Le monde d’Aïcha : Luttes et espoirs des femmes au Yémen
Titre : Le monde d’Aïcha : Luttes et espoirs des femmes au Yémen
Scénariste et dessinateur : Ugo Bertotti
Reporter et photographe : Agnès Montanari
Éditeur : Futuropolis
Date de publication : 2014
Synopsis : Entre espoirs et luttes, rêves et incertitudes, un témoignage exceptionnel sur la condition actuelle des femmes yéménites. Agnès Montanari, reporter-photographe, a vécu plusieurs mois au Yémen et a réussi à approcher certaines d’entre elles jusque dans l’intimité de leur foyer. Ses récits mis en images par les dessins d’ombre et de lumière d’Ugo Bertotti deviennent une bande dessinée-documentaire empreinte d’humanité.
L’idée dont vous me parlez me plaît bien… Un reportage qui donne la parole aux mystérieuses femmes du Yémen… Elles sont si nombreuses, celles qui ont envie de parler d’elles, même si bon nombre ne le feront que sous couvert d’anonymat. Nous sommes tous, les hommes comme les femmes, prisonniers d’un cercle tribal qui se nourrit de pauvreté et d’ignorance, qui fait peur. C’est là mon pays : archaïque, abîmé et magnifique.
Inspiré des impressions de voyage et des photographies d’Agnès Montanari, « Le monde d’Aïcha » aborde la douloureuse question de la condition des femmes au Yémen, un pays réputé pour la rigueur de son système patriarcal. Invariablement vêtues de leur niquab, ce voile noir couvrant tout le corps et le visage pour ne laisser apparaître que les yeux, les femmes yéménites n’ont que très rarement l’occasion de témoigner de leur quotidien et ont tôt fait d’être réduites à ces sombres silhouettes anonymes et presque invisibles. Et pourtant, elles en ont des choses à dire ! L’ouvrage d’Ugo Bertotti se focalise sur une dizaine d’entre elles qui ont accepté de revenir sur leur parcours, leurs relations avec leurs proches, leurs peurs et leurs aspirations. Le dessin, en noir et blanc, est très épuré (décors limités, représentation des personnages simplifiée…) ce qui donne une grande sobriété à l’ensemble tout en accentuant encore davantage le caractère dramatique et la violence de certaines scènes. L’ouvrage est également agrémenté de magnifiques photographies, elles aussi en noir et blanc, prises sur place par Agnès Montanari grâce à l’expérience de laquelle on découvre le récit de la vie de ces femmes yéménites. Des témoignages qui frappent, qui choquent, qui émeuvent mais surtout qui révoltent tant ce qu’ils révèlent de la conditions des femmes au Yémen est dramatique.
Mariage avant l’âge de quatorze ans, viol, maltraitance, interdiction de travailler, obligation de rester cloîtrée à la maison ou sous un vêtement qu’elles se voient imposées dès qu’elles mettent le nez dehors (moins pour obéir à un quelconque commandement religieux que par volonté de respecter les traditions) : le constat est atterrant. L’ouvrage nous dépeint une société profondément archaïque, engluée dans ses traditions et dans laquelle les femmes ne sont considérées que comme de simples marchandises dont les hommes peuvent disposer à leur guise. L’une nous relate comment ses parents l’ont marié dès l’âge de douze ans pour avoir une bouche en moins à nourrir. Une autre encore raconte que son mari lui a tiré dessus pour avoir osé se montrer sans niquab à la fenêtre. Les autres relatent les coups, les humiliations pour avoir voulu trouver un travail ou simplement faire une course sans autorisation. A dix-huit ans la plupart des jeunes yéménites ne vont pas au lycée et ne sortent pas avec leurs amies comme le ferait n’importe quelle gamine ici. Là-bas, elles sont déjà maman de plusieurs enfants, doivent s’occuper de la maison pendant que leur mari travaille et surtout ne pas montrer leur visage en public, sous peine de se voir traiter de putain ou de se retrouver mise au banc de la société.
Tout n’est cependant pas noir et on voit progressivement s’opérer un changement dans les mentalités au Yémen. Cet espoir, il provient d’abord des femmes elles-mêmes. Dans tous les témoignages recensés ici, on retrouve chaque fois cette volonté farouche de la part des mères de voir leurs filles réussir, aller à l’école, trouver un travail et ainsi échapper à la vie qu’elles-mêmes ont vécu. Quelques hommes laissent aussi entrevoir dans leur comportement une évolution vers plus de compréhension et d’égalité, même si les traditions ont bien souvent la vie dure. Si elles peuvent aujourd’hui facilement divorcer, les femmes du Yémen peuvent toutefois difficilement vivre seules sous peine parfois de se faire emprisonner. De même, si elles ont effectivement la possibilité de faire des études et de trouver un travail, les voir quitter la maison reste difficile à digérer pour certains, tout comme le fait de les voir abandonner le niquab. La plupart des femmes interviewées ici font heureusement preuve de beaucoup d’humour ce qui permet de légèrement atténuer l’ambiance plombante dans lequel baigne l’ouvrage. Enfin, la vision d’une femme extérieure à la société yéménite en la personne de la photographe Agnès Montanari permet de les faire réagir et s’exprimer sur la façon dont elles peuvent être perçues par les Occidentaux.
Le roman graphique d’Ugo Bertotti brosse un portrait sans fard de la situation vécue au quotidien par les femmes du Yémen qui témoignent ici de leur soif de liberté et de leur espoir de voir leurs filles accéder un jour à une vie meilleure. Un ouvrage bouleversant, à découvrir absolument.