Fantasy

Djinn, tome 1 : La Maudite

Titre : La Maudite
Cycle : Djinn, tome 1
Auteur : Jean-Louis Fetjaine
Éditeur : Fleuve (Outre Fleuve)
Date de publication : 2017 (mars)

Synopsis : 1130, Princée d’Antioche – au nord de l’actuelle Syrie. Fille du roi Baudouin de Jérusalem, la princesse Alix d’Antioche s’apprête à accoucher en secret de son enfant illégitime, fruit de ses amours avec le connétable Renaud Mazoir. Personne ne doit apprendre cette naissance : sa mère a décidé que l’enfant ne survivrait pas. Mais son père, prévenu par ses informateurs, arrive à temps pour le sauver. L’accoucheuse, elle, est sacrifiée, non sans avoir jeté sur Alix une malédiction : l’esprit malin d’un Djinn s’attache désormais à ses pas. Mis à l’abri des velléités meurtrières de sa mère, le nouveau-né grandira au sein de la mystérieuse secte des Assassins ; son destin sera lié à celle-ci. Et la princesse maudite, poussée par son ambition dévorante, se voit emportée dans les tourments d’une terre dont l’histoire s’écrit trop souvent dans le sang…

Il n’y a rien ici. Que des pierres et des arbres secs et tordus. Est-ce pour ça que tu es venu ? Bien sur que non. Tous, vous êtes là parce que Dieu vous a appelés, même si bien peu d’entre vous en ont vraiment conscience. Vous êtes là parce qu’une guerre se déroule, en ce moment même, sur cette terre. Non pas la guerre des hommes, qui n’en est qu’un écho lointain, mais celle que les créatures du Malin se livrent depuis l’aube des temps pour submerger toute forme de vie terrestre.

 

Après plusieurs romans consacrés au mythe arthurien (« La trilogie des elfes » ; « Guinevere »…), Jean-Louis Fetjaine délaisse pour une fois les légendes celtiques au profit de celles du Proche-Orient du début du XIIe siècle. Plus de trente ans après la fin de la première croisade, les Francs sont finalement parvenus à s’imposer dans la région qui comprend désormais quatre « états latins d’Orient » dirigés par des Occidentaux catholiques. La situation politique est cela dit loin d’être stable, surtout du côté de la principauté d’Antioche dont le trône devient l’objet de toutes les convoitises après la mort de son dirigeant en 1130. Le prétendant le plus acharné reste sans aucun doute la princesse Alix, veuve du précédent souverain et régente de leur jeune fille, Constance, dont elle entend bien confisquer l’autorité à son profit. Si sa première tentative se termine par un échec cuisant, la belle jeune femme semble possédée par une force irrésistible qui la pousse à essayer, encore et encore, à s’emparer du pouvoir. On éprouve beaucoup de plaisir à la lecture de ce roman dont le principal atout réside sans aucun doute dans son ambiance particulière mêlant contexte politique historique et folklore oriental. Jean-Louis Fetjaine fait ici le pari de l’exotisme, et il faut avouer qu’il est agréable de troquer les elfes et fées habituels pour des goules ou des djinns, créatures moins fréquemment exploitées dans les romans de fantasy. Le dépaysement vient aussi du vocabulaire employé, celui-ci faisant référence à des réalités souvent étrangères aux lecteurs occidentaux.

L’auteur n’hésite pas, par exemple, à insérer des passages en arabe et des sourates du Coran, ou à employer les noms antiques des villes de la région : Beyrouth devient « Béryte » Lattaquié « Laodicée », Tripoli et Antioche « Trablous » et « Antakia »… Le lecteur devra aussi se familiariser avec quelques termes spécifiques (turcopole, atabeg, cadi, dïwan…) généralement explicités dans des notes de bas-de-page dont le nombre se révèle fort heureusement assez limité. L’occasion pour l’auteur de renforcer l’immersion de son lecteur mais aussi et surtout de souligner l’influence de plus en plus marquée de la culture orientale sur tous ces croisés qui, pour s’implanter durablement dans la région, se retrouvent inévitablement à tisser des liens avec les peuples locaux. Le contexte géopolitique évoqué ici est relativement complexe et donc pas toujours évident à saisir pour le lecteur qui appréciera néanmoins les efforts de l’auteur pour rendre toutes ces intrigues politiques les plus explicites possibles. Celles-ci reposent d’ailleurs sur des événements bien réels si bien que la plupart des personnages mis en scène ici relèvent tout autant de l’histoire que de la fiction. C’est le cas notamment des grands seigneurs à la tête des états latins d’Orient (Pons de Tripoli, Josselin d’Edesse…) et de quelques autres figures importantes de l’époque (le gouverneur d’Alep et de Mossoul ; le patriarche d’Antioche Raoul de Domfront ; Raymond de Poitiers…). L’auteur ne résiste pas non plus à la tentation de mettre en scène les fameux « nizârites », ces assassins réunis en une sorte de communauté mystique, même si leur rôle est ici plutôt limité et aurait mérité d’être un peu plus étoffé.

Du côté des personnages, on peut d’ores et déjà saluer le rôle déterminant joué par les femmes, qu’il s’agisse de cette fameuse Alix que l’on suit dans ses tentatives successives pour s’emparer du trône d’Antioche, de sa sœur la reine Mélisende, ou encore de la mystérieuse Malika. Autant de femmes fortes qui refusent de se cantonner au statut de spectatrices passives que souhaiteraient leur faire jouer leurs homologues masculins. C’est d’ailleurs loin d’être la première fois que l’auteur met en scène de telles héroïnes puisqu’on lui doit plusieurs beaux portraits de femmes, de la reine de légende Guenièvre (« Guinevere ») aux reines franques Frédégonde et Brunehilde (« Les reines pourpres »). Le seul reproche qu’on pourrait émettre ici est que, pour intéressantes qu’elles soient, toutes ces femmes ne sont finalement plus véritablement humaines. L’influence exercée sur elles par des créatures ou forces surnaturelles finit ainsi par créer une certaine distance avec le lecteur qui reporte alors sa sympathie sur une partie des personnages masculins qui apparaissent comme plus vulnérables et donc plus attachants. C’est le cas notamment du connétable Renaud de Mazoir, homme d’armes fidèle à son suzerain mais profondément marqué par tout ce qu’il a pu voir depuis son arrivée en terre sainte. On peut également citer le roi de Jérusalem Foulque V, dont le parcours témoigne de l’opportunité formidable que représentait alors l’Orient pour certains, mais aussi l’assassin Saïf Ibn Ammar dont le rôle aurait, encore une fois, mérité d’être davantage exploité.

 

Jean-Louis Fetjaine signe avec « Djinn » un roman de bonne facture qui séduit avant tout par son ambiance orientale qui permet à l’auteur d’exploiter un bestiaire original et trop rarement utilisé en fantasy. La période historique choisie ouvre quant à elle d’intéressantes perspectives qu’il serait intéressant de voir développer (peut-être sous la forme d’un roman mettant en scène le fils du connétable et son ami d’enfance…).

Voir aussi : Tome 2 ; Tome 3 ; L’interview de l’auteur

Autres critiques : Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Elhyandra (Le monde d’Elhyandra) ; John Évasion (Evasion Imaginaire) ; Lutin82 (Albédo – Univers imaginaires) ; Lorhkan (Lorhkan et les mauvais genres) ; MarieJuliet (Les Lectures de MarieJuliet) ; Xapur (Les lectures de Xapur)

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

20 commentaires

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