Sur la plage de Chesil
Titre : Sur la plage de Chesil (On Chesil Beach)
Auteur : Ian McEwan
Éditeur : Gallimard
Date de publication : 2008 (2007 en VO chez Jonathan Cape)
Synopsis : «Ils étaient jeunes, instruits, tous les deux vierges avant leur nuit de noces, et ils vivaient en des temps où parler de ses problèmes sexuels était manifestement impossible…» Le soir de leur mariage, Edward Mayhew et Florence Ponting se retrouvent enfin seuls dans la vieille auberge du Dorset où ils sont venus passer leur lune de miel. Mais en 1962, dans l’Angleterre d’avant la révolution sexuelle, on ne se débarrasse pas si facilement de ses inhibitions et du poids du passé. Les peurs et les espoirs du jeune historien et de la violoniste prometteuse transforment très vite leur nuit de noces en épreuve de vérité où rien ne se déroule selon le scénario prévu. Dans ce roman dérangeant, magistralement rythmé par l’alternance des points de vue et la présence obsédante de la nature, Ian McEwan excelle une nouvelle fois à distiller l’ambiguïté, et à isoler ces moments révélateurs où bifurque le cours d’une vie.
C’était encore l’époque où le fait d’être jeune représentait un handicap social, une preuve d’insignifiance, une maladie vaguement honteuse dont le mariage était le premier remède.
C’est Sur la plage de Chesil que se déroule le drame. Un couple, deux jeunes gens encore vierges, replis d’appréhension et de préjugés. Ian McEwan ne choisit pas ses situations au hasard.
En seulement cent cinquante pages et cinq gros chapitres, l’auteur réussit à faire alterner non seulement les points de vue de chacun des deux personnages principaux, mais également leurs états d’âme en contradiction avec leurs actions et leurs paroles. L’état de fait est clair : ils ne savent pas comment se conduire : les à-priori, les sous-entendus et les faux-semblants sont lourds de sens et l’accumulation des rappels sur leur maigre existence qui les a menés là sont autant d’eau apporté au moulin de l’incompréhension.
C’est d’ailleurs dans cette perspective que ce roman est intéressant. C’est le manque de communication et de compréhension mutuelle qui mènent à ce que les deux héros redoutent autant l’un que l’autre. Petites déceptions et maladresses évitables nous entraînent immanquablement vers la catastrophe qui humilie les deux protagonistes. L’importance des discussions croisés n’en est que plus soutenue : sans multiplier les phases de dialogues, mais en s’appuyant au contraire davantage sur la narration, Ian McEwan réussit à faire intervenir à la fois les conversations directes au sein du couple ainsi que les conversations que chacun des deux nouveaux conjoints s’infligent entre sa conduite et son intellect.
Le fait que tout cela se passe dans l’Angleterre des années 1960 ajoute évidemment au puritanisme ambiant, mais aurait tout aussi bien pu ne pas être évoqué, puisque malgré leur éducation (elle est une future musicienne de renom, lui poursuit ses études supérieures d’histoire), ils ne réussissent pas à se détacher du poids familial et du « devoir » conjugal considéré comme une charge à accomplir le plus dignement possible. Finalement, à force de vaines avancées et de reculs poussifs, on se demande toujours trop si nous faisons le bon choix ; là n’est pas, semble-t-il, la philosophie de l’auteur.
Jusqu’au bout, on attend le coup de massue suivant apposé sur la pruderie de ce jeune couple, Ian McEwan, en n’allant pas chercher trop loin son sujet, se concentre bien sur son propos : l’excès de retenue ne fait pas bon ménage avec l’épanouissement de chacun. Les regrets nous hanteraient presque en quittant la plage de Chesil.