Fantasy

Le dieu oiseau

Titre : Le dieu oiseau
Auteur : Aurélie Wellenstein
Éditeur : Scrinéo
Date de publication : 2018 (mars)

Synopsis : Une île. Dix clans. Tous les dix ans, une compétition détermine quel clan va dominer l’île pour la décennie à venir. Les perdants subiront la tradition du « banquet » : une journée d’orgie où les vainqueurs peuvent réduire en esclavage, tuer, violer, et même dévorer leurs adversaires. Il y a dix ans, Faolan, fils du chef de clan déchu, a assisté au massacre de sa famille. Sauvé par le fils du chef victorieux, Torok, il est depuis lors son esclave et doit subir ses fantaisies perverses. Sa seule perspective d’avenir est de participer à la compétition de « l’homme-oiseau », afin de renverser l’équilibre des pouvoirs en place et de se venger. Qui du maître ou de l’esclave va remporter la bataille ? Quel enjeu pour les habitants de l’île ? Quel est le prix à payer pour la victoire ?
Bibliocosme Note 3.5

Dix clans. Dix champions. Un survivant.

Pour son quatrième roman, Aurélie Wellenstein continue de se distinguer non seulement par l’originalité de son cadre mais aussi par la noirceur presque malsaine qui imprègne aussi bien son décor que ses personnages (en dépit d’un ton qui frôle parfois volontiers avec le young adult). Après Paris en proie à l’apocalypse et les froides étendues de Sibérie, l’auteur nous entraîne cette fois sur une île à priori totalement coupée du reste du monde et dans laquelle plusieurs clans s’affrontent pour la suprématie. Ces luttes de pouvoir sont toutefois parfaitement ritualisées : tous les dix ans, une compétition opposant les champions de chacune des dix tribus de l’île détermine laquelle aura le droit de régner pendant la prochaine décennie. L’enjeu est de taille, surtout quand on connaît le terrible sort réservé aux vaincus. La tribu gagnante a en effet la possibilité d’organiser après son triomphe un immense banquet au cours duquel les membres désignés des clans adverses (généralement les leaders et leurs familles) subissent les pires outrages et finissent… dans l’estomac du vainqueur ! Alors qu’une nouvelle compétition est sur le point de commencer, un jeune esclave, épargné lors du dernier banquet mais asservi depuis par le fils du vainqueur, attend de se présenter aux épreuves. Ses chances de l’emporter contre son maître sont minces, mais Faolan est bien décidé à réussir et à se venger de ceux qui ont massacré sa famille, ou à mourir. Aurélie Wellenstein adopte ici la même trame que pour ses précédents romans : un personnage condamné à vivre dans un environnement hostile et confronté à des choix et des situations extrêmes auxquels il doit apprendre à réagir. Cela marchait déjà dans « Le roi des fauves » ou « La mort du temps », et cela fonctionne une fois encore à merveille dans « Le dieu oiseau ».

Décor et culture d’inspiration polynésienne

Le principal atout du roman réside dans son décor résolument original qui s’inspire énormément des îles du Pacifique, et notamment de l’histoire et des croyances de l’île de Pâques. Cette inspiration, elle se ressent d’abord au niveau du décor qui nous dépeint des paysages rarement exploités en fantasy (le seul autre exemple qui me vient est la trilogie des « Rois Navigateurs » de Garry Kilworth), avec une île dont les ressources s’épuisent et une autre à la végétation luxuriante et pleine de vie mais sur laquelle les hommes ne peuvent vivre. L’auteur emprunte également à cette culture polynésienne sa structure clanique et certains pans de sa mythologie : le dieu-oiseau et la quête de l’œuf font ainsi directement échos à une légende de l’île de Pâques. On ignore tout de l’époque à laquelle se situe l’action, mais le personnage mentionne à plusieurs reprises le passage il y a plusieurs années d’étrangers naviguant dans d’immenses embarcations et qui pourrait être une référence aux Occidentaux s’étant aventurés dans ces eaux à partir du XVIIIe siècle. Comme dans ses précédents romans, l’auteur ne perd pas son temps en présentations à rallonge et préfère au contraire plonger ses personnages directement dans l’action. Le rythme reste d’ailleurs relativement soutenu tout au long du récit qui se lit par conséquent avec une rapidité déconcertante. Impossible de s’ennuyer ne serait-ce qu’une seconde tant les événements défilent à toute vitesse et placent chaque fois le protagoniste dans des situations de plus en plus périlleuses. Quant bien même on s’attend à la survie de notre héros (qui est pourtant loin de briller dans la plupart des épreuves), Aurélie Wellenstein parvient à maintenir le suspens jusqu’au bout et pousse constamment le lecteur à s’interroger sur la manière dont le personnage va bien pouvoir s’en sortir.

Une intrigue classique mais un traitement original

En dépit de ce rythme soutenu, l’intrigue reste pour sa part relativement simple, puisqu’on a affaire au classique « il n’en restera qu’un ! » qui rappelle évidemment plusieurs récents succès littéraires, à commencer par la série « Hunger Games ». Les personnages se retrouvent évidemment confrontés ici à la même et inévitable question : faut-il mettre son humanité de côté et tuer pour gagner, ou refuser la compétition au profit de la solidarité, quitte à perdre le jeu ? Si le roman se révèle relativement classique par cet aspect, les choix opérés par le personnage en surprendront toutefois plus d’un et permettent au récit de s’écarter un peu des sentiers battus. Le final, notamment, n’a pas grand chose à voir avec ce qu’on pouvait imaginer, l’auteur échappant une fois encore à la tentation du « happy-end » (une autre de ses marques de fabrique). On retrouve une fois encore la noirceur dont Aurélie Wellenstein est coutumière et qui se manifeste de manière évidente par le biais du banquet et des actes de cannibalisme qui s’y déroule, mais aussi de façon plus pernicieuse, par l’évolution étonnante de la personnalité du protagoniste. Comme dans les précédents ouvrages de l’auteur, on retrouve malgré tout un petit côté « young adult » dans la manière dont sont décrites les interactions entre les personnages ainsi que dans la mise en avant d’un certain nombre de valeurs présentées avec une une pointe de candeur (l’amitié, la solidarité…). Rien de bien gênant cela dit, tant on est entraîné non seulement par la tension qui règne tout au long du récit, mais aussi par l’exotisme du décor dans lequel évoluent les concurrents.

Aurélie Wellenstein signe un nouveau roman dans lequel on retrouve une fois encore tous les éléments qui font sa marque de fabrique : un rythme enlevé, une ambiance sombre et emprunte de désespoir, des personnages forcés de se questionner sur leurs valeurs… et bien sûr l’omniprésence des animaux. Si l’intrigue n’a, sur le principe, rien de bien originale, ce n’est pas le cas du cadre dans lequel se déroule le récit qui s’inspire pour une fois de la culture et de la mythologie polynésienne. Un roman prenant et divertissant.

Autres critiques : Aelinel (La bibliothèque d’Aelinel)Blackwolf (Blog-o-livre) ; Elora (Lire par Elora) ; Les Chroniques du Chroniqueur ; Les Dream-Dream d’une bouquineuse ; Siriane (Elbakin)

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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