d’être suspendus au récit jusqu’à la toute dernière page.

Nature et magie VS ville et technologie

Il s’avère assez difficile d’évoquer le roman sans en déflorer l’intrigue dans la mesure où la découverte des nombreux rebondissements qui la composent constitue l’un des principaux attraits de l’ouvrage, aussi me contenterai-je du minimum pour ne pas vous gâcher la surprise. On prend en tout cas beaucoup de plaisir à suivre le parcours de cet afro-américain à priori tout à fait ordinaire et qui voit le surnaturel frapper à sa porte de la façon la plus cruelle qui soit. L’auteur fait appel ici à un folklore relativement traditionnel en Occident mais le fait de l’intégrer au contexte américain moderne apporte une touche d’originalité indéniable. C’est d’autant plus vrai que, dans l’histoire de Victor Lavalle, les nouveaux monstres se sont en quelque sorte adaptés à l’époque et ont donc été obligés de d’adapter leurs pratiques. Les réseaux sociaux jouent ici un rôle clé dans cette adaptation, ce qui permet à l’auteur de se livrer à une critique assez acerbe de leur utilisation et de leur haut potentiel de nocivité. Cette confrontation entre des références à des créatures archaïques tirées de notre folklore et le décor de l’Amérique moderne donne une grande partie de son charme à cette histoire oscillant en permanence entre surnaturel et réel. Car le plaisir que l’on retire à la lecture vient aussi de l’efficacité avec laquelle l’auteur est parvenu à ancrer son récit dans le réel, multipliant sans en avoir l’air les éléments permettant de prendre conscience du contexte social, économique et politique des États-Unis. Le roman comprend ainsi de nombreuses scènes en apparence assez banales : un repas entre amis ou au restaurant, une rencontre avec une patrouille de police, les difficultés liées à l’aménagement d’un logement… Cela pourrait paraître ennuyeux car tristement banal, mais c’est au contraire ce qui permet à l’histoire de gagner en profondeur et en réalisme. Et c’est ce réalisme, justement, qui finit par faire froid dans le dos.

Tensions et émotions

Le drame vécu par le protagoniste est en effet d’autant plus poignant qu’il paraît vraisemblable dans le contexte, si bien que les lecteurices n’ont aucun mal à s’imaginer à la même place. C’est notamment le cas pour celles et ceux qui sont d’ores et déjà parents, tant l’auteur parvient à mettre le doigt sur tout ce qui questionne, inquiète, fatigue ou au contraire ravit de nouveaux parents. Victor Lavalle aborde ce sujet avec beaucoup de sensibilité et, là encore, de concret, si bien qu’on se retrouve immanquablement dans le portrait de ce couple qui s’aime mais se retrouve dépassé par le poids des injonctions que la société fait désormais peser sur eux. En ce qui me concerne, si j’ai adoré cette lecture, je l’ai également trouvé éprouvante à certains moments, tant la douleur du personnage se révèle communicative, notamment dans la première partie. La seconde est davantage rythmée à mesure qu’on remonte le fil laissé par Emma et qu’on parvient à cerner un peu mieux les enjeux et les forces en présence, si bien que l’émotion devient plus diffuse, moins lourde à porter. Tous les personnages qui gravitent autour du couple Kagwa sont pour leur part touchants, chacun et chacune ayant leurs lots de fantômes et de blessures à l’image de la bouleversante mère d’Apollo. Les « méchants » de l’histoire, eux, sont à la fois convaincants et inquiétants dans la mesure où l’on ignore pendant longtemps à la fois leur véritable nature mais aussi les forces dont ils disposent, ce qui permet à l’auteur de laisser planer en permanence une menace diffuse qui contribue à renforcer l’aura fantastique du roman.

Victor Lavalle nous offre avec « Le changelin » un roman fantastique palpitant et émouvant mettant en scène la quête d’un père de famille pour tenter de comprendre les raisons de la disparition de sa femme et de son fils. Mêlant astucieusement des légendes et créatures ancestrales d’ordinaire liées à la nature et le contexte de l’Amérique moderne, avec ses nouvelles technologies et son urbanisme décomplexé, l’auteur nous livre le récit intime et bouleversant d’une famille ordinaire et aborde avec beaucoup de justesse la question de la parentalité, des joies qu’elle procure mais aussi des profondes angoisses qu’elle génère. Cette dimension implique qu’on ne ressort pas tout à fait indemne de cette lecture qui peut s’avérer parfois éprouvante mais mérite incontestablement le détour. Coup de coeur !

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

2 commentaires

  • belette2911

    Bien, il ne me reste plus qu’à le découvrir, alors !! Et lire aussi « La ballade de Black Tom », pour découvrir sa réécriture de « L’Horreur à Red Hook ». Bon, j’ai du pain sur la planche, ou des livres sur la table 😆 Et tu me donnes envie de découvrir ces deux-là de l’auteur, moi qui ai adoré « les esseulées » 😉

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