Kalpa impérial
Titre : Kalpa impérial
Auteur : Angelica Gorodischer
Éditeur : La Volte
Date de publication : 2017
Synopsis : Une fable, un conte au souffle épique, un roman tissé d’histoires entrelaçant les naissances et les chutes d’un empire, « l’Empire le plus vaste qui ait jamais existé ». Kalpa Impérial est un livre universel et visionnaire, écrit par une très grande auteure argentine, injustement méconnue en France. Traduit dans le monde entier, notamment en anglais par Ursula K. Le Guin, ce chef-d’œuvre inclassable fait songer au cycle de Gormenghast de Mervyn Peake ou aux Villes invisibles d’Italo Calvino.
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Un recueil venu d’Argentine
Angélica Gorodischer est une autrice argentine dont le recueil « Kalpa impérial » a été édité il y a peu par les éditions La Volte. Dans la mesure où il est plutôt rare de pouvoir avoir un aperçu de la littérature produite ailleurs qu’aux États-Unis ou en Europe, c’est avec curiosité que je me suis plongée dans la lecture de cet ouvrage par ailleurs récompensé récemment par le festival des Imaginales dans la catégorie roman étranger. Composé de onze nouvelles, le recueil met en scène un Empire, « le plus vaste et le plus ancien que l’homme ait connu », dont chaque texte nous relate un moment déterminant. Impossible toutefois de définir une chronologie ou une géographie précise : l’Empire semble avoir toujours existé et les dynasties qui se succèdent à sa tête sont tellement nombreuses qu’il est inutile de chercher à établir dans quel ordre elles se sont succédées. C’est ce flou volontairement entretenu par l’auteur qui donne justement tout son charme à l’univers de l’auteur dont chaque récit s’apparente à une fable tour à tour cruelle ou poétique consacrée au destin d’un empereur, d’une impératrice, ou encore d’une ville toute entière. Dans « Portrait de l’empereur », nouvelle chargée d’ouvrir le recueil, l’autrice relate ainsi la chute et la renaissance de l’empire grâce à la seule volonté d’un enfant curieux et désobéissant. Dans « Au sujet des villes qui poussent à la diable », c’est l’histoire d’une cité qui nous est contée au fil des siècles, d’abord simple repaire de bandits, puis ville d’art avant de devenir lieu de culte, puis ville thermale, puis capitale d’empire, et enfin cité en ruine totalement désertée de ses habitants. Sans doute l’un des plus beau texte du recueil qui en compte pourtant beaucoup du même acabit.
Chroniques d’un empire fantasmé
Cette volonté de l’autrice de relater des histoires s’étalant sur plusieurs siècles donne parfois l’impression d’avoir affaire à des chroniques historiques (un peu à la manière du premier tome de la « Dynastie des Dents-de-lion » de Ken Liu) : les événements se succèdent à une vitesse folle de même que les personnages qui viennent et repartent tellement souvent qu’on en vient à considérer que le véritable protagoniste de l’histoire n’est autre que l’Empire lui-même. Les différentes nouvelles mettent pourtant en scène des personnages haut en couleur. Il y a par exemple l’impératrice Sesdimillia, roturière devenue dirigeante sage et combative menant elle-même ses armées au combat (« Portrait d’une impératrice »). Il y a aussi l’empereur sans nom, qui s’empara du pouvoir par la force et devint fou au point de se terrer dans ses appartements où il continua pendant des années à gouverner sans que plus personne n’ait posé les yeux sur lui (« Les deux mains »). Il y a enfin le jeune Chat, étrange garçon venu intégrer une caravane dont les voyageurs ne sont pas tous ce qu’ils semblent être (« La vieille route de l’encens »). Les narrateurs sont eux aussi très nombreux et leur diversité contribue à entretenir cette impression de chroniques historiques, qu’ils soient conteur de contes (le plus fréquent) ou archiviste, femme de chambre ou officier. L’écriture est belle et poétique et contribue beaucoup à instaurer cette ambiance un peu hors du temps que dégagent toutes les nouvelles et qui nous incite à les associer à des contes ou des fables. Difficile d’ailleurs d’identifier une seule et unique influence sur laquelle se serait appuyée l’auteur pour son décor tant celle-ci emprunte au contraire à de multiples cultures, époques et civilisations. Certains lecteurs pourront toutefois être agacés par quelques tics d’écriture de l’autrice qui multiplie par exemple les phrases à rallonge ou les énumérations.
Contes et pouvoir
Le surnaturel est quant à lui très peu présent et, par cet aspect, la démarche d’Angélica Gorodischer se rapproche davantage de celles d’auteurs comme Guy Gavriel Kay. La seule nouvelle dans laquelle on peut véritablement déceler une légère touche de surnaturel reste sans doute « Premières armes » qui met en scène un marchand de curiosité et l’un des clou de sa collection : un garçon dont la danse hypnotise ses spectateurs et les plonge dans un état de transe puissante mais dangereuse sur le long terme. Les thématiques abordées tournent quant à elles majoritairement autour de la notion de pouvoir (qu’est ce qui fait un bon ou un mauvais dirigeant ? Quelle influence exerce le pouvoir sur les esprits ? …). Les nouvelles mettent ainsi principalement en scène des individus issus des classes dirigeantes, tandis que ceux issus du peuple ne sont là que pour servir de révélateurs à un personnage bien né (« La fin d’une dynastie » ; « L’étang ») ou pour témoigner de la possibilité d’une ascension sociale fulgurante. C’est le cas dans « Portrait d’une impératrice » qui relate le destin hors du commun d’une jeune fille née tout en bas de l’échelle sociale et qui parviendra à gravir les échelons du pouvoir par son ingéniosité et son intelligence. Mais aussi dans « Siège, bataille et victoire de Selimmagud », un court texte qui relate le rôle joué dans un événement militaire de grande envergure par un simple voleur qu’un malheureux concours de circonstances va amener à côtoyer le plus grand général de l’empire. La question de la transmission et de la mémoire est également centrale dans de nombreuses nouvelles. Dans « La fin d’une dynastie, ou l’histoire naturelle des furets », un jeune empereur se lit d’amitié avec deux hommes étranges qui vont lui faire découvrir une toute nouvelle facette de son père, le précédent empereur qui fait l’objet à la cour d’une détestation unanime.
« Kalpa impérial » est un recueil à part dans le paysage des littératures de l’imaginaire et dont les nouvelles prennent des allures de contes, dressant le portrait de personnages ou de villes au destin extraordinaire qu’on prend énormément de plaisir à découvrir. Un bel aperçu de ce que peut produire la littérature sud-américaine en matière de fantasy.
Autres critiques : Les chroniques du Chroniqueur
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