Fantastique - Horreur

Passing strange

Titre : Passing Strange (suivi de Caligo Lane)
Auteur : Ellen Klages
Éditeur : ActuSF
Date de publication : 2019 (octobre)

Synopsis : San Francisco, 1940. Six femmes, avocate, artiste ou scientifique, choisissent d’assumer librement leurs vies et leur homosexualité dans une société dominée par les hommes. Elles essayent de faire plier la ville des brumes par la force de leurs désirs… ou par celle de l’ori-kami. Mais en science comme en magie, il y a toujours un prix à payer quand la réalité reprend ses droits.

 

Amour et magie

Récompensée par le World et le British Fantasy Award, « Passing strange » est une novella écrite par Ellen Klages en 2017 et éditée pour la première fois en France par ActuSF. L’action se déroule en 1940 à San Fransisco et met en scène la rencontre de deux femmes, Haskel et Emily. La première est dessinatrice pour des revues horrifiques/érotiques, la seconde chanteuse dans un bar. Très vite, l’amitié laisse place à un amour réciproque mais condamné à rester clandestin dans une société où l’homosexualité demeure très mal considéré et puni par la loi. Le texte est court mais laisse une empreinte durable dans la mémoire du lecteur qui ne peut que se laisser porter par la délicatesse et la sensibilité qui se dégagent de la plume de l’auteur. Le thème, d’abord, est accrocheur car, si la question de l’homosexualité est loin d’être absente aujourd’hui des ouvrages de littérature de l’imaginaire, il est cependant rare qu’il occupe le devant de la scène. L’auteur nous en apprend ainsi beaucoup sur les mentalités et les comportements de l’époque, ainsi que sur le quotidien de la communauté lesbienne de San Fransisco. Le récit alterne entre des scènes graves qui surgissent de manière totalement inattendues et qui viennent rappeler aux personnages les risques auxquelles les exposent leurs préférences sexuelles (arrestation si une femme porte moins de trois habits « féminins » sur elle, poids des regards, rejet de la famille…), et des moments d’allégresse au cours desquels ces femmes ont la possibilité de laisser libre cours à leurs envies et leurs passions (dans un bar ouvertement lesbien, dans l’intimité de leur appartement ou de leur cercle d’amie). Outre Haskiel et Emily, l’auteur met également en scène plusieurs autres femmes qui vivent chacune leur homosexualité de manière différente : deux d’entre elles habitent sous le même toit et se comportent comme un couple tout à fait normal, une autre est avocate et donne le change grâce à un ami qu’elle a épousé et qui lui sert de couverture…

Une ville, une ambiance

Le texte d’Ellen Klages propose plusieurs très beaux portraits de femmes. Des femmes ordinaires et au profil divers (elles sont artistes, avocates, cartographes, scientifiques…) mais qui font toutes preuve d’un grand courage pour assumer leurs choix, aussi controversés soient-ils à l’époque. J’ai beaucoup pensé au cours de ma lecture à « Mes vrais enfants » de Jo Walton qui abordait une thématique similaire et dont on retrouve ici la même sensibilité. Un lien particulièrement fort se créé d’ailleurs dans chacune de ces œuvres entre le lecteur et les héroïnes qui, par leur vulnérabilité et leur détermination, forcent le respect et attirent la sympathie. Le charme du récit provient aussi du cadre dans lequel il prend place et que l’auteur nous dépeint avec beaucoup d’élégance. L’occasion pour le lecteur de découvrir les coulisses d’une grande ville comme San Fransisco dont on arpente quelques uns des lieux les plus emblématiques : Chinatown, Treasure Island et sa Foire Internationale, ou encore Chez Mona, premier bar ouvertement lesbien des États-Unis et toléré par les autorités en raison de la popularité de l’endroit qui a su s’imposer comme une véritable attraction touristique pour les étrangers venus s’encanailler. La restitution de l’ambiance de l’époque passe d’ailleurs également par l’importance accordée dans ce type de décor à la musique, et plus précisément au jazz dont l’auteur mentionne ici plusieurs morceaux réputés. L’art en général occupe d’ailleurs une place importante dans le roman, qu’il s’agisse de la musique, de la danse, ou encore du dessin. Le surnaturel est pour sa part plus discret et ne joue de véritable rôle dans l’intrigue qu’à la toute fin du récit. Avant cela, seuls deux passages mettent en scène un événement surnaturel basé sur l’ori-kami, un savoir-faire ancestral qui permet, grâce à une succession de pliages, de distordre le temps et l’espace. Abordé de manière très anecdotique dans la novella, le sujet est traité plus en détail dans la nouvelle « Caligo Lane » qui vient compléter l’ouvrage (de même qu’une interview de l’autrice réalisée par Jean-Laurent del Socorro et Eric Holstein).

Présenté comme « un roman sociétal autant que fantastique », « Passing strange » nous offre une très belle histoire d’amour prenant place dans le milieu lesbien fransiscanais du début des années 1940. Ellen Klages signe ici un très beau portrait de femmes mais aussi de ville, épicé par un soupçon de magie qui donne à cette novella un charme fou. A découvrir !

Autres critiques : Aelinel (La bibliothèque d’Aelinel) ; Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Elhyandra (Le monde d’Elhyandra) ; Les Chroniques du Chroniqueur

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

11 commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.