Fantasy

Interview de Chloé Chevalier pour Véridienne (octobre 2015)

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Nous vous avions parlé il y a quelques semaines du coup de cœur qu’avait représenté pour nous la lecture du premier roman de Chloé Chevalier paru chez Les Moutons Électrique en août dernier : Véridienne. Au cas où notre critique enthousiaste ne serait pas parvenue à pleinement vous convaincre de vous plonger au plus vite dans ce premier tome des « Récits du demi-loup », nul doute que cette interview qui nous a gentiment été accordée par l’auteur achèvera de vous décider.

Crédits photographiques : Chloé Chevalier

Le Bibliocosme : Pouvez-vous nous présenter votre parcours : comment en êtes-vous venue à l’écriture et pourquoi avoir choisi d’écrire de la fantasy pour commencer ?

Chloé Chevalier : J’écris depuis le lycée. Au début, j’écrivais des scénarios pour des films amateurs que je tournais avec mes amies pendant les vacances, pour le plaisir de mettre en scène nos propres histoires, et de les incarner en mettant des costumes. Les Récits du Demi-Loup sont nés comme ça, d’un film qu’on avait tourné par un hiver particulièrement froid dans un château humide, alors que nous avions dix-sept ans, et dont j’avais écrit l’histoire. Une histoire que je n’ai pas lâchée depuis, que j’ai étoffée, développée encore et encore (depuis 2006, quand même…). Je pensais d’abord n’en tirer qu’un roman, puis la perspective d’en faire toute une série s’est imposée, et le loisir d’enfance s’est peu à peu mué en un projet d’écriture en passe de m’occuper encore de nombreuses années. Parallèlement, je suis partie à Nantes, puis à Paris – où je vis depuis – pour faire des études de cinéma. J’ai passé un Master à l’Université Paris III (sur la fantasy au cinéma), et depuis je travaille comme scénariste, en plus d’être la gérante d’une boîte de production de courts-métrages, les Films d’Argile. Quant au choix de commencer par écrire de la fantasy… ma foi, c’est ce que je lisais presque exclusivement à l’époque, et les films que je regardais, donc je ne me suis jamais vraiment posé la question ! Ça s’est imposé, tout naturellement.

 

Le Bibliocosme : Dans « Véridienne », vous mettez en scène le royaume du Demi-Loup : pouvez-vous nous en dire davantage à son sujet ?

Chloé Chevalier : Le Demi-Loup est un petit royaume, pas forcément dans l’absolu, mais par rapport aux autres espaces qui l’entourent. À l’est, un immense empire très puissant, à l’ouest les tout aussi vastes et quasiment désertiques Plaines Jaunes. En terme de proportions, il faudrait imaginer – ne voir là aucun parallèle, ce n’est que pour donner une échelle ! – la Suisse coincée entre d’un côté l’Empire Romain et de l’autre l’Empire Mongol. Mais de cette disproportion, les habitants du Demi-Loup n’ont pas conscience (et forcément, quand ils vont taquiner le très grand et très bien armé voisin, le risque est fort pour eux…) parce que, depuis des générations, le royaume vit uniquement replié sur lui-même, sans guère de contact avec les territoires frontaliers. Les coutumes qui forment les piliers de sa culture sont toutes plus ou moins en perdition, son système politique est en voie d’écroulement. Et à tout cela va venir s’ajouter une épidémie que rien ne peut enrayer… Dans le repli et l’ignorance, c’est également ainsi que grandissent les cinq héroïnes, dont on laisse l’éducation, très jeunes, partir à vau-l’eau. Alors qu’elles sont destinées à diriger un jour le royaume, le roi les laisse en roue libre, à jouer et à se quereller comme de simples adolescentes. Le récit (à l’échelle du cycle), puisqu’il adopte (essentiellement) le point de vue de ces jeunes filles, va donc aussi être celui d’une prise de conscience et d’une redécouverte : leur place dans le royaume, la place de leur royaume dans le monde, ce qui fait sa richesse mais aussi toutes ses failles.

Véridienne

Le Bibliocosme : En quoi consiste la tradition des « Suivant(e)s » et comment vous est venue cette idée originale ?

Chloé Chevalier : À sa naissance, chaque enfant de la famille royale se voit attribuer un Suivant, un enfant du même sexe né un jour après lui (le jour suivant, d’où le nom, même si je joue – au féminin surtout – avec le terme « historique » de suivante, au sens de dame de compagnie… bien que les Suivantes du Demi-Loup n’aient rien de simples dames de compagnie !). Partant de là, quel est le rôle exact d’un Suivant par rapport à son prince ? Cela, c’est l’apprentissage d’une vie, comme Nersès et Lufthilde vont en faire l’expérience tout au long du cycle : ami, conseiller, bras-droit, garde du corps, remplaçant, chroniqueur, témoin, garde-fou, épaule consolatrice, juge, censeur, et bien d’autres encore, mais aussi lien symbolique entre le peuple et la royauté, leur rôle est sans cesse à ajuster, à redéfinir. Il ne leur est pas donné, mais doit être construit, et chaque lien Suivant/prince est unique. On verra, au fil du cycle, le binôme Malvane/Nersès évoluer bien différemment du binôme Calvina/Lufthilde… L’idée m’est venue dès le début de l’écriture. Je voulais mettre en scène un groupe de filles, mais les placer toutes sur le même rang social (toutes de la famille royale, par exemple), ou instaurer entre elles une relation hiérarchique classique (des princesses avec leurs femmes de chambre, mettons) me semblait avoir été déjà trop exploré. Le principe des Suivantes s’est construit peu à peu au fil de l’écriture et des différentes versions du manuscrit – un peu comme les Suivantes prennent conscience progressivement de leur rôle, en fait – jusqu’à devenir ce qu’il est actuellement.

 

Le Bibliocosme : Dans ce premier tome, les événements ne sont jamais relatés du point de vue des deux princesses, Malvane et Calvina, pourquoi avoir fait ce choix ? Peut-on s’attendre à ce que cela change dans les tomes suivants ?

Chloé Chevalier : La position des Suivantes, décalée d’un cran (quoi que…) par rapport au pouvoir royal, me semblait plus intéressante que celui des princesses. On a déjà des tas d’histoires de princes qui vivent de grandes aventures, or ce qui m’intéressait, ce n’est pas tant comment une histoire se joue « en direct », que comment elle se crée a posteriori, par les témoignages (forcément subjectifs) de ceux qui y ont participé, ce qu’ils choisissent de dire ou de taire, et comment. D’où le choix des Suivantes, témoins par excellence des règnes narrés, comme narratrices. Quant à Aldemor, il a traversé tant d’épreuves, et il entretient tant de secrets vis-à-vis de tout le monde (il a presque deux vies : celle qu’il a mené à l’Est, et ce qu’il laisse paraître à Véridienne), qu’il me semblait impossible de ne pas en faire un narrateur. Toutefois Malvane et Calvina ne deviendront jamais narratrices, on n’aura pas accès à leurs pensées autrement que via des lettres, des notes, ou ce type de documents. Par contre, il y aura (au moins) un nouveau narrateur, mais pas avant le tome 3 !

Véridienne 2

Le Bibliocosme : Avez-vous une affection plus marquée pour l’un de vos personnages ?

Chloé Chevalier : J’ai un faible pour tous les personnages qui soutiennent dans l’ombre les différents narrateurs, ceux par qui rien ne serait possible mais qui n’ont pas leur mot à dire dans (et sur) l’histoire : Vigtan, Vernard, Grune. Ils sont présents sous une forme assez esquissée encore dans le tome 1 mais seront nettement plus développés dans les volumes suivants. Sinon, s’il me fallait choisir un des personnages principaux, c’est-à-dire un des narrateurs… très difficile pour moi qui n’ignore rien de ce qu’ils deviendront et feront, en bien comme en mal, dans les années à venir ! En vérité mon narrateur préféré n’a pas encore pris la parole (cf. question précédente), mais si je dois en choisir un au sein du tome 1 uniquement, je dirais Aldemor, qui pour l’instant est le plus complexe d’entre eux – ou en tout cas celui qui recèle le plus de mystères. Et aussi, j’aime beaucoup Malvane, avec son caractère fougueux et un peu anticonformiste !

 

Le Bibliocosme : Entre le cadre et la narration, on retrouve beaucoup de Robin Hobb dans votre roman, est-ce une auteur qui vous a particulièrement influencée ?

Chloé Chevalier : Oui tout à fait, du moins au début. C’était le cas au moment où j’ai commencé le tome 1 (son influence est moins perceptible dans les tomes suivants), qui se passe plus ou moins en huis-clos dans un château, comme les premiers tomes de l’Assassin Royal, une série que j’ai relue de très nombreuses fois depuis (je crois que j’ai lu tout ce que Robin Hobb a écrit, ou quasiment, on peut dire que c’est la seule auteure dont je sois réellement fan). C’est vrai qu’on retrouve aussi dans le Demi-Loup une narration à la première personne, même si elle n’est pas l’apanage de Fitz (un si beau personnage…), mais utilisée de façon polyphonique, comme dans les Aventuriers de la mer…

L'assassin royal 1

Le Bibliocosme : Y a-t-il d’autres auteurs dont les œuvres vous ont marqué ou inspiré pour l’écriture de « Véridienne » ?

Chloé Chevalier : J’essaye de me remémorer ce qu’étaient mes lectures à l’époque où j’ai commencé à écrire, il y a bientôt dix ans, alors que j’étais au lycée… Les Trois mousquetaires de Dumas, et leurs suites, pour le côté « groupe d’amis d’abord indivisible, que le temps et les aléas politiques vont peu à peu diviser irrémédiablement, jusqu’à les retourner les uns contre les autres » ? J’avais beaucoup aimé ces livres, alors, et je regardais toutes les adaptations ciné que je trouvais. Parmi les autres grandes sagas qui ont compté pour moi, il y a aussi eu Le Clan des Otori et Harry Potter, des séries où on attrape le héros très jeune pour le suivre sur des années, comme dans le Demi-Loup… et comme dans bien d’autres séries, au fond. Après, quant à déterminer ce qui est influence et ce qui simplement nourrit l’imaginaire – que ce soit pour Robin Hobb ou pour ces dernières références – c’est toujours un vaste débat… Et aussi, je lisais et relisais beaucoup les tragiques grecs (Sophocle, Euripide…), mais je ne sais pas si l’empreinte en est perceptible, ou alors de manière très diffuse !

 

Le Bibliocosme : À quoi peut-on s’attendre dans la suite des « Récits du Demi-Loup » ? Combien de tomes avez-vous prévu d’écrire au total ?

Chloé Chevalier : Cinq tomes, en tout, sont prévus pour clore les Récits du Demi-Loup, mais il n’est pas impossible que je reparte un jour – mais pas avant des années ! – sur un cycle indépendant se déroulant plus loin dans le même monde. Pour ce qui est de la suite de Véridienne, comme le laisse présager la fin du tome 1 (attention spoilers !), le tome 2 voit la dispersion géographique des personnages principaux : Lufthilde et Calvina sont reparties aux Éponas, Cathelle et Aldemor ont disparu on ne sait où, tandis que Malvane et Nersès sont restées à Véridienne. La construction du tome change en conséquence : plus, ou presque plus, d’entremêlement aussi serré des narrateurs, parfois au sein d’un même chapitre. Les Suivantes et leurs princesses, comme elles ont commencé à le faire à la fin du tome 1, doivent poursuivre l’apprentissage de leurs devoirs respectifs, et chacune le fera avec des degrés très variables d’application, d’audace et de perspicacité. Le tome 2 sera également un tome de voyages, où on s’aventurera loin au-delà des frontières du Demi-Loup.

Véridienne 3

Le Bibliocosme : À part la suite de « Véridienne », avez-vous actuellement d’autres projets d’écriture ?

Chloé Chevalier : Comme je suis scénariste, j’ai toujours des tas de projets en cours, mais on parle là d’écriture cinéma, c’est assez différent. Pour ce qui est de la littérature, j’ai deux projets de science-fiction jeunesse sur le feu, à des niveaux d’avancement différents : un d’anticipation uchronique à court terme, plutôt pour ados, et un autre dans la lignée du Passeur de L. Lowry, pour les plus jeunes. Mais les deux sont en stand-by pour l’instant et je ne sais pas quand je pourrai m’y remettre ! J’ai aussi un recueil de nouvelles se déroulant dans l’univers du Demi-Loup, mais longtemps avant, devant faire office de prélude, qui est presque achevé.

 

Le Bibliocosme : Êtes-vous vous-même lectrice régulière de science-fiction, fantasy ou fantastique ? Si oui, avez-vous un ou des auteurs en particulier à conseiller ? Si non, quels genres de lectures appréciez-vous ?

Chloé Chevalier : Je lis de la SFFF, oui, mais pas que, et pas tant que ça. Quand je lis trop de fantasy, en particulier, je n’ai plus envie d’en écrire, ou alors ma lecture entre un peu « en conflit » avec mon écriture ! En conséquence, je me limite pas mal dans ce genre. En science-fiction, ma dernière grande découverte sont les romans d’Alain Damasio. La Zone du Dehors a pour moi été un choc – cette expression est un poil galvaudée, je sais, mais c’est pourtant le mot – tant philosophiquement, politiquement que pour la richesse de la langue employée. Hors SFFF, je suis ouverte à tout. En vérité, j’aime lire ce qu’on m’offre, ou ce qu’on me conseille, de façon un peu aléatoire… ce qui permet le plus de découvertes, et le plus de diversité ! Par exemple, en ce moment je suis dans Un barrage contre le Pacifique de Duras, après avoir lu La Chute de cheval de Jérôme Garcin, la série Blast de Manu Larcenet et le dernier Fred Vargas cet été, entre autres…

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Si avec ça vous n’avez pas envie de découvrir Véridienne… !

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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