Talent
Titre : Talent
Auteur : Jacques Audiberti
Éditeur : L’Arbre vengeur [site officiel]
Date de publication : mars 2006 (1947 pour la 1re édition)
Synopsis : D’où vient que chez certains hommes le désir d’écrire semble l’emporter sur la vie même ? Quelle est cette obsession, ce mal (ou ce bien) qui les incitent à dévorer le monde pour le transformer en mots ?
Plus que beaucoup d’écrivains, Jacques Audiberti s’est interrogé sur cette malédiction prodigieuse qui distingue les créateurs du commun. Dans Talent (1947), il nous fait vivre de l’intérieur le parcours de l’un de ces « criminels anthropophages » plongé dans un petit univers, l’hôtel Pompelane, à la fois misérable, sublime et cocasse.
Ce roman oublié de l’un des plus grands auteurs du XXe siècle permettra aux uns de retrouver sa manière géniale de bousculer les phrases et aux autres de faire enfin connaissance avec celui que beaucoup d’écrivains considèrent comme un maître en mots.
La longue et froide Henriette était l’esclave de la moue que dessinaient ses lèvres dès qu’elle se mettait à parler. La moue d’un perpétuel délit, d’un renoncement triste et moqueur. Elle était toute entière marquée par ce détail de son apparence, et, par lui, sans cesse repoussée aux renfrognures, contaminée en défiance. Sa bouche eût-elle pris, dans la parole, une autre forme, que la fille Laclef, peut-être, se fût joyeusement déliée en complaisances d’amour et de feu envers la vie.
Talent est un roman de Jacques Audiberti, réédité par les éditions de L’Arbre Vendeur en mars 2006, alors qu’il a paru pour la première fois en 1947. Encore une fois, cette maison d’édition nous fait redécouvrir des auteurs sûrement trop méconnus.
Mois d’août, aux abords de Paris, dans l’hôtel Pompelane. On imagine un genre de pension de famille où les locataires finissent par se connaître à force de se croiser aux repas en commun. Assorbito, un écrivain, cherche désespérément l’inspiration pour écrire le papier qui lui a été commandé. Il multiplie les moments de digression en regardant, voire espionnant, ses voisins vivre leur vie. Il croise des rivaux, des jeunes femmes attirantes et bien d’autres possibilités d’inspiration…
Jacques Audiberti (1899-1965) est désigné comme un « maître des mots », un des « grands auteurs du XXe siècle ». Les auteurs des années 1930 à 1960 ont déjà eu le temps d’être oubliés, mais il faut reconnaître qu’il y a parfois de belles pépites à découvrir. Ce protagoniste Assorbito semble une auto-représentation de l’auteur, comme une mise en scène de son travail. On peut l’imaginer, lui-même, en manque d’inspiration et regardant son environnement en quête d’idées à exploiter. La préface de la fille de l’auteur insiste sur le style de celui-ci ; tout n’est pas constamment stylisé (tant mieux, en même temps, car ce serait peut-être rébarbatif), mais il faut reconnaître que l’auteur s’amuse souvent avec des jeux de mots ou des tournures de phrases volontairement burlesques, étonnantes. Ces passages-là permettent de s’immerger davantage dans l’histoire qui peut, dans l’ensemble, être un peu ennuyante au départ, mais qui finit par surprendre une fois que l’écrivain n’est plus forcément l’unique protagoniste.
Ce roman pose une question simple : qu’est-ce que le talent ? Déjà, contrairement à la quatrième de couverture, il faut sûrement y voir une réflexion sur le talent en général, pas uniquement le talent littéraire. D’accord, on suit d’abord un écrivain qui cherche l’inspiration, mais il ne faudrait pas oublier qu’il se compare aux autres professions qu’il côtoie dans cet étrange endroit. Du coup, la réflexion progresse davantage vers la façon que chaque personnage peut s’inspirer des autres, situation intéressante quand on s’y penche ainsi.
Talent n’est donc pas un chef-d’œuvre, c’est vrai, mais un petit roman très intéressant pour découvrir ce Jacques Audiberti, semble-t-il, très peu connu.
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