Salon du livre de Paris, Conférence #1 : Littérature de l’imaginaire, littérature oubliée ?
A l’occasion du Salon du livre qui se tenait comme tous les ans à Paris le weekend dernier, nous avons pu assister à une conférence dédiée aux littératures de l’imaginaire. Y étaient présents Pierre Bordage, Jean-Philippe Jaworski et Catherine Dufour, trois exemples particulièrement représentatifs de la qualité et de la diversité de ce genre littéraire, ainsi que Fabrice Colin, modérateur de cette rencontre. Intitulée « Littérature de l’imaginaire : une littérature oubliée ? », la conférence a essentiellement porté sur la légitimité et la présence médiatique de ce genre littéraire boudé par les critiques et victime de « ghettoïsation » malgré le succès qu’il rencontre auprès du public, que ce soit au cinéma (la plupart des blockbusters de ces dernières années appartiennent à la SFFF) ou en littérature (que sont la majorité des romans de Musso et Levy si ce n’est du fantastique ?).
Le parcours des invités
La première question concerne Catherine Dufour et son récent « abandon » des littératures de l’imaginaire. Après avoir écrit une tétralogie de fantasy parodique inspirée de Terry Pratchett ainsi que deux autres romans de science-fiction très remarqués (« Le goût de l’immortalité » et « Outrage et rébellion »), l’auteur a en effet effectué un virage important en publiant depuis peu des ouvrages tels que « Le guide des métiers pour les petites filles qui ne veulent pas finir princesses » ou encore « La vie sexuelle de Lorenzaccio ». Un choix qui n’en est pas vraiment un pour l’auteur qui explique que le sujet de ses livres s’imposent à elle sans guère lui laisser le choix. Si elle a décidé d’écrire ses premiers romans de fantasy, c’est parce qu’elle avait adoré découvrir Terry Pratchett et voulait à son tour tenter de faire du bien au gens. De même, si elle a dernièrement décidé de se lancer dans une « Histoire de France pour ceux qui n’aime pas ça » c’est après que son fils lui ait demandé si Napoléon avait vécu avant ou après Charlemagne.
Jean-Philippe Jaworski a pour sa part débuté dans le jeu de rôle avant de se lancer dans la littérature. Ses romans se distinguent avant tout par la qualité de leur écriture alliée à un souffle épique peu commun, que ce soit dans « Gagner la guerre » ou dans le premier tome de sa série « Rois du Monde » paru l’année dernière (au départ prévue comme une trilogie mais qui se transforme au fil de l’écriture en une « beaucoulogie »). L’auteur a bien conscience de prendre ainsi le risque de perdre certains lecteurs (notamment dans « Même pas mort » où il effectue un gros travail sur l’achronie) mais il ne peut s’empêcher d’apprécier mêler littérature de genre et travail narratif. Ce choix de se lancer dans la fantasy a toutefois des conséquences d’ordre économique puisque cela implique évidemment d’avoir une autre source de revenus, et donc de travailler en plus d’écrire.
Pierre Bordage possède quant à lui une bibliographie imposante qui ne cesse de s’allonger, son dernier roman en date (« Le jour où la guerre s’arrêta ») venant justement de paraître chez le Diable Vauvert. L’auteur avoue qu’être estampillé « auteur de science-fiction » joue sur la réception d’un nouveau roman puisque ce dernier sera automatiquement catalogué « SFFF » même si ce n’en est pas. C’est d’ailleurs le cas de son dernier roman qui sera sans aucun doute rangé par les libraires dans le rayon fantasy/science-fiction et échappera ainsi à la visibilité de certains lecteurs moins curieux qui ne s’y risquent jamais.
La mauvaise presse faite aux littératures de l’imaginaire
Pierre Bordage s’agace surtout des critiques littéraires français qui, par paresse ou méconnaissance totale du sujet, snobent totalement ce genre de littérature ou, lorsqu’ils s’y intéressent, ne disent que des absurdités à son sujet. Les seuls auteurs de SFFF a jamais avoir été invité à l’émission « La grande librairie » sont Ayerdhal et Bernard Weber, et encore, ce dernier n’a jamais été présenté comme un auteur de littérature de l’imaginaire. L’auteur explique cependant avoir déjà été reçu à l’émission « Mauvais genre » sur France Culture et salue le travail de certains critiques de la presse écrite sur le sujet. Pour Catherine Dufour il ne s’agit pas tant de l’étiquette « littérature de genre » qui pose problème mais plutôt celle de « littérature populaire » à laquelle aimeraient bien échapper quelques auteurs désireux d’accéder à un autre « statut » plus prestigieux.
De l’intérêt d’écrire de la SFFF
Pour « Même pas mort », Jean-Philippe Jaworski choisit de puiser dans le folklore celte et de faire revivre toute une mythologie qu’il réinvestie. Pour ce faire, il lui faut à la fois se mettre dans la peau d’un historien mais aussi dans celle d’un joueur afin de travailler l’aspect immersif. L’auteur explique apprécier la liberté que lui fournit la littérature de l’imaginaire car elle lui permet de retrouver une véritable verve romanesque. Le roman redevient une transposition d’une matière ancienne adaptée à un public moderne. Pour lui, les lecteurs de fantasy seront sans doute plus réceptifs à son travail car ce genre de littérature implique une ouverture d’esprit d’autant plus indispensable lorsqu’on met en scène une civilisation ancienne où tous les personnages ont une pensée magique. Pierre Bordage voit pour sa part bien plus de « réel » dans des ouvrages de SFFF que dans ceux étiquetés « littérature blanche ». Paradoxalement, pour parler du présent, il est nécessaire d’écrire dans le futur.
Le monde des amateurs de littérature de l’imaginaire est pour Catherine Dufour un milieu qui reflète parfaitement son lectorat. On a affaire à des gens possédant beaucoup de curiosité intellectuelle, d’ouverture d’esprit et bien sûr d’imagination. C’est d’ailleurs ce qui rend les salons et festivals consacrés à ce genre littéraire aussi chaleureux. Jean-Philippe Jaworski nous parle ensuite de sa relation avec « Les Moutons Électriques », la maison d’édition indépendante qui a choisi de publier ses ouvrages. L’auteur explique qu’il y a chez eux une véritable culture historique des littératures de l’imaginaire et qu’ils ne se contentent pas de remettre au goût du jour les auteurs du passé mais promeuvent aussi de jeunes auteurs (Stéphane Platteau et son « Manesh », parmi les exemples les plus récents). Il y a de la part de cette maison d’édition un vrai enthousiasme et un important travail de recherche de nouveaux talents. Pierre Bordage apprécie lui aussi beaucoup le travail réalisé par ses deux maisons d’édition phares (L’Atalante et Au Diable Vauvert) et qui lui permettent de créer des passerelles pour les gens n’ayant jamais expérimenté ce genre de littérature. Son objectif : rassembler grâce à ses romans le plus de gens possible pour leur faire découvrir la richesse inouïe de l’imaginaire.
Une conférence instructive et qui aura permis de mettre un peu en avant les littératures de l’imaginaire dans un salon où il en est rarement fait question. L’affluence de spectateurs à cette occasion constitue d’ailleurs une preuve irréfutable que ce genre littéraire, bien que souvent marginalisé et décrié, continue de séduire un vaste public.
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plumesdelune
Merci beaucoup pour ce compte rendu, ça avait l’air d’être une chouette conférence !
Boudicca
Merci 🙂 La conférence était effectivement très intéressante (et puis il y avait Jaworski ^-^)