Étonnants Voyageurs 2015, Conférence #3 : Arsène, Sherlock, Fantômas et les autres
Parmi les nombreux rendez-vous proposés par La Maison de l’Imaginaire ce week-end, nous ne tenions pas à manquer la table ronde consacrée à « Arsène, Sherlock, Fantômas et les autres ». Animé par Claudine Glot, cet entretien réunissait sur une même scène Adrien Goetz, dont le dernier roman met en scène un Arsène Lupin moderne (« La nouvelle vie d’Arsène Lupin ») ; Xavier Fournier, auteur d’un ouvrage consacré aux super-héros français du début du XIXe à nos jours (« Super-héros à la française ») ; et enfin Fabrice Bourland, dont « Hollywood Monsters », le dernier tome des aventures de son duo de détective Singleton et Trelawney, vient tout juste de paraître. Le thème était déjà intéressant en soi mais les trois intervenants sont parvenus à le rendre plus passionnant encore grâce à leurs échanges pleins d’enthousiasme, leurs nombreuses anecdotes sur le sujet et surtout leur grande culture. Voici, très succinctement, un résumé de ce débat.
L’auteur hanté par son personnage
Si Fabrice Bourland admet s’être servi de Sherlock Holmes comme d’un prototype pour élaborer ses deux personnages, il avoue s’intéresser davantage à Conan Doyle lui-même. Il est évident pour lui que l’auteur en est peu à peu venu à se faire « bouffer » par sa créature qu’il tentera même de tuer sans y parvenir. Une anecdote amusante témoignant bien du rapport compliqué entretenu entre l’auteur et sa créature : Conan Doyle donne naissance au personnage du très rationnel Sherlock Holmes dans les années 1860/70 alors qu’il est lui-même en train de céder aux sirènes du spiritisme. Adrien Goetz raconte que Maurice Leblanc a d’une certaine manière lui aussi été hanté par son personnage puisque, vers la fin de sa vie, il aurait fait rajouter des verrous à toutes ses portes, de peur qu’Arsène Lupin ne vienne lui rendre visite. Ce phénomène s’explique également en partie par la posture particulière de ces auteurs qui ne se mettent pas dans la peau d’un écrivain inventant un personnage mais dans celle d’un intermédiaire entre un personnage bien réel et le public. Un sondage réalisé il y a quelque temps en Angleterre aurait d’ailleurs témoigné du fait que la majorité des Britanniques restent aujourd’hui persuadés que Sherlock aurait vraiment existé et ne serait pas qu’un personnage fictif.
Le retour des héros de la littérature populaire
Si Adrien Goetz a voulu mettre en scène un Arsène Lupin au XXIe, c’est tout simplement parce que cela a beaucoup été fait avec le personnage de Conan Doyle mais très peu avec celui de Maurice Leblanc (il prend l’exemple de l’excellente série « Sherlock » diffusée par le BBC avec Benedict Cumberbatch dans le rôle de Holmes et Martin Freeman dans celui de Watson). Adrien Goetz constate que les Français ont globalement plus de scrupules que les Anglais à s’attaquer aux grands classiques de la littérature populaire pour les moderniser ou les réadapter. Il prend l’exemple d’une querelle concernant une nouvelle adaptation de « Fantômas » au cinéma et qui opposerait depuis plusieurs années deux types de scénaristes : il y aurait d’un côté ceux partisans de recréer la même ambiance que dans le film de 1964 avec De Funès, et de l’autre ceux qui souhaiteraient un Fantômas plus fidèle à celui des romans et donc beaucoup plus sombre et violent. L’une des raisons qui explique que l’on porte aujourd’hui encore autant d’intérêt à tout ces personnages tiendrait également à la dimension scientifique de ces œuvres. Il s’agirait d’une volonté de la part des auteurs de donner davantage de crédibilité au récit et de compenser les extravagances de l’intrigue ou du personnage. Une formule qui fonctionne encore parfaitement aujourd’hui.
Les super-héros français
Xavier Fournier a choisi de débuter son ouvrage au début du XIX, période particulièrement troublée en raison des constants changements de régimes et d’une accélération manifeste du progrès. Il remonte « seulement » jusqu’à cette époque car il estime qu’il s’agit de celle de la véritable naissance des premiers super-héros. Ce n’est en effet qu’à ce moment là que la notion de double identité devient véritablement cruciale. Auparavant le déguisement ne servait aux héros que ponctuellement, le temps d’une simple aventure ou d’une ruse. Désormais, le costume sert à tromper les autres sur la véritable identité du héros mais sur le long terme et sans qu’il y ait volonté de la part du personnage de révéler qui il est sous son costume. C’est ce côté polymorphe qui apparaît au XIXe qui l’intéresse, et c’est pour lui d’autant plus flagrant avec le personnage de Vidocq. Cet aspect s’est également manifesté lors de ses recherches quand il a trouvé mention de plusieurs personnes qui auraient véritablement arpenté la ville de Paris masqués à la manière des super-héros, sans qu’on ait jamais su de qui il s’agissait. Il prend l’exemple de celle baptisée « L’Amazone masquée », une femme qu’on aurait vu à de multiples reprises se promener dans la ville avec deux sabres accrochés dans le dos.
Lorsqu’Adrien Goetz lui demande un exemple de super-héros français que nous ne connaîtrions pas, Xavier Fournier choisit Fantax, super-héros né juste après la Seconde Guerre mondiale, très décrié par les critiques et victime de la censure de l’époque. Il avait tenu à réaliser un article sur lui il y a quelques années et avait donc interviewé les descendants de l’artiste qu’il avait trouvé très émus de voir quelqu’un s’intéresser enfin de manière positive à cette création. Les aventures de Fantax sont particulièrement violentes, mais cela n’a rien de surprenant dans le contexte de l’après-guerre. Le héros lutte contre de nombreux ennemis, souvent des nazis mais aussi parfois des membres du Ku Klux Klan, ce qui ne plaît évidemment pas du tout à la droite de l’époque. La gauche n’apprécie pas plus le héros et, en raison de toutes ces pressions, le personnage finira par disparaître en 1959. Dans la dernière aventure, les enfants de Fantax sont ainsi kidnappés et le héros ne parviendra qu’à sauver son fils au détriment de sa fille. Il fera alors sur sa tombe le serment de ne jamais endosser à nouveau son costume de super-héros.
Une conférence très instructive qui nous aura permis de faire la connaissance de trois auteurs ayant choisis de dépoussiérer de « vieux » héros. Nous sommes d’ailleurs repartis avec « La nouvelle vie d’Arsène Lupin » sous le bras et devrions acquérir très prochainement le « Super-héros, une histoire française » de Xavier Fournier.
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