Fantasy

Etonnants Voyageurs 2014, Conférence #1 : Tolkien : des mots, des mondes

John Howe - Gandalf

Comme tous les ans, la ville de Saint Malo a accueilli début juin le festival des Étonnants Voyageurs, l’occasion idéale de rencontrer des auteurs issus de tous les horizons et d’assister à des débats et conférences consacrés à tous les genres. La SFFF s’est notamment encore une fois vue accorder une place de choix dans les programmes. Il faut dire que le thème du festival, le réveil des grandes puissances mythologiques, s’y prêtait plutôt bien. A cette occasion environ trois cent amateurs du genre ont eu l’occasion de découvrir en avant première au théâtre Chateaubriand un documentaire consacré à J. R. R. Tolkien. Simon Backès, le réalisateur, a d’ailleurs témoigné de son étonnement et de son émotion de voir autant de personnes réunies pour assister à cette première diffusion publique, et en a profité pour remercier chaleureusement la chaine Arte à qui on doit le financement de ce documentaire. Le réalisateur a également tenu à rappeler qu’il était évidemment impossible de proposer un portrait exhaustif de la vie de l’écrivain, c’est pourquoi le film a été essentiellement construit autour de deux axes. Le premier consiste à brosser un portrait le plus fidèle possible de ce paisible professeur d’Oxford et ainsi tordre le cou aux nombreux clichés qui ont eu tendance à se développer au sein du grand public (notamment après le succès des films). Le second axe a pour ambition de révéler toute la complexité de l’univers élaboré par Tolkien.

Une œuvre universelle : Quelle est donc la raison du succès phénoménal rencontré par « Bilbo le Hobbit » ou encore « Le Seigneur des anneaux » ? Pourquoi la Terre du Milieu a t-elle rencontrée un tel écho chez des lecteurs du monde entier ? Pour le réalisateur, l’explication se trouve dans le fait que les histoires de Tolkien sont parvenues à dépasser la barrière des civilisations, des religions. En créant de toute pièce un monde secondaire aussi complet et dense que le monde réel, l’auteur est parvenu à créer un mythe, une histoire à vocation universelle. C’est sur cet aspect en particulier qu’entend insister Simon Backès dans son documentaire qui se compose de passages narratifs entrecoupés d’interviews de spécialistes (philologues, historiens…), de proches (Christopher Tolkien), voire de l’auteur lui-même. Le réalisateur nous donne ainsi à entendre à plusieurs reprises la voix de l’auteur, que se soit par le biais de lecture de passage de ses œuvres ou de morceaux choisis d’interviews dans lesquelles Tolkien revient notamment sur les similarités que son mode de vie présente avec celui des Hobbits : volonté de vivre une existence simple, amour pour la nature et la bonne nourriture, vie sédentaire et attachement pour sa terre natale…

John Howe - Isildur contre Sauron

Éléments biographiques : John Ronald Reuel Tolkien nait en 1892 en Afrique du sud. Très tôt, sa mère les ramène lui et son jeune frère en Angleterre où elle veillera elle-même à leur éducation. Élevé à la campagne, Tolkien développe très jeune un profond amour pour la nature et aura du mal à se faire à leur déménagement en ville. Là, il découvre la langue galloise et développe une certaine aversion pour l’ère industrielle et ce qu’elle implique, à commencer par l’avènement de la machine qu’il assimile à un asservissement de l’esprit. Il est ainsi évident pour son fils que l’Anneau, élément central des œuvres de son père, est en réalité une métaphore de la machine, tous deux étant utilisés pour transformer le monde selon leur volonté. En 1908, Tolkien rencontre Edith Bratt dont il tombe amoureux et qui lui inspirera le personnage de l’elfe Luthien. Deux ans plus tard, il rentre à l’université d’Oxford pour y suivre des études de langue et de littérature. Lorsqu’éclate la première guerre mondiale, il est incorporé dans un régiment qui part se battre en France. Là, il attrape la fièvre des tranchées et est rapidement rapatrié. Il passera la fin de la guerre dans un hôpital militaire, une longue période d’inactivité qui va lui permettre de commencer à écrire. Il retourne ensuite à Oxford et entame une vie paisible de professeur de vieil anglais jusqu’à un événement inattendu que l’auteur relate lui-même dans une interview : un jour qu’il s’attelait à l’ennuyeuse tâche de corriger quantité de copies, l’un de ses élèves eut la bonne idée de rendre un copie blanche sur laquelle le professeur gribouillera les premiers mots de ce qui sera appelé à devenir « Bilbo le Hobbit ». Il mourra en 1973, aussi paisiblement qu’il avait vécu.

TOLKIEN

Une affection particulière pour les langues et les civilisations anciennes : Pour tous les spécialistes et les proches de l’auteur interrogés la chose est entendue : c’est bel et bien dans la langue que se trouve la source de la mythologie de Tolkien. A l’âge de 13-14 ans déjà, le jeune garçon commence à élaborer lui-même ses propres langages dont tous les philologues s’accordent pour souligner la cohérence et la qualité. C’est notamment le cas pour le sindarin et le quenya dont son fils Christopher affirme qu’il s’agissait sans aucun doute du langage du cœur de son père. Latin, grec, français, allemand, vieil anglais, gallois, finnois…, longue est la liste des langues maîtrisées par l’auteur qui se passionne notamment pour les civilisations nordiques. Ses travaux sur le poème médiéval épique « Beowulf » sont ainsi particulièrement renommés. Bien qu’auteur d’ouvrages d’aventure faisant la part belle à la magie, Tolkien n’a pourtant jamais été fasciné dans son enfance par les écrits de Lewis Caroll ou encore Robert Stevenson, bien qu’en ce qui concerne cet exemple l’auteur admet avoir été fasciné par la présence des Indiens, peuple primitif vivant dans la forêt, combattant au moyen d’arcs et de flèches… Les langues et les civilisations anciennes, voilà ce qui constituait avant toute autre chose le moteur de Tolkien.

L’œuvre : Très tôt, Tolkien prend l’habitude d’écrire des contes du soir destinés à ses propres enfants et dont certains ont d’ailleurs été illustrés par l’auteur lui-même. En 1937 est publié « Bilbo le Hobbit », là encore un récit destiné à la jeunesse et qui rencontre rapidement un grand succès, à tel point que l’éditeur et les lecteurs réclament à grands cris une suite. Tolkien y voit l’opportunité de donner naissance à une véritable saga relatant l’histoire de la Terre du Milieu et se lance alors dans l’écriture d’une multitude de textes aboutiront à un premier « Silmarion » que son éditeur se refusera à publier. « On a l’impression de lire la Bible », lui reprochera l’un de ses lecteurs. Toute la masse de documents écrits par l’auteur concernant l’histoire de la Terre du Milieu finira toutefois par être publiée par l’un des fils de l’auteur, à titre posthume. Après le rejet de son « Silmarion », Tolkien se lance enfin dans l’écriture du « Seigneur des Anneaux » avec en tant que premiers lecteurs ses fils ainsi que l’un de ses plus proches amis : C. S. Lewis, lui même auteur d’une célèbre saga de fantasy (« Les chroniques de Narnia »). Le documentaire cite à plusieurs reprises à ce sujet les nombreuses lettres envoyées par l’auteur à son fils lors de la Seconde Guerre mondiale et dans lesquelles il relate l’évolution du livre. En 1954, le « Seigneur des Anneaux » est publié en trois volumes.

La Terre du Milieu

Interprétations de l’œuvre de Tolkien : Dès sa sortie, « Le Seigneur des Anneaux » reçoit de nombreux éloges, même si certains jugent le travail effectué par l’auteur comme relevant de la gaminerie et proposant une histoire beaucoup trop éloignée du monde contemporain. Les ouvrages de Tolkien rencontrent cela dit un grand succès chez les hippies et les contestataires en tout genre qui se les approprient. Dans les années 1970, les fans de la Terre du Milieu s’inspirent de cet univers pour donner naissance à des jeux de rôle dans une logique d’imaginaire partagé. Les œuvres de Tolkien deviennent alors le ciment culturel de multitudes de communautés qui y entreprennent de prolonger l’évasion dans ce monde d’une incroyable richesse et densité. Les ouvrages de l’auteur ont également fait l’objet d’interprétations contestables de la part d’idéologies nationalistes ou néo-fascistes, choses que l’auteur, bien que plutôt discrets concernant ses idées politiques, condamnera avec ferveur. Une spécialiste en littérature interviewée rappelle toutefois que Tolkien reste malgré tout un homme de son temps et qu’il n’est donc pas surprenant de retrouver, par exemple, les femmes dans des rôles essentiellement secondaires.

Avec « Tolkien : des mots, des mondes », Simon Backès signe un documentaire certes plutôt succinct mais néanmoins fort instructif et qui met l’accent sur des facettes parfois mal connues de l’auteur. L’envie est forte, une fois la projection achevée, de se replonger dans les œuvres du père de la fantasy et dans son univers (que certains lecteurs ne sont jamais vraiment parvenus à quitter…).

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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