Divers "transcatégoriques"

La Tartine du Dimanche matin #13 : Ces livres qui donnent des films en plusieurs parties

Singe-Incomprehension

L’adaptation de livres au cinéma, c’est courant d’accord, mais que dire quand ce phénomène voit le nombre de films se multiplier pour une seule et même œuvre normalement unique ? C’est le thème de notre Tartine du jour, rubrique qui, à l’inverse, devrait d’ailleurs prendre son rythme d’un dimanche sur deux (bien plus tenable au niveau du rythme d’écriture…).

Qu’est-ce qu’un livre ? Une œuvre conçue pour être lue d’un bloc. Qu’est-ce qu’un film ? Une œuvre conçue pour être vue d’un bloc. Ces définitions vite caduques quand survient la question des sagas (je vous rappelle notre laïus sur la question spécifiques des trilogies). En effet, comment considérez ces adaptations de sagas littéraires qui se permettent de doubler leur dernier opus en un duo vaguement justifié ? Les exemples très récents sont célèbres : Twilight voit son quatrième et dernier opus (Révélation / Breaking Dawn) être divisé en deux parties qui sortent à un an d’écart ; le septième tome de la saga Harry Potter (Harry Potter et les Reliques de la Mort) est adaptée en deux parties, qui sortent à six mois d’écart ; de même, la saga Hunger Games prévoit d’adapter le troisième et dernier tome (La Révolte / Mockingjay) en deux parties. À part l’inévitable appât du gain (recette doublées, phénomène de masse sur la longueur, etc.), quelles raisons peuvent justifier de découper ainsi des œuvres faites dans une certaine cohérence ? Pour Harry Potter et Twilight, les producteurs et scénaristes ont invoqué une double raison : insister sur un événement majeur pour le personnage principal (mort d’un proche, transformation irréversible) et opposer deux ambiances radicalement différentes. Si dans le premier cas, les problèmes de rythme se font surtout sentir dans la première partie, dans le deuxième cas ce sont les deux parties qui en pâtissent pour nous servir une fin particulièrement décousue. À force de tirer sur la corde, les producteurs en arrivent à gâcher le plus important : la fin, et notamment de sagas pourtant parfois passionnantes.

L’exemple du moment est évidemment l’adaptation de Bilbo le Hobbit : avec Un Voyage inattendu, La Désolation de Smaug et Histoire d’un aller et retour, pas moins de trois films pour un court roman pour enfants ! Toutefois, si nous avons bien là un exemple extrême, il renferme plusieurs caractéristiques qui en font un cas particulier. Tout d’abord, il fait suite à l’adaptation modèle du Seigneur des Anneaux, qu’il convient de ne jamais oublier dans ce cas-là (Peter Jackson a pu regretter d’avoir trop coupé sa première trilogie). De plus, ces trois films adaptent, en plus de ce roman, quelques autres écrits de J.R.R. Tolkien tels que les appendices du Seigneur des Anneaux et des concepts tirés du Silmarillion. Enfin, cette division a encore une dimension économique puisque les frères Weinstein, héritiers des droits de J.R.R. Tolkien, ne voient que leur perte d’une part du magot, puisqu’ils n’ont droit qu’à une partie des dividendes du premier film, et non des trois (les pauvres, en effet…). Pour le verdict final sur cette adaptation, plus que onze mois pour être définitivement fixé.

Attention toutefois à l’amalgame entre adaptation des littératures de l’imaginaire et ces dérives ! Prenons l’exemple du roman graphique Le Bleu est une couleur chaude : on ne le précise que rarement, mais, pour sa Vie d’Adèle, Abdellatif Kechiche en a tiré deux films qu’il a dû finalement réunir en un, tout en laissant la terminologie « chapitres 1 et 2 » qui ne sert alors plus à rien. Pour autant, la tentation de faire deux sorties est flagrante. L’adaptation des pièces de théâtre de Marcel Pagnol par Daniel Auteuil, Marius et Fanny, a été jusqu’au bout du principe, en faisant sortir ces deux films le même jour ! Pas d’attente certes, mais toujours une obligation de voir les deux pour avoir l’oeuvre complète reconstituée. Etrange découpage où l’on cherche le fameux César, théoriquement prévu pour une date ultérieure…

Dans tous les cas, je ne pense pas que ce soit l’adaptation des livres qui soit compliquée. On dit souvent que chaque nouvelle de Guy de Maupassant pourrait faire l’objet d’un long-métrage de deux heures, tant il opère des descriptions de manière concise, mais pour autant, une adaptation est toujours une affaire de point de vue. Le changement de format modifie forcément l’histoire originale ; à chacun, ensuite, d’en faire quelque chose de construit, de cohérent, de singulier. Par la suite, de tels découpages ne répondent finalement qu’au principal but de la plupart des producteurs de cinéma : faire du chiffre, de l’entrée, du ticket. C’est la même logique avec l’utilisation à tout-va de la « technologie » 3D, pourtant bien dérisoire.

Un phénomène bien plus simple, donc, à faire passer quand il s’agit de franchises à succès et sur le long terme : les fans ont l’habitude de patienter entre chaque tome, entre chaque film, de toute façon. Pour le reste, c’est avant tout « Diviser pour mieux engranger », en somme !

 

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La Tartine, une volée de mots émiettée au débotté, un billet à croquer le dimanche matin entre le petit déj’ et l’apéro. Car le monde des livres n’est pas qu’une machine à sous.

Kaamelotien de souche et apprenti médiéviste, tentant de naviguer entre bandes dessinées, essais historiques, littératures de l’imaginaire et quelques incursions vers de la littérature plus contemporaine. Membre fondateur du Bibliocosme.

Aucun commentaire

  • Escrocgriffe

    C’est vraiment triste… J’avoue avoir été choqué par cette logique mercantile sur « Bilbo ». J’espère que «  Hunger Games » ne va pas trop en souffrir. Pour « la Vie d’Adèle », c’est vrai que deux films auraient pu convenir tant le film se déroule sur une longue période.

    • Dionysos

      Là encore, tout est une question d’adaptation (selon moi, évidemment, très humblement). Pour Hunger Games, j’ai peur que ça dénature le tout, comme la fin de HP et de Twilight. Pour La Vie d’Adèle, c’est les scénaristes qui ont décidé d’étendre autant l’histoire d’amour (plus court dans le roman graphique avec la maladie qui coupe rapidement court à tout cela). Enfin pour les films Le Hobbit, une fois que l’on comprend que Peter Jackson adapte certes ce roman, mais également bien d’autres écrits de Tolkien, cela complique les choses.

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