Soldat des brumes, Intégrale I
Titre : Soldat des brumes, Intégrale I
Auteur : Gene Wolfe
Éditeur : Denoël (collection Lunes d’encre)
Date de publication : 2012
Synopsis : En 479 avant J.-C., un an après la célèbre bataille des Thermopyles, dans une Grèce magique où Athènes s’appelle Pensée et Sparte s’appelle Corde, erre un bien étrange amnésique. Blessé à la tête au cours d’une des sanglantes batailles de cette époque tourmentée, Latro a non seulement perdu le souvenir de son passé, mais aussi toute capacité de mémorisation. Chaque jour, il se réveille hors de tout contexte et n’a d’autre recours que de tenir son journal pour affronter l’éternel présent qu’est devenue son existence. Mais en contrepartie de cette infirmité qui l’oblige à un réapprentissage quotidien, Latro a hérité d’un don : celui de voir les êtres divins et surnaturels dont regorge la Grèce antique. Jusqu’où devra-t-il aller pour retrouver la mémoire, son nom et sa famille ?
Ce sont les dieux qui possèdent ce monde, pas nous. Nous ne sommes que des hommes sans terre, même le plus puissant des rois. Les dieux nous permettent de cultiver leurs champs puis nous prennent la récolte. Nous nous rencontrons et nous aimons, parfois quelqu’un nous élève un tombeau. Peu importe – un autre le pillera et les vents disperseront notre poussière, puis on nous oubliera. Il en va de même pour moi, plus vite. J’ai écrit dans mon parchemin comment Pharétra m’a souri. Tant que le papyrus sera conservé, elle sera présente, alors que même la petite Io ne sera que poussière brune pleurant au vent nocturne avec tout le reste.
Après « L’ombre du bourreau » voici l’intégrale d’une autre œuvre de G. Wolfe, « Soldat des brumes », parue chez Lunes d’Encre en deux volumes. L’auteur nous propose ici un voyage au cœur même de la Grèce antique du Ve siècle avant JC, alors que la deuxième Guerre Médique bat son plein et que les tensions entre Athènes et Sparte ne cessent de croître. C’est dans ce contexte que nous suivons les traces d’un certain Latro qui se retrouve à la suite d’une bataille affligé d’une bien étrange malédiction qui le fait oublier chaque jour tout ce qu’il sait mais qui lui permet de voir les différentes divinités arpentant le monde de l’époque. Le pari est osé, d’ailleurs j’ai en ce qui me concerne eu beaucoup de mal à rentrer dans le roman, mais G. Wolfe remporte le défi haut la main.
L’auteur dispose d’une culture impressionnante et nous fait partager son savoir avec beaucoup d’intelligence et de subtilité. Les références historiques et mythologiques abondent et il n’est pas toujours évident pour le lecteur de toutes les relever ou les comprendre car elles relèvent pour la plupart de connaissances étymologiques très poussées. Quoi qu’il en soit, rarement un roman m’aura tant donné l’impression de véritablement saisir ce qu’a pu être cette civilisation grecque de l’Antiquité. Pourtant, si le cadre parlera certes aux amateurs d’Histoire, le fait de changer le nom d’Athènes en « Pensée », de Sparte en « Corde » ou encore de Perséphone en « La Demoiselle » finit par faire peu à peu disparaître ce sentiment de familiarité pour laisser place à un univers plus méconnu, presque onirique, et empli de mystères.
Latro, pour sa part, est un personnage qui se révèle rapidement attachant, tant par sa gentillesse naturelle et sa bravoure que par l’empathie que le lecteur peut éprouver à l’égard de sa malédiction. Cette identification au protagoniste est de plus renforcée par le choix du mode de narration, l’auteur ayant adopté la forme d’un journal intime écrit par Latro désireux de garder une trace de tout ce qu’il a pu oublier. Les autres personnages sont également très réussis, que ce soit la petite esclave Io, l’homme noir… Les plus belles scènes restent à mon sens celles des rencontres successives de notre héros avec différents êtres divins, tous plus terribles et complexes les uns que les autres, qu’il s’agisse de déesses ou de divinités inférieures comme les nymphes, les néréides… Un ouvrage complexe, donc, mais infiniment poétique et très captivant.
Voir aussi : Intégrale II
Autres critiques : Jane Doe (The Last Exit to Nowhere)