Fiction historique

Étonnants Voyageurs 2015, Conférence #1 : Entretien avec Jean Teulé

Etonnants Voyageurs 2015

Le festival des Étonnants Voyageurs accueillait ce week-end à Saint-Malo quantité d’auteurs au nombre desquels figurait Jean Teulé, interviewé par Willy Persello au Palais du Grand Large. Une rencontre que beaucoup de visiteurs n’ont pas voulu louper et qui s’est déroulée dans une ambiance agréable grâce à la bonne humeur communicative de l’auteur. L’entrevue ne devant pas dépasser une heure, celle-ci a été conçue comme une sorte de déambulation dans l’ensemble de l’œuvre et du parcours de Jean Teulé qui aura fait carrière à la fois en tant qu’illustrateur, puis à la télévision, et enfin en tant qu’écrivain. Il est aujourd’hui l’auteur d’une quinzaine de romans dont le dernier en date, « Héloïse, ouille », est consacré à l’un des plus célèbres couples de l’histoire de France : Héloïse et Abélard.
Pour écouter l’entretien de Jean Teulé en audio, suivez le lien.

 

Pourquoi écrire un roman sur cette histoire ?

L’idée lui est venue après avoir lu les études de plusieurs historiens pour qui l’amour aurait justement été inventée au XIIe siècle par Héloïse et Abélard. Si Roméo et Juliette ou bien Tristan et Iseult sont eux aussi passés à la postérité, ils restent toutefois issus de l’imagination d’auteurs. Héloïse et Abélard ont quant à eux bel et bien existé et on peut toujours aller visiter l’endroit où ils ont été enterrés. Un abbé et une abbesse enterrés ensemble, ça titille la curiosité ! Jean Teulé s’est ensuite plongé dans la correspondance entretenues par les deux amants et a alors découvert que leur histoire d’amour devait avoir été vraiment torride puisqu’Abélard écrit que tous deux se sont fait « tout ce que deux corps pouvaient se faire ». Il explique aussi avoir ressenti une certaine frustration à la lecture des textes écrits sur le sujet, ces derniers s’attardant essentiellement sur la rencontre du couple et leurs années de séparation, mais passant en quelques lignes toute la durée pendant laquelle ils vécurent leur amour en secret. Il a donc voulu accorder une place plus importante aux ébats des deux amants dans son livre, ce qui lui a aussi permis de mettre l’accent sur le caractère « féministe » d’Héloïse, bien décidée à faire à Abélard exactement tout ce qu’il pourrait lui faire au lit (d’où un passage d’anthologie impliquant une botte de carottes et quelques petites précisions sur la vie des légumes au Moyen Age…). L’auteur explique s’être aussi beaucoup amusé à les dépeindre en train de faire l’amour dans des positions acrobatiques pour ne leur faire découvrir le missionnaire qu’à la toute fin de leur relation (découverte apparemment appréciée des intéressés…). L’histoire d’Héloïse et Abélard est une histoire d’amour absolue, mâtinée de sexe, de violence et de sacrifice : tout ce qu’il faut pour faire un bon roman.

Héloïse Ouille

Comment s’est-il documenté sur le sujet ?

Cela lui a pris six mois. Il a recensé 1637 livres consacrés à Héloïse et Abélard, et il a donc du en sélectionner certains. Il s’est aussi penché sur leur correspondance ainsi que sur des essais concernant la vie quotidienne au XIIe (comment se nourrissaient-ils ? comment s’habillaient-ils ? comment parlaient-ils ?…). L’objectif était vraiment d’immerger le lecteur dans l’histoire du couple mais aussi dans l’ambiance du Moyen Age.

Les personnages de ses livres sont toujours très atypiques, comment les choisit-il ?

Il faut avant tout qu’ils lui soient sympathiques, même lorsqu’ils ont fait des choses un peu répréhensibles. Il prend l’exemple de Charles IX, héros de son roman « Charly IX », qui ne se remettra jamais d’avoir ordonné le massacre de la Saint Barthélémy. Il mourra à 23 ans, en ayant l’air d’un vieillard et en suant un sang qu’il estime être celui qui a coulé par sa faute au cour de cette sombre nuit de 1572. Il apprécie également beaucoup de mettre en lumière des personnages peu connus du grand public et prend cette fois l’exemple du marquis de Montespan (Le Montespan). Tout le monde connaît évidemment Madame de Montespan, favorite de Louis XIV, mais très peu savent qu’elle avait un époux qui fera ajouter des cornes à ses armoiries pour dénoncer l’adultère de sa femme, qui organisera les funérailles de son amour, et dont la dernière phrase aurait été « Je ne réclame que la gloire de l’avoir aimé ».

Le montespan

Pourquoi cet attrait pour l’histoire ?

S’il s’est mis à écrire de plus en plus de romans historiques, c’est parce qu’il s’est rendu compte que la réalité dépassait bien souvent tout ce que la fiction pouvait imaginer. Il a cependant décidé d’arrêter les livres historiques car beaucoup de gens s’y mettent aujourd’hui et parce que c’est une démarche qu’il commence à trop bien connaître. Si un artisan est appelé de par la nature de son métier à reproduire encore et encore la même chose, un artiste ne doit, à l’inverse, jamais faire deux fois la même chose. Il y a de sa part une volonté de se mettre en danger à nouveau, notamment avec son tout nouveau projet dont il ne veut rien dire (malgré les tentatives de certains membres du public pour lui tirer les vers du nez). Il dispose heureusement du soutien de son éditeur chez Juliard qui, même si ce n’est pas dans son intérêt, le pousse à prendre des risques et l’encourage.

Que garde-t-il de ses années en tant qu’illustrateur ?

Il a particulièrement apprécié travailler sur « Gens de France et gens d’ailleurs », des bandes dessinées mettant en scène ses rencontres un peu partout en France avec des gens assez peu communs (il se qualifie lui-même avec humour « d’aimant à dingos »). Il a gardé de cette époque une écriture très visuelle, peut-être moins « intellectuelle » que certains auteurs qui ont trop tendance à l’introspection. Lorsqu’il coince sur une scène, il la dessine pour pouvoir la raconter.

Quel regard porte-il sur les adaptations qui sont faites de ses ouvrages ?

La réponse est claire : il estime n’avoir rien a y voir. Il y a eu ces dernières années plusieurs adaptations en bande-dessinée de ses romans (« Le Montespan » ; « Charly IX » ; « Je, François Villon ») mais il n’y a aucunement participé. Il n’a par exemple rencontré le dessinateur de « Charly IX » que le jour de la sortie de la bd. Il y a aussi eu une adaptation au théâtre de « Mangez-le si vous voulez » qu’il n’a, là encore, découvert que le jour de la première. A partir du moment où on a acheté les droits de son œuvre, il estime que la personne a le droit d’en faire ce qu’il veut. Son travail, c’est son livre, et aucune des adaptations qui seront proposées n’y changeront une virgule, donc cela ne le regarde pas. On lui a récemment demandé de jeter un œil à un scénario en vue d’une adaptation au cinéma du « Montespan », mais il estime n’avoir aucun avis à donner sur le sujet. Il a lui même eu une expérience en tant que réalisateur qu’il n’a pas du tout apprécié, n’aimant pas plus donner des ordres qu’en recevoir.

Charly 9

Pourquoi avoir complètement arrêté la bande dessinée pour faire de la télé, puis arrêté la télé pour écrire ?

Chacun de ces changements, il ne les a en fait jamais vraiment choisis. Il est venu à la BD un peu par hasard, puis quelqu’un qu’il ne connaissait pas lui a proposé de faire de la télé. Enfin c’est un éditeur de chez Julliard qui l’a appelé pour lui dire tout le bien qu’il pensait de lui et lui demander d’écrire un roman. Il a abandonné ce qu’il faisait avant tout simplement parce qu’il n’avait pas le temps de tout concilier. Il y a aussi le fait que la télé est un travail d’exhibition alors que l’écriture demande au contraire de l’introspection et de la solitude. Il lui fallait donc faire un choix. Aujourd’hui il admet qu’il ne pourrait sans doute pas faire autre chose qu’écrire.

A t-il été influencé par des auteurs en particulier ?

Il avoue de jamais lire ni de roman, ni de bande-dessinée. Des amis lui demandent parfois de lire leur bouquin et il le fait mais globalement ce n’est pas le genre de lecture qu’il apprécie. Il lit par contre beaucoup de documentaires ou d’essais : pour lui l’important c’est d’apprendre des choses. Il prend l’exemple des ouvrages spécialisés qu’il a du parcourir pour écrire « Le Montespan » et qui lui ont appris énormément de chose, notamment que le XVIIe était sans doute l’une des périodes où les gens étaient les plus sales (Louis XIV n’aurait pris qu’un bain dans sa vie…).

 

Une rencontre très sympathique avec un auteur qui ne se prend jamais au sérieux et qui était manifestement très heureux de partager un moment avec son lectorat. Si vous avez un jour l’occasion de voir Jean Teulé en conférence, courrez-y, c’est un vrai bonheur !

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Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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