Déracinée
Titre : Déracinée
Auteur : Naomi Novik
Éditeur : Pygmalion / J’ai lu
Date de publication : 2017 / 2018
Synopsis : Patiente et intrépide, Agnieszka parvient toujours à glaner dans la forêt les baies les plus recherchées, mais chacun à Dvernik sait qu’il est impossible de rivaliser avec Kasia. Intelligente et pleine de grâce, son amie brille d’un éclat sans pareil. Malheureusement, la perfection peut servir de monnaie d’échange dans cette vallée menacée par la corruption. Car si les villageois demeurent dans la région, c’est uniquement grâce aux pouvoirs du « Dragon ». Jour après jour, ce sorcier protège la vallée des assauts du Bois, lieu sombre où rôdent créatures maléfiques et forces malfaisantes. En échange, tous les dix ans, le magicien choisit une jeune femme de dix-sept ans qui l’accompagne dans sa tour pour le servir. L’heure de la sélection approche et tout le monde s’est préparé au départ de la perle rare. Pourtant, quand le Dragon leur rend visite, rien ne se passe comme prévu…
…
De l’uchronie au conte
Adieu Téméraire ! Naomi Novik laisse ici de côté les dragons et les guerres napoléoniennes pour nous plonger dans un conte qui fleure bon les mythes et légendes slaves. Récompensé par les prestigieux Prix Locus et Nebula, ce one shot a dans en premier temps été édité par Pygmalion, avant de ressortir en cette fin d’année en poche (chez J’ai lu). Le roman met en scène une jeune fille, Agnieszka, qui a toujours vécu à Dvernik, un petit village situé à proximité du Bois, une forêt contaminée depuis des siècles par une étrange force qui cherche sans cesse à grignoter sur les territoires colonisés par l’Homme. Seul un homme parvient à lutter contre la puissance du Bois et à ralentir sa progression, celui que l’on nomme le Dragon, un puissant sorcier vivant isolé dans une tour à proximité du village. Seulement pour que le Dragon continue à assurer leur protection, les habitants doivent se résoudre tous les dix ans à lui offrir une de leurs filles. Nul sacrifice sanglant à l’horizon, toutefois : les jeunes filles choisies ont le droit de repartir dans leur famille une fois leur service accompli, et celui-ci se limite à assumer le rôle de domestique. Alors que l’heure du choix approche, Agnieska, elle, n’est pas particulièrement nerveuse : tout le monde sait depuis des années que c’est Kasia, la plus belle et la plus vivre des filles du village, qui va être désignée par le Dragon. Mais à la surprise générale, c’est elle que le sorcier emmène dans sa tour, et il ne semble pas vouloir la cantonner au même rôle que les autres… Présenter ainsi, le roman pourrait sembler bien trop cliché pour des habitués du genre. Pourtant, quand bien même on y retrouve effectivement certains stéréotypes propres à une fantasy plutôt « classique », le récit mérite incontestablement le détour et se révèle finalement bien plus original que ce qu’on pouvait penser à la lecture du résumé.
Le folklore russe à l’honneur
Le début du roman reprend très clairement le schéma narratif traditionnel propre à tout bon conte de fée : une jeune fille différente des autres, un homme à la réputation terrifiante mais imméritée, une force maléfique qui vient menacer un royaume… La rencontre entre le Dragon et l’héroïne de même que l’évolution de leur relation font évidemment penser à « La Belle et la Bête », tandis que l’hostilité manifestée par la flore du Bois n’est pas sans rappeler certains passages de « La Belle au bois dormant ». Certes, ressortir de vieux contes pour les réarranger aux goûts du jour est devenu assez courant ces dernières années (en littérature comme au cinéma, d’ailleurs), mais il faut avouer que Naomi Novik s’en sort sur ce point avec les honneurs. On finit pourtant par se lasser assez vite du caractère répétitif de certaines scènes, et plus encore de leur côté un peu désuet (je pense notamment à la succession de robes de princesse qui risque de ne pas vraiment faire vibrer les lectrices et lecteurs d’aujourd’hui…). Fort heureusement, l’auteur ne tarde pas à redresser la barre et à exploiter des aspects plus originaux de son univers. Celui-ci emprunte en effet énormément aux folklores russe et polonais, ce qui est loin d’être courant en fantasy : il y a par exemple de nombreuses références à Baba Yaga, sans doute la figure féminine la plus célèbre des contes et légendes russes, sans compter que la plupart des noms utilisés sont à consonances slaves. Une fois les premières jalons posés, le récit gagne en rythme tandis que l’intrigue se complexifie (sans pour autant s’écarter tout à fait des sentiers battus) et que l’ambiance s’assombrit. Ce qui pouvait passer pour une banale historiette un peu fleur bleue évolue ainsi au fil des chapitres en un conte beaucoup plus brutal, abordant des thématiques intéressantes sous un angle peu courant (la dimension écologique du texte est notamment amenée de manière bien plus habile que dans bien d’autres romans sur le sujet).
Le Bois : décor fascinant et ensorcelant
Le principal atout du roman réside surtout dans l’un de ses acteurs principaux, à savoir le Bois. Naomi Novik parvient à créer un décor remarquablement immersif et joue astucieusement sur le sentiment de familiarité que fait naître cette forêt magique pourtant semblable à nulle autre. On a tous en effet en tête des images de contes ou de récits de chevalerie se déroulant en milieu sylvestre, et l’auteur s’amuse ici à faire le lien entre sa trame narrative et les échos que ces histoires intemporelles éveillent en nous. Les scènes se déroulant dans le Bois sont ainsi sans surprise les plus intenses et les plus émouvantes du roman, à commencer par les épiques combats opposant les guerriers ou sorciers du royaume à la faune et la flore corrompues de la forêt. La magie occupe ainsi une place centrale dans le récit, même si l’auteur ne donne pas d’explications particulières sur son fonctionnement ou son origine. On sait seulement qu’elle repose sur l’oral : ceux qui possèdent le don peuvent réaliser des sorts à l’aide de suites de mots. Rien de bien originale, mais ce qui est déjà plus intéressant c’est qu’en fonction de sa diction, le sorcier peut ajuster le sort pour lui donner plus ou moins de force. Les personnages sont pour leur part assez attachants, à commencer par l’héroïne même si son profil reste là encore assez traditionnel : une jeune fille à part, maladroite, qui se fiche des conventions et possède un sacré caractère. Difficile d’ailleurs de ne pas penser à l’héroïne de « La Passe-miroir », d’autant plus que la relation qu’Agnieszka entretient avec le Dragon est sensiblement la même que celle d’Ophélie et Thorn (la froideur et la dureté de monsieur servant en fait à cacher la profondeur de ses sentiments pour madame). Les personnages secondaires sont quant à eux davantage en retrait mais possèdent tous une petite particularité qui les rend attachants aux yeux du lecteur.
Pari réussi pour Naomi Novik qui parvient à reprendre les codes des vieux contes de fée pour les réarranger à sa sauce en les mélant à des éléments de folklore d’Europe de l’Est. Les personnages sont convaincants, l’intrigue bien rythmée et le décor prompt à enflammer l’imagination. Une lecture sympathique, à ne pas louper !
Autres critiques : Baroona (233°C) ; Lutin82 (Albédo – Univers Imaginaires)
8 commentaires
lutin82
MAis nous sommes tout à fait sur la même longueur d’onde. J’ai exactement le même ressenti que toi. Une lecture qui mérite effectivement le détour, et 2 prix pas volés.
Boudicca
J’aime bien quand on est du même avis 😉
Vert
Ca y’est, j’ai fini Téméraire, je peux me pencher sur ce livre-là ^^
Boudicca
Pas du tout le même genre mais je pense que tu devrais aimer 🙂 (moi il me manque le dernier tome de Téméraire à lire !)
Elhyandra
Avec Lutin j’étais déjà intriguée, tu confirmes l’envie ^^
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