Science-Fiction

Underground Airlines

Titre : Underground Airlines
Auteur : Ben H. Winters
Éditeur : ActuSF
Date de publication : 2018 (octobre)

Synopsis : Amérique. De nos jours. Ou presque. Ils sont quatre. Quatre États du Sud des États-Unis à ne pas avoir aboli l’esclavage et à vivre sur l’exploitation abjecte de la détresse humaine. Mais au Nord, l’Underground Airlines permet aux esclaves évadés de rejoindre le Canada. Du moins s’ils parviennent à échapper aux chasseurs d’âmes, comme Victor. Ancien esclave contraint de travailler pour les U.S. Marshals, il va de ville en ville, pour traquer ses frères et soeurs en fuite. Le cas de Jackdaw n’était qu’une affaire de plus… mais elle va mettre au jour un terrible secret que le gouvernement tente à tout prix de protéger.

 

Aucun amendement apporté à la Constitution ne saurait autoriser ou investir le Congrès du pouvoir d’abolir l’esclavage ou de légiférer en la matière dans l’un des quelconques États où ces dispositions législatives sont, ou pourraient être, autorisées ou permises.

Bienvenue dans l’Amérique esclavagiste !

1861. Abraham Lincoln est assassiné alors que débute tout juste la Guerre de Sécession opposant les états du nord à ceux du sud des États-Unis. Profondément choqués par cette disparition, les deux camps décident de mettre rapidement fin au conflit et adoptent pour se faire un nouvel amendement à la Constitution. Ce treizième amendement stipule que le Congrès n’a désormais en aucun cas le pouvoir de légiférer sur l’esclavage et que son abolition ou son maintien est une décision qui doit être prise à l’échelle de chaque état. Libre donc à l’Alabama, au Missouri, à la Caroline ou encore à la Louisiane de continuer à asservir les populations noires sous son contrôle, et cela sans qu’aucun des états voisins ne lève le petit doigt. Plus d’un siècle plus tard, les États-Unis comportent ainsi toujours quatre états esclavagistes dans lesquels les Noirs triment dans les usines et les champs sous la supervision des Blancs. On ne parle plus d’esclaves, toutefois, mais plutôt de TA (comprenez « travailleurs affiliés »), une terminologie moins connotée qui laisse à penser à un statut revalorisé. Il n’en est toutefois rien, et Victor est bien placé pour le savoir. Après être parvenu à fuir l’exploitation dans laquelle il avait grandi et à gagner le Nord du pays, cet ancien TA n’aura pas pu profiter bien longtemps de sa liberté retrouvée. Repéré par une agence gouvernementale, le voilà forcé depuis des années à travailler en tant que « chasseur d’âme », autrement dit à traquer les esclaves en fuite afin de les livrer aux autorités. Si la plupart de ses missions se déroulent d’ordinaire sans accros et s’achèvent inévitablement par l’arrestation du fugitif, la dernière affaire qu’on lui a confié lui donne du fil à retordre. A priori banale, son enquête va très vite mettre en lumière un certain nombre d’anomalies mettant en cause le gouvernement lui-même.

Un thriller haletant sur fond de complot gouvernemental

Véritable page-turner, le roman de Ben H. Winters happe le lecteur dès les premières pages sans plus le relâcher. On retrouve ici tous les éléments caractéristiques du thriller : un rythme haletant du début à la fin, de nombreux rebondissements, beaucoup de scènes de tension, et bien évidemment un bon nombre de mystères qu’il tarde au lecteur de voir élucider. On pourrait reprocher au roman quelques scènes un peu tirées par les cheveux et quelques facilités scénaristiques, mais l’ensemble reste tout de même bien orchestré, même si certains aspects sont abordés de manière trop expéditive. Le récit nous est rapporté à la première personne par le protagoniste, le chasseur-d’âme Victor, qui nous expose sans chercher à se justifier ou se dédouaner en quoi consiste son rôle dans l’arrestation des esclaves en fuite. En dépit de sa profession, qui incite immédiatement le lecteur à le ranger dans la catégorie des ordures, le personnage parvient peu à peu à attendrir tant grâce à sa sincérité qu’à une dureté de façade dont on devine bien vite qu’elle témoignage davantage d’une douleur profondément enfouie que d’un véritable manque d’empathie. Ce héros nuancé est sans aucun doute l’une des plus grandes réussites du roman qui comprend également d’autres beaux portraits (quoique moins étoffés que celui du protagoniste), à commencer par le personnage de Martha, mère célibataire rongée par la disparition de son compagnon, ou encore celui plus effacé encore mais néanmoins très émouvant de Jackdaw. Ben Winters échappe d’ailleurs avec succès à un écueil pourtant fréquent dans ce type de récit en n’opposant par les gentils abolitionnistes aux méchants esclavagistes : il y a des salauds dans les deux camps, et ce n’est pas parce que la cause défendue est juste que tous les moyens pour y parvenir doivent être tolérés ou que tous ceux qui la défendent sont des saints.

De l’Amérique d’aujourd’hui

L’aspect le plus intéressant du roman de Ben Winters reste toutefois la manière dont il aborde cette Amérique uchronique, ainsi que les parallèles effectués avec celle que nous connaissons aujourd’hui. C’est particulièrement visible dans la première partie du roman qui se déroule au nord du pays, c’est-à-dire dans des états où les Noirs n’ont, à priori, pas à s’inquiéter de leur couleur de peau. La situation telle que dépeinte par notre narrateur fait toutefois état d’une toute autre réalité. Racisme, ségrégation, inégalité devant la loi, réponses disproportionnées des forces de polices… : l’Amérique que nous décrit le personnage n’a en fait guère de différences avec celle que l’on connaît, ce qui renforce évidemment le propos du roman. Difficile de ne pas être révolté face à la description de certains comportements, moins ceux des Blancs, d’ailleurs, que ceux des Noirs, forcés pour se protéger à singer attitude de servitude (ne jamais regarder un Blanc dans les yeux, ne pas répondre à un policier, se laisser fouiller sans aucune raison…). La violence telle que présentée dans le roman est ainsi moins physique que sociétale, et nous incite évidemment à nous interroger sur notre propre société, son hypocrisie et ses compromis impardonnables. L’auteur aborde par exemple la question des vêtements ou des aliments fabriqués par des esclaves dans les états du sud et la volonté de certains citoyens de boycotter ces produits. Une initiative louable mais qui, dans les faits n’a que peu d’impact, les grandes entreprises de distribution rendant presque impossible la traçabilité des marchandises qui peuvent tout à fait se retrouvées estampillés « propres » (sous entendu « non produites par des esclaves ») alors que ce n’est absolument pas le cas. La situation telle que vécue par les esclaves au sud du pays est elle aussi évoquée mais de manière plus brève. On retrouve évidemment de nombreuses références au contexte du XIXe : les punitions, l’éparpillement des familles, l’Underground Railroad (un réseau clandestin utilisé par les esclaves pour rallier les pays du nord et auquel le titre du roman est évidemment un clin d’œil)…

Ben Winters signe avec « Underground Airlines » un bon page-turner et une uchronie captivante qui permet de mettre en lumière la situation des Noirs aux États-Unis, non seulement à l’époque de l’esclavage mais aussi et surtout aujourd’hui. A noter qu’une adaptation télévisée serait apparemment en préparation…

Autres critiques :
Aelinel (La bibliothèque d’Aelinel)
Célindanaé (Au pays des cave trolls)
Les Chroniques du Chroniqueur
Dup (Book en Stock)
Xapur (Les lectures de Xapur)
Yossarian (Sous les galets, la page)

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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