Étonnants Voyageurs 2015, Conférence #2 : Besoin d’imaginaire
Parmi les conférences organisées ce week-end à Saint-Malo à l’occasion du festival des Étonnants Voyageurs, nous avons évidemment été particulièrement attentifs à celles proposées par la Maison de l’Imaginaire. Nous avons ainsi pu assister samedi après-midi à une table ronde réunissant un sacré casting. Parmi les auteurs invités citons d’abord Thimothée de Fombelle, auteur du roman pour la jeunesse « Le livre de perle ». Était également présent Jean-Claude Dunyach, auteurs de nombreux romans, dont un écrit en collaboration avec Ayerdhal (« Étoiles mourantes »), et qui revient cette année avec un livre de fantasy intitulé « L’instinct du troll ». Dernier invité (et non des moindres), Christopher Priest, un très grand nom de la science-fiction britannique, auteur d’œuvres à la complexité vertigineuse, souvent récompensé par des prix littéraires et dont le dernier roman, « L’Adjacent », vient de sortir en France chez Denoël. Le débat, intitulé « Besoin d’imaginaire » était organisé par Claudine Glot et a avant tout constitué en une présentation par chacun des auteurs de leurs univers respectifs et de leur dernier roman en date.
Les choses n’existent pour moi que lorsque je les raconte. (Jean-Claude Dunyach)
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Honneur à Jean-Claude Dunyach qui nous explique son incompréhension devant le choix de la majorité des auteurs de fantasy de mettre en scène un monde largement inspiré de notre Moyen Age. Pourquoi un univers autre que le notre n’aurait-il pas lui aussi évolué ? Il a donc décidé d’inventer un univers de fantasy « moderne » où il est nécessaire de faire un planning prévisionnel avant de partir faire une quête, où on peut avoir réussi une mission périlleuse mais quand même se faire engueuler par son patron pour ne pas avoir ramener ses notes de frais, et où la sanction la plus abominable qu’il soit consiste à se faire assigner un stagiaire. Le choix de son héros est lui aussi plutôt original puisqu’il s’agit d’un troll, créature foncièrement stupide, ce qui lui enlève beaucoup de pression. Il n’a en effet pas à se creuser la tête pour essayer de le rendre sans arrêt plus malin que tout le monde. Cette histoire a été un vrai bonheur à écrire, et ce pour les mêmes raisons que ce fut pour lui vrai un bonheur de lire des auteurs comme Rabelais ou Jonathan Swift : parce que cela offre aux lecteurs une perspective décalée. Ce qu’il apprécie avant tout dans une histoire, ce sont ses failles car elles permettent de donner naissance à d’autres histoires. Il prend l’exemple de la légende du roi Arthur dont il adapte certains épisodes à sa sauce dans son roman. Il cite également Catherine Dufour, auteur de « Quand les dieux buvaient » qui met en scène une petite troupe d’aventuriers se nourrissant exclusivement des restes de repas laissés par les membres de la compagnie du « Seigneur des anneaux », sans cesse interrompus au moment de manger dans l’œuvre de Tolkien. Il conçoit l’imaginaire comme une incapacité à s’arrêter, une volonté d’ailler toujours plus loin, car il ne peut y avoir d’obstacles ou de frontières.
Christopher Priest explique quant à lui aimer écrire des histoires complexes parce que la vie elle-même est complexe et jamais linéaire. L’histoire de son dernier roman paraît simple au premier abord : la femme d’un homme disparaît et il va passer le reste du roman à la chercher ; mais évidemment les choses vont vite se compliquer. L’intérêt du roman réside également dans le contexte puisque l’auteur met en scène une république islamique de Grande Bretagne. Un élément de contexte qui n’est pas essentiel à l’intrigue mais qui sert plutôt à donner une ambiance et une dimension supplémentaire au récit. Il met l’accent sur l’incompréhension que les Européens ont de l’Islam qui n’a rien à voir d’un pays à l’autre : l’islam de Bosnie n’a rien à voir avec celui d’Arabie Saoudite et ainsi de suite. Il s’est donc plu à imaginer ce que pourrait donner un islam anglais et ne voyait pas ce qui empêcheraient les Anglais musulmans de continuer à jouer au cricket, de faire preuve de fair-play ou de s’habiller de façon excentrique. Comme dans chacune de ses histoires il faut accepter de perdre pied et de voir la lumière ne se faire qu’à la fin. Jean-Claude Dunyach intervient alors pour saluer le travail de Christopher Priest dont il compare la construction et la complexité à celle d’un vitrail. Il s’agit incontestablement pour lui d’un des plus grands auteurs du XXIe siècle.
Timothée de Fombelle explique quant à lui que, malgré sa volonté de proposer de l’évasion à ses lecteurs et de s’évader lui-même, il ne peut paradoxalement s’empêcher de parler de notre réalité. Que l’action se déroule dans un univers féerique n’y change rien : même quand on écrit de la fantasy ou de la science-fiction, on dit quelque chose de notre époque et de nos préoccupations actuelles. Son livre joue sur ce paradoxe puisqu’il met en scène un personnage exilé d’un monde féerique et envoyé dans le notre, au milieu des années 1930. A un membre du public qui souhaiterait savoir ce qu’il pense des jeunes qui désertent de plus en plus les livres au profit de leurs écrans, l’auteur répond qu’il est plutôt optimiste à ce sujet car on continue de venir le voir pour lui demander de raconter des histoires. Si certains se détournent effectivement des livres, d’autres en viennent au contraire à les considérer comme des objets de marginalité ou de résistance et donc de désir. Tout n’est donc pas perdu…
Une table ronde intéressante permettant de se faire une bonne idée des univers de chacun des trois auteurs. Nous sommes d’ailleurs reparti du festival avec « L’instinct du troll » de Jean-Claude Dunyach (et avec une belle double dédicace). Les roman de Christopher Priest (d’une grande gentillesse et toujours très souriant) et de Thimothée de Fombelle figurent quant à eux sur la liste de nos futurs achats !