Les chevaliers du Tintamarre
Titre : Les chevaliers du Tintamarre
Auteur : Raphaël Bardas
Éditeur : Mnémos
Date de publication : 2020 (février)
Synopsis : Avant d’être héros, chevalier ou prince, il faut savoir lever le coude ! Silas, Morue et Rossignol rêvent d’aventures et de grands faits d’armes tout en vidant chope de bière sur chope de bière à la taverne du Grand Tintamarre, qu’ils peuvent à peine se payer. Lorsque la fantasque et très inégalitaire cité de Morguepierre, entassée sur les pentes d’un volcan, devient le théâtre d’enlèvements de jeunes orphelines et voit des marie-morganes s’échouer sur ses plages, les trois compères se retrouvent adoubés par un vieux baron défroqué et chargés de mener l’enquête. Les voilà lancés sur les traces d’un étrange spadassinge, d’un nain bossu et d’un terrible gargueulard, bien décidés à leur mettre des bâtons dans les roues… et des pains dans la tronche.
Votre perspicacité, jeunes gens, n’est pas ce qui saute aux yeux lorsqu’on s’entretient avec vous.
Chevaliers de comptoir
De même que Jeanne Mariem Corrèze et Elodie Serrano, Raphaël Bardas fait partie des jeunes auteurs mis en avant à l’occasion de ce début d’année 2020 par le collectif des Indés de l’Imaginaire. Alors que ActuSF a misé sur « Cuits à point » et Les Moutons Électriques sur « Le chant des cavalières », les éditions Mnémos ont parié sur « Les chevaliers du Tintamarre », un premier roman mettant en scène les aventures de trois… poivrots ! Bienvenue à Morguepierre, cité autrefois sous-marine se situant désormais au dessus du niveau de la mer et peuplée d’humains dont les conditions de vie diffèrent considérablement selon le quartier dans lequel ils ont élu domicile. Ainsi, si les nobles et grands bourgeois s’en sortent remarquablement bien sur les hauteurs, c’est moins le cas de la soldatesque, des marchands, des marins et des miséreux en tout genre qui grouillent dans les bas-fonds plus ou moins sordides de la ville. C’est là que résident nos trois compères, figures emblématiques de la taverne du « Grand Tintamarre », et qui n’ont pas grand-chose à voir avec les héros traditionnellement mis en scène en fantasy (surtout lorsqu’ils portent le titre de chevalier !). Jugez plutôt. Rossignol, le cerveau du groupe, est une grande tige affublée d’un accordéon et d’un tricorne qui manie habilement les mots mais qui auraient tout de même bien du mal à se faire passer pour un intellectuel. Silas, lui, est le beau gosse du trio : cœur d’artichaut incapable de résister aux charmes d’une belle femme, il exerce la profession qu’il juge un peu honteuse de charcutier, et manie le hachoir comme personne (pour découper le pâté aussi bien que d’éventuels adversaires). La Morue, enfin, vient compléter cette charmante petite bande : sale, puant, vif de corps mais pas d’esprit, l’homme sert de muscles à ses deux compères et n’aime rien tant que se jeter à corps perdu dans la mêlée (et il perd rarement…). Voilà pour le casting et le décor, à présent attardons nous un peu sur l’intrigue. Depuis quelques semaines, certains habitants de Morguepierre sont inquiets : plusieurs femmes ont disparu dans d’étranges circonstances et un climat de peur règne en ville depuis que s’est répandue la rumeur selon laquelle des marie-morganes, créatures aquatiques légendaires peuplant autrefois la cité, se seraient échouées sur la plage. Intégrés totalement par hasard à l’enquête, les trois compagnons vont se retrouver embarquer dans une aventure qui les dépasse totalement.
Un humour à double tranchant
Vous l’aurez compris, Raphaël Bardas a opté pour le registre de l’humour et, comme souvent, le pari a ses avantages et ses inconvénients. Le principal avantage, c’est le ton qui, s’il est porté par une belle plume, peut donner un vrai charme au roman. Et c’est le cas ici. L’auteur a un style agréable et ses traits d’humour, bien que parfois volontairement lourdingues, font souvent mouche. Les répliques et les bourdes des trois héros sont amusantes et, si on est loin de se tordre de rire à toutes les pages, il n’est pas rare de devoir réprimer un sourire devant la cocasserie de telle situation ou telle répartie. La complicité qui unit les trois hommes participe beaucoup à l’ambiance chaleureuse du roman et vient contrebalancer la noirceur du contexte et du décor. Car, en dépit du ton léger et du manque de sérieux constant des personnages, la situation est loin d’être drôle. Le contraste est d’ailleurs assez étonnant entre l’humour qui suinte de chaque page et le sordide des descriptions qui nous dévoile une réalité glauque. Et c’est là que, comme souvent, la carte de l’humour trouve ses limites. Difficile en effet de prendre les menaces au sérieux, ou d’être ému par le sort d’untel ou untel, lorsque les personnages passent leur temps à tout prendre par dessus la jambe et à s’envoyer des vannes. C’est la raison pour laquelle les pitreries des chevaliers de comptoir finissent par lasser, le désir de voir l’enquête avancer et certains mystères enfin levés se révélant plus impérieux que l’amusement procuré par la désinvolture des protagonistes. Cela explique pourquoi, en ce qui me concerne, les chapitres que j’ai trouvé les plus intéressants ne sont pas ceux mettant en scène l’amusant trio mais un autre protagoniste. Capitaine de la garnison des Hautes-Brumes, affligé de coliques néphrétiques qui lui provoquent des douleurs insupportables et influent sur son tempérament, Johan Korn est en effet un personnage au moins aussi atypique que l’accordéoniste, la brute et le charcutier. Car à défaut de classe, le soldat sait au moins faire preuve de jugeote !
Une cité, la mer et des femmes
J’éprouve les mêmes sentiments mitigés envers l’univers qui, bien que surprenant par certains aspects, se révèle décevants par d’autres. Parmi les points positifs citons le cadre maritime qui apporte beaucoup de charme au roman, même si j’aurais aimé en apprendre plus sur l’histoire de la cité que l’auteur n’évoque que par bribes. L’ambiance crasseuse qui imprègne les murs de la cité est en tout cas bien rendue et fait penser à quelques unes de ses homologues peu reluisantes d’autres univers de fantasy (Wastburg, par exemple). Tout comme dans ces villes, les lieux sont peuplés par des individus peu recommandables, qu’ils se situent en haut ou en bas de l’échelle sociale. Seul le capitaine fait figure d’exception, et c’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles j’ai trouvé le personnage aussi réussi. Certains endroits marquent également le lecteur par leur étrangeté où leur originalité (la grande bibliothèque des Anachora, l’orphelinat des fontaines…), de même que certaines trouvailles qui, bien que citées à titre anecdotiques, n’en demeurent pas moins efficaces pour poser l’ambiance (j’ai bien aimé l’idée des mâche-merveilles, des individus prenant une substance permettant de s’attribuer temporairement certaines facultés féeriques, même si cela est peu utilisé). En revanche, j’avoue avoir été un peu gênée par la place des femmes dans le roman (il faut dire que je sortais tout juste de la lecture du « Chant des cavalières » qui mettait en scène une société matriarcale et des personnages presque exclusivement féminins, la transition a été un peu rude). Alors certes, un personnage féminin finit par s’imposer et mettre la misère à ces messieurs (sur le plan physique aussi bien qu’intellectuel) et je me doute bien que le tout est à prendre au second degré, cependant j’ai trouvé un peu dommage que les femmes ne soient ici considérés (presque) que comme de la viande. Toutes sont en effet caractérisées exclusivement par leur physique, et ce physique est lui-même assez caricatural (en gros on a soit des mégères hideuses dont les aspects les plus repoussants sont décrits avec force détails, soit des canons aux yeux de biche). Toutes partagent cela dit la même lubricité, et l’auteur ne se prive d’ailleurs pas de partager les pires et les meilleures expériences sexuelles de nos trois héros. Un aspect du roman qui m’a laissée dubitative.
Avec « Les chevaliers du Tintamarre », Raphaël Bardas ose le parti de l’humour et cela fonctionne plutôt bien, surtout lorsqu’on sait qu’il s’agit d’un premier roman. L’univers est intrigant et l’ambiance glauque qui règne dans la cité vient contrebalancer la légèreté du ton et de l’attitude du trio de personnages. Tout n’est évidemment pas parfait et, si certains points m’ont rebuté plus que d’autres, le résultat reste de bonne facture et offre un bon moment de lecture.
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7 commentaires
Tigger Lilly
Merci je ne lirai pas ce livre.
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Les Fantasy d'Amanda
Je viens de le terminer et je suis globalement d’accord avec toi ; l’humour a ses limites. Je ne suis déjà pas très friande des blagues lourdingues, mais ici, c’était trop. Du coup l’histoire a vraiment failli me perdre. J’ai décroché quand nos héros tombent sur Malverne la première fois et que le récit s’apparente davantage à une farce qu’à une enquête. Heureusement, les chapitres avec le capitaine Korn ont capté mon intérêt, notamment parce qu’ils nous dévoilent des pans de l’univers assez intéressants.
Par contre, la fin m’a carrément emportée, à ma plus grande surprise d’ailleurs, ce qui prouve que l’enquête n’était pas inintéressante mais noyée, selon moi, sous trop de désinvolture… Dommage ! 😉
Boudicca
Contente de voir que nous partageons le même ressenti 🙂 Heureusement en effet que le capitaine était là, j’ai également beaucoup aimé son personnage !
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